Partie : 1 - 2

Deux cas de lucidité télépathique (pendant le sommeil hypnotique) - Partie 2

Annales des sciences psychiques

En 1914, par Beaunis H.

Je passe maintenant à la deuxième expérience faite le même jour sur Camille que j'avais laissé reposer pendant un certain temps.


2° — Second cas de lucidité

Expérience faite en présence du Dr Van Eeden, d'Amsterdam. Camille est dans le cabinet de M. Liébeault, en train de tricoter et causant avec les personnes présentes. Je me mets dans l'autre pièce; la porte de communication est rabattue de mon côté et me masque. Un refend me sépare d'elle. Alors, je commence à faire des passes en concentrant mes pensées par l'idée de la faire dormir. Pendant cinq minutes, rien. A ce moment elle se frotte les yeux, cesse de causer, dépose son tricot à côté d'elle, appuie la tête sur sa main, et à l'air, m'a-t-on dit, d'avoir sommeil. Malheureusement, M. Liébeault, qui endormait une autre personne dans la même pièce et qui n'était pas dans la confidence, lui dit : « Tu as sommeil, Camille, M. Beaunis va t'endormir tout à l'heure ». L'expérience était à recommencer.

Alors je m'approche et je l'endors immédiatement.

A ce moment M. Van Eeden me passe une lettre que je mets entre les mains de Camille. (M Van Eeden étant d'Amsterdam, je croyais que cette lettre provenait de celte ville). Je numérote ses réponses.

Demande. — D'où vient cette lettre?
1°. Réponse. — Elle ne vient pas de France.

(Pour abréger je ne mentionne pas mes demandes; je ne citerai que les réponses, sauf dans certains cas).

2°. R. — Elle vient d'une ville qui n'est ni grande ni petite.
3°. — Les habitants sont habillés comme chez nous.
4°. — Il y a un peu d'eau.
5°. — Il y a une place avec une statue, un homme debout, à pied; c'est un militaire... il tient quelque chose à la main.
6°. — La lettre appartient à un Monsieur.
7°. — Elle a été écrite par une dame.
8°. — Une dame jeune.
D. — A-t-elle des enfants?
9°. R. — Non.
D. — Où habite cette dame? Décrivez la maison.
10. R. — Il y a un petit jardin devant et un grand jardin derrière.
D. — A quel étage habite-t-elle?
11. R. — Au premier étage.
D. — Que fait-elle?
12. R. — Elle déjeune.
D. — Que mange-t-elle?
13. R. — Je ne vois pas.
D. — Comment est la rue où se trouve la maison?
14. R. — C'est une large rue avec des arbres.
D. — Celle dame est-elle bien portante?
15. R. — Elle est malade quelquefois.
D. — Où a-t-elle mal?
16. R. — A la tête et quelquefois aux jambes.

Je réveille alors Camille.

Une fois seul avec M. Van Eeden, je lui demande ce qu'il y a de vrai dans les réponses de Camille. Oh ! me dit-il, l'expérience peut-être considérée comme manquée, quoiqu'elle ait dit juste sur quelques points. La lettre vient d'Utrecht (je la croyais d'Amsterdam). Voici l'appréciation de M. Van Eeden sur les diverses réponses de Camille.

1. — Exacte.
2. — Exacte.
3. — Exacte.
4. — Exacte. Il y a un canal.
5. — Inexacte, d'après M. Van Eeden, il n'a pas connaissance de cette statue.
6. — Exacte. La lettre appartient à M. Van Eeden.
7. — Exacte.
8. — Exacte.
9. — Inexacte. Cette dame a des enfants.
10. — Inexacte. Il n'y a pas de jardin devant.
11. — A moitié exacte. C'est un rez-de-chaussée élevé sur un sous-sol très haut.
12. — Probablement inexacte; jamais elle ne déjeune à cette heure-là.
13. — Rien à dire.
14. — Exacte.
15. — Exacte.
16. — Exacte.

En somme on voit que, malgré quelques réponses justes qui peuvent être attribuées au hasard, l'expérience pouvait être considérée comme manquée. Aussi je ne m'en occupais plus lorsque, trois semaines plus lard, je reçus, à ma grande stupéfaction, la lettre suivante du Dr Van Eeden, lettre dont je transcris les passages qui concernent l'expérience. La voici: (Je passe les premières lignes qui parlent de choses ne concernant en rien l'expérience en question. La lettre est écrite en français par un hollandais; de là quelques incorrections, très légères du reste. Il n'y a donc pas d'erreurs pouvant tenir à une mauvaise traduction; ce sont bien les idées elles-mêmes du Dr Van Eeden).

Amsterdam, 15 juillet 1889.

