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Un fait de lucidité en la condition dite « psychométrique » - Partie 5

Annales des sciences psychiques

En 1914, par Osty E.


Quelques considérations sur ce fait de lucidité

1. — Malgré qu'il n'ait pas l'attrait dramatique propre à frapper vivement les imaginations, j'estime que ce fait possède, pour les esprits critiques, une qualité rare parmi les faits de métapsychique: la valeur exceptionnelle du contrôle.
Du 23 mars au 7 avril, cette expérience s'est pour ainsi dire déroulée en public. Pendant ce laps de temps, plusieurs centaines de personnes, dont quelques-unes très éminentes par le savoir ou par le rang social, à Paris et en divers lieux de France, connaissaient les révélations de Mme Morel et pouvaient imaginer exactement, à l'avance, le décor précis dans lequel devait être trouvé le vieillard disparu. Les habitants de Cours-les-Barres et tout le personnel du château du Lieu ont reçu de M. Mirault, directement ou indirectement, communication des renseignements fournis par la voyante, à mesure que nous les lui adressions. Pendant quinze jours ce fut un sujet de conversation dans tout un morceau du Cher. Est-il beaucoup de faits métapsychiques où tant d'attentions furent, si directement et si à l'aise, braquées sur un résultat?
Et, dès que le cadavre fut découvert, ce fut un véritable pèlerinage au taillis. Tous ceux qui le pouvaient, voulaient aller vérifier si la somnambule avait vraiment dit juste. Les visites eurent lieu le 7 avril jusqu'à la nuit et aussi une partie du lendemain, car, pour emporter le corps, on dut découper un chemin.
M. Mirault a rapporté ce fait de lucidité dans le journal Paris-Centre du 15 avril.
De sorte que, si cette expérience pèche par quelque côté, certainement ce n'est pas par insuffisance de contrôle.

2. — On pourrait, peut-être, s'étonner qu'il ait fallu tant de temps pour trouver le corps sur les indications du sujet. Ce sérail, ainsi, faire preuve d'une entière ignorance de la lucidité. Car les connaissances intuitives ont pour caractère de s'organiser progressivement, de se perfectionner, d'aller de la synthèse à l'analyse, de la perception d'ensemble aux visions de détails qui sont les seules utiles dans la pratique. Et, d'autre part, ce serait bien mal interpréter une apparence de durée dont le sujet lucide ne saurait être rendu responsable, attendu que le temps réel de son activité psychique a été de deux heures pour le total des trois séances. Ce sont les circonstances, la volonté des expérimentateurs occupés par ailleurs, et l'éloignement du sujet, qui ont fait s'échelonner dans quinze jours trois séances qui, en des conditions plus favorables, auraient pu avoir lieu dans une seule journée.
Cette objection ne pourrait naître que dans un esprit pour qui l'apparence a plus de valeur que le fond des choses.

3. — Enfin, devant un fait aussi nettement circonstancié, qui oserait parler de la possibilité d'une coïncidence ?...
Quelle probabilité peut-il y avoir que se soient rencontrés pour constituer un fait métapsychique parfaitement coordonné : 1° un coin de forêt unique en son aspect dans la région ; 2° le corps d'un homme venu là au hasard d'un égarement mental ; 3° les visions d'une voyante ignorant lieux et homme !...
Parmi les personnes qui ont pu suivre toute cette affaire au jour le jour se trouve M. l'abbé Housseau, curé de l'endroit (Cours-les-Barres), qui a connu les révélations de Mme Morel depuis le 23 Mars. Quand les révélations de la « voyante » se réalisèrent, M, Housseau publia, dans le numéro d'Avril du Bulletin Paroissial (mensuel) du diocèse, le très intéressant petit article suivant :

