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Un fait de lucidité en la condition dite « psychométrique » - Partie 1

Annales des sciences psychiques

En 1914, par Osty E.

Une ère de notoriété vient de s'ouvrir aux « somnambules lucides ». Deux affaires récentes et retentissantes ont mis la Presse à leur service.

En Février dernier, Mme Camille, exerçant la profession de devineresse à Nancy, donnait, en sommeil hypnotique, des indications qui permirent de retrouver le corps M. Cadiou, disparu depuis le 30 Décembre, sans qu'aucun indice ait au préalable fourni à la police le moindre point d'appui. Ce fut aussitôt beaucoup de bruit dans les journaux. Policiers et magistrats ne purent cacher leur mécontentement. Les esprits forts, les malins, ceux dont l'intelligence supérieure sourit dans le regard, n'hésitèrent pas un seul instant à accuser la somnambule d'être une comparse payée par les intéressés pour égarer la justice. Le professeur Bernheim, interviewé par un reporter du Matin déclarait que la divination n'existait pas. « ... Je n'ai jamais pu obtenir, disait-il, au cours de ma longue carrière, de phénomènes de vision à distance ou de divination... toute mon éducation scientifique s'insurge contre l'existence de semblables phénomènes et jusqu'à vérification sérieuse, je conteste leur véracité... »

Un mois après, 19 Mars 1914, disparaissait M. André Rifaut, concierge du château de Boursault. On fouilla bois et lacs formés au bord de la route de Paris par la Marne débordée. Les gendarmes et la brigade mobile de Reims firent d'actives recherches, et l'enquête judiciaire, stérile, inclina, naturellement, à conclure à la fugue. Comme la famille Cadiou, les frères Rifaut eurent alors recours à des somnambules (à trois, dirent les journaux) qui, d'un comme un accord, déclarèrent que le concierge avait été assommé et jeté à l'eau. Mme Camille, qui fut l'une des trois, parla ainsi le 24 Mars, selon le Journal :

Vous recherchez un parent, je le vois. Après avoir échangé des papiers sans importance avec un homme vêtu d'un uniforme, il s'avance dans la nuit sur une route déserte. Il y a un peu plus loin une rivière, il approche de sa demeure. Un homme s'avance et le frappe derrière la tête avec une massue. Le malheureux tombe assommé. Son assassin l'enlève et va le jeter dans la rivière. Et je revois le corps. Il sera retrouvé dans quelques jours, bien loin de cet endroit.

Le 12 avril, le corps de M. Rifaut fut recueilli par des pêcheurs, qui le virent allant au fil de l'eau, à Jaulgonne (Aisne). Le Docteur Petit, médecin légiste, conclut formellement à la mort violente. D'après ses constatations, le concierge du château de Boursault a été assommé, la boîte crânienne ayant été défoncée, et le malheureux était mort avant qu'on le jette à l'eau.

Il m'a semblé que ce deuxième fait de divination, survenu sitôt après l'affaire Cadiou, a follement perturbé la suffisance ironique et candide de ceux « à qui on ne la fait pas ». Je gagerais même que M. Bernheim a dû concevoir quelque regret de ses paroles très sincères, mais imprudentes.

Je rappelle les faits Cadiou et Rifaut parce qu'ils sont d'actualité et que la presse les a rendus publics. Ils ne m'ont pas étonné. Personnellement, j'ai obtenu de sujets lucides en hypnose, des révélations, en parfaites conditions d'expériences, qui auraient beaucoup étonné par leur nature et leur portée psychologique et pratique, si leurs caractères d'intimité et de gravité n'avaient opposé un obstacle irréductible à leur publication.