Mon cher Professeur,
Je ne vous ai pas encore répondu jusqu'à ce jour-ci ; parce que je n'avais pas encore vu la personne qui m'avait écrit la lettre que j'ai donnée à Mlle Camille. J'ai été hier à Utrecht, et les renseignements donnés par Camille se sont montrés exacts d'une manière tout à fait remarquable, même les détails que j'ignorais complètement [c'est moi qui souligne ces mots], et que je croyais être plus ou moins erronés.
Par exemple, me promenant dans Utrecht, je voyais tout d'un coup la statue décrite par la somnambule. Celait la statue du Duc Jean de Nassau, debout, en cuirasse, tenant dans la main un bâton de maréchal. Je ne l'avais jamais vue, et connue vous vous rappellerez, j'ignorais ou j'avais du moins complètement oublié son existence.
Un autre détail, Camille, m'avait dit que la personne était dans une maison assez grande, devant laquelle il y avait un petit jardin, et un plus grand jardin par derrière.
J'estimais que ce fut une erreur. La maison de cette dame que je connaissais très bien, n'avait pas un jardin par devant. Eh bien! le matin du 27 juin à 9 heures, Mme X... n'était pas chez elle, mais chez sa sœur, qui habile une maison de la même grandeur, dans la même ville, située, comme la sienne, dans « une rue, avec des arbres » et ayant un petit jardin par devant [souligné par M. Van Eeden], et un plus grand jardin par derrière.
Les enfants de la dame n'étaient pas là et Camille n'aurait pu les voir. Ensuite Camille avait dit que la personne était eu train de manger. Ça me paraissait un peu étrange à neuf heures du matin.
Mais justement le matin du 27 juin, Mme X... était sur le point de partir pour un voyage. Etant venue chez sa sœur pour prendre congé, celle-ci l'avait entraînée de prendre un petit déjeuner avant son départ.

Le reste de la lettre concerne le voyage de M. Van Eeden à Nancy et les réflexions que ce voyage lui a suggérées et n'a aucune importance pour le cas actuel. Il dit seulement:

Je regrette beaucoup de ne pas pouvoir répéter ces expériences. Chez mes clients ça n'a jamais réussi. Pourtant je continue mes recherches!

Par tout ce qui précède, on voit que ce deuxième cas ne peut, laisser la moindre place en doute. D'un côté, la précision, le nombre et l'exactitude des détails ne peuvent être attribués au hasard et de l'autre il ne peut y avoir là l'effet d'une suggestion mentale, consciente ou inconsciente, provenant, soit, du Dr Van Eeden, soit de moi. Je ne connaissais aucunement la dame qui avait écrit la lettre; je croyais que cette lettre venait d'Amsterdam, et je ne connaissais Utrecht que pour y avoir passé en chemin de fer 22 ans auparavant. Quant au Dr Van Eeden, il était convaincu qu'au moment où la lettre était dans les mains de Camille, la dame qui l'avait écrite se trouvait chez elle. Il me semble que le doute n'est pas possible et que ce fait, soumis à la plus rigoureuse critique, en sortira victorieux. Une seule chose pourrait être mise en doute, la bonne foi et la véracité du Dr Van Eeden et la mienne. A cela je n'ai rien à répondre. Je ne puis que maintenir l'exactitude de tous les faits énoncés ci-dessus.

Avant de terminer je me permettrai quelques réflexions qui me paraissent nécessaires en présence de cas de ce genre.

Le caractère qu'on assigne en général au fait scientifique est le suivant. Une fois connues les conditions de sa production, on peut le reproduire à volonté en se plaçant dans les mêmes conditions.

Ceci est vrai pour les faits explicables. Mais il y a des faits inexplicables actuellement et qui n'en sont pas moins réels. Ils n'ont pas le caractère scientifique, il est vrai, mais ils n'en existent pas moins et il est impossible de les nier. Le fait est là, sous vos yeux ; il n'y a qu'à s'incliner et à en rechercher les conditions pour pouvoir le reproduire à volonté, Teslis unns, teslis unullus, dit le proverbe. Vrai dans l'ordre judiciaire, il ne l'est plus dans l'ordre scientifique. Si vous vous êtes mis à l'abri de toutes les causes d'erreur, ce fait, fut-il unique, est un bloc inébranlable.

Les savants, habitués à la régularité et à la constance des phénomènes qu'ils observent, ne s'accommodent guère de ces faits isolés, exceptionnels, qui les déroutent, et les inquiètent. Quelques-uns préfèrent les nier, ce qui est très simple, mais peu scientifique. La plupart préfèrent ne pas s'en occuper et passent à côté en détournant la tête et en affectant, de ne pas les voir. Ce rôle de Ponce-Pilate n'est pas digne d'un savant. Ne vaudrait-il pas mieux regarder le problème en face et chercher franchement à déterminer les conditions de sa production?

La science ne doit reculer devant rien. Elle doit absorber toutes les questions, quelque étranges, quelque troublantes qu'elles puissent être et celle-ci est une des plus troublantes qui puissent se présenter. Il y a évidemment, en nous, dans les profondeurs de notre âme ou de notre cerveau, des énergies latentes, insoupçonnées, qui dans certaines conditions encore inconnues, chez certains sujets, se révèlent comme ces jets de flamme qui sortent d'un volcan. Qu'on suppose ces faits connus, expliqués, catalogués, devenus faits scientifiques, quelle transformation dans la vie individuelle et dans la vie sociale? On ose à peine y penser. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas les étudier. Au contraire. Quel Curie découvrira le radium cérébral et les ondes hertziennes de la pensée?


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