On parlera longtemps encore à Cours-les-Barros et ailleurs du père Lerasle, ce bon vieillard de 82 ans qui, perdu le 2 mars, n'a été retrouvé que le 7 avril.
Et depuis cette disparition jusqu'à la découverte du cadavre, quelle émotion poignante dans notre pays ! Les commentaires allaient leur train, chacun formulait son appréciation. — « Il avait du tomber dans la mare qui est à droite de ce château ». — « Ne se serait-il pas plutôt égaré dans le bois comme autrefois une pauvre vieille que l'on retrouvait sur le chemin du Chautay? »
— « Qui sait s'il n'était pas dans le canal ». — Il n'était pas impossible qu'il fût allé jusqu'à l'étang de Saint-Gris. N'a-t-on pas été jusqu'à affirmer qu'il aurait pu avoir la fantaisie de rejoindre ceux des siens qui sont actuellement en Algérie? Entre temps, les gendarmeries étaient avisées, on fouillait avec des crochets solides les mares, les étangs, on explorait les moindres recoins, rien n'était négligé, on faisait une battue ; plus de 80 hommes de bonne volonté en faisaient partie ; minutieusement ils cherchaient autant qu'il est possible de le faire dans un bois de 5 kilomètres de longueur sur 3 de largeur ; les gardes journellement arpentaient en tout sens cette forêt sans être plus heureux. Tant d'efforts donnés, tant de bonnes volontés dépensées, tant de ténacité, de courage mis en œuvre dans ces recherches allaient-ils être sans résultat? Le père Lerasle restait introuvable. Que faire? Quelqu'un a la pensée de faire consulter Mme Morel qui est une personne lucide.
Elle trace une topographie des endroits qui est exacte ; le signalement qu'elle donne du vieillard disparu est pour ainsi dire photographique ; il n'est pas même jusqu'à une de ses vieilles manies, celles de frapper la terre avec un bâton, qui ne soit mentionnée. Elle le suit dans son trajet depuis sa demeure jusqu'à l'endroit où il sera retrouvé. Elle le voit prenant le petit raidillon qui conduit de chez lui jusqu'à la route, il longe une mare, passe devant des maisons, arrive à une demeure plus modeste puis à cette intersection de trois routes, hésite quelques instants et tourne carrément à gauche. Sur ce parcours nouveau elle aperçoit une cabane qui renferme des outils, à l'extérieur du bois est scié, un peu plus loin il y a une petite palissade. A ce moment là, en face, il y a tout à gauche, un petit sentier ; c'est celui-là que prend le vieillard pour se perdre dans un fourré à 650 mètres environ de sa demeure.
Tous ces détails et combien d'autres que je ne mentionne pas parce que trop longs à énumérer vous laissent stupéfaits tant ils sont vrais. Ce qui a été annoncé à Mme Morel s'est réalisé de tout point. Alors, chers paroissiens, que conclure? Faut-il donc croire aux devins, sorciers, somnambules, que sais-je? Et cependant l’Église, en raison du caractère de superstition qu'on attache à ces sortes de gens, a défendu de recourir à eux. Comment concilier toutes ces choses?
La solution de cette question sera aisée si l'on comprend bien ce principe qu'entre le cas de Mme Morel qui relève de la science et le cas de ces devins, sorciers et autres qui relève du charlatanisme, il y a toute la différence qui sépare une question sérieuse de celle qui ne l'est pas du tout. Ces derniers sont fort habiles ; il y a une découverte dans laquelle ils sont experts, celle de soutirer facilement les pièces de 100 sous à tous ces bons gogos qui ont confiance dans leurs boniments. On a vu et on verra encore des naïfs qui seront les dupes de ces mystificateurs. Aussi l’Église a-t-elle raison quand elle défend de consulter ces imposteurs, qui exploitent à leur profit la crédulité publique.
Que certains sujets, excessivement rares, aient pour ainsi dire ce don de longue vue, c'est autre chose. Évidemment nous voyons les faits sans en savoir les causes, absolument comme nous constatons les effets de l'électricité tout en ignorant totalement ce qu'elle est. Il appartient à la science de nous dire le dernier mot sur tous ces phénomènes.
Mais à étudier ces personnes exceptionnelles lucides, il est un principe qui semble ressortir avec plus de force : c'est la preuve de l'existence de l'âme. Il faut bien admettre en effet que ces choses racontées par Mme Morel dépassent la puissance de la matière organique. Ce n'est pas son corps, ni rien qui le compose, qui saurait être capable de voir à distance, de donner de telles révélations. Il faut donc reconnaître qu'il y a en nous, en dehors de notre corps, au dessus de notre corps, un élément qui est esprit et qui n'est autre que ce principe vital que Dieu a donné à chacun de nous et qui s'appelle l'âme.
Puissiez-vous, chers paroissiens, retenir cette conclusion et ne pas considérer cette âme comme une mendiante dont on détourne les yeux.

A. Housseau, curé.


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