Aujourd'hui, cependant, les circonstances viennent de me faire assister à un fait qui peut être mis sous les yeux de tous et qui, s'il n'a pas l'allure dramatique et passionnante de ceux cités plus haut, présente du moins toutes les qualités qu'on est en droit d'exiger d'un fait de métapsychique expérimentale. Il représente une expérience complète, contre laquelle aucune objection ne saurait être élevée et qui devrait satisfaire le plus difficile des psychologues. Le voici tel qu'il s'est déroulé:

Le 18 Mars 1914, M. Louis Mirault, demeurant au château du Lieu, prés Cours-les-Barres (Cher), écrivain délicieux à ses trop rares loisirs, utilisant son activité en gérance des propriétés de M. le baron Jaubert et en direction d'Usine, m'écrivait:

Depuis plus de quinze jours, nous cherchons, en vain, un vieillard d'ici qui a disparu. Il doit être soit mort dans un bois, soit noyé... Ses enfants, hantés par le souvenir de la voyante qui a dit où se trouvait le corps de M. Cadiou désireraient beaucoup en consulter une sérieuse en lui adressant un objet ayant appartenu an vieillard...

Je répondis à M. Mirault que, devant me rendre à Paris un jour prochain, je me ferai un plaisir de procéder moi-même à cette expérience.

... Je vous remercie, m'écrivait-il le lendemain, de vouloir bien vous occuper de notre disparu; sa belle-fille vient de me remettre un foulard qu'il a porté. Je fais encore chercher aujourd'hui le vieillard dans les étangs. S'il n'est pas retrouvé, j'irai demain, vendredi, vous porter le foulard et vous documenter pour le mieux...

Le lendemain, M. Mirault vint m'apporter le foulard. Et tout d'abord je le priai de ne me rien dire concernant la disparition du vieillard, mais de me fournir une caractéristique de l'aspect extérieur de cet homme qui me permit de le reconnaître dans la description qu'en ferait le sujet. M. Mirault me dit alors qu'il s'agissait d'un vieillard de 82 ans, marchant un peu penché, et rien de plus.

J'ignorais, jusque là, la disparition de cet homme, dont j'ignorais d'ailleurs l'existence.

D'autre part, de la propriété du baron Jaubert, laquelle, en outre des terres cultivées, comprend 1.100 hectares de bois, je ne connaissais que ce qui se voit du chemin allant au château.

C'est en ces conditions que le lundi 23 Mars, je mis le foulard du disparu dans une main de Mme Morel, sujet lucide seulement en hypnose profonde, habitant Paris et qui jamais n'est venue dans le Cher.

— Voyez, dis-je au sujet, la personne à qui appartient l'objet que je mets dans voire main.

Mme Morel fit tout d'abord la description d'un homme dans laquelle je me reconnus, puis celle d'un autre homme ressemblant à M. Mirault, ensuite celle d'une femme que je jugeais être la belle-fille du disparu, et enfin elle arriva au vieillard. Voici, textuellement, mot pour mot, ses paroles.

« ... Je vois un homme étendu, les yeux clos... comme quelqu'un qui dort, mais ne respire plus... c'est quelqu'un qui est mort... il n'est pas étendu dans un lit, mais sur le sol... un sol humide, très mouillé... terrain plat, inculte... il y a de l'eau pas très loin... un gros arbre... quelque chose d'énorme tout près... quelque chose de très touffu, un bois... »

— Suivez cet homme le jour où il est venu là, et voyez le chemin parcouru.

« ... Je vois une maison de campagne... il la quitte... il marche... c'est un homme malade, respirant avec difficulté... il marche... et son cerveau n'est pas net... la tête est malade... il s'écarte du chemin... s'enfonce dans un taillis, un bois... il voit beaucoup d'eau, à côté de lui... il tombe sur un sol très mouillé... puis, après quelque temps, il ne respire plus... de la maison quittée, à l'endroit où gît le corps, il n'y a pas très loin... il faut suivre le chemin partant de la maison et aller jusqu'où il y a de l'eau... de cette maison il y a deux directions à prendre, un chemin qui monte et l'autre qui descend où il y a de l'eau... c'est ce dernier chemin qu'a pris l'homme... »


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