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Les émotions afflictives - Partie 4

Revue des sciences psychologiques. Psychologie, psychiatrie, psychologie sociale, méthodologie...

En 1913, par Tastevin J.

Énervement périodique

Obs. XII — Femme, 21 ans. Cette personne se plaint de crises nerveuses dont elle est affligée depuis deux ans. Depuis deux ans, souvent tous les deux ou trois jours, brusquement et sans motif décelable, elle présente pendant environ une demi-heure les phénomènes qu'elle décrit de la manière suivante:
« Supposons, je suis en train de lire ou n'importe quoi, il me prend tout d'un coup et sans aucun motif un énervement. Je jette en l'air tout ce qui est autour de moi; oh! je pourrais pas rester immobile, j'ai jamais essayé, mais je pourrais pas; quelqu'un viendrait me voir, je le recevrais mal; je ressens de la mauvaise humeur, de l'énervement, je balance tout, j'envoie promener les gens; je vais, je viens, je monte et je descends l'escalier, je voyage. Oh! je souffre, j'ai l'estomac tout serré et la gorge aussi. Ça me prend quelquefois dans le lit, alors là j'étouffe, je suis très serrée à l'estomac et à la gorge, il faut que je saute du lit. Et puis je pleure à plusieurs reprises, je pleurerai cinq à six fois dans une crise, ça me soulage un peu chaque fois. Je marche, je marche, je balance tout; puis ça se calme. Après, je suis courbaturée, toute anéantie, je dors par là-dessus et puis ça ne paraît plus après. »
Au cours d'un de ces accès une crise d'hystérie s'est produite, qui a mis fin à l'accès. Ce fait ne s'est produit qu'une seule fois (voir plus loin: énervement).

En résumé, cette malade présente des crises périodiques d'énervement d'une durée d'environ une demi-heure et caractérisées par les phénomènes affectifs et réactionnels que nous avons constatés dans les observations VII, VIII et IX; mais tandis que, dans ces dernières observations, l'énervement était motivé par des états intellectuels, ici il se produit spontanément, c'est-à-dire sans l'intervention de phénomènes observables, capables de l'engendrer.
Pour l'instant, concluons seulement, de toutes ces observations, que le chagrin, l'anxiété, l'énervement, qu'ils soient observés à l'état normal ou dans les états pathologiques, présentent un même affectif fondamental, une sensation de serrement, de constriction localisée au creux épigastrique. Toutefois, nous devons faire remarquer, pour que la valeur démonstrative des faits qui précèdent soit bien établie, que l'on n'observe jamais de cas où les faits affectifs de ces émotions se localisent en d'autres lieux que ceux qui viennent d'être indiqués. Sans doute, il peut arriver que des sujets, généralement névropathes, présentent en même temps que les phénomènes affectifs habituels d'une émotion, des sensations localisées en d'autres points du corps: ainsi, j'ai recueilli l'observation d'une femme qui, lorsqu'elle avait une peur (anxiété brusque), éprouvait chaque fols, en même temps que le serrement épigastrique, une deuxième douleur localisée dans le dos, mais elle avait nettement l'impression que cette dernière était un phénomène parasite qui n'avait rien de commun avec sa peur, sinon d'être déterminée par elle; du reste, elle ne constatait cette deuxième sensation que depuis quelques mois. D'autres personnes ont de la céphalée lorsqu'elles éprouvent du chagrin, de d'anxiété ou de la colère, mais à cette douleur elles ne donnent jamais un caractère émotionnel.

Le serrement épigastrique des émotions afflictives n'est pas le seul phénomène douloureux qui s'observe « au creux de l'estomac ». Chacun sait qu'en cette région on éprouve aussi les sentiments de la faim, de la nausée, les crampes d'estomac, etc. Ces sensations pénibles ne sont cependant jamais confondues les unes avec les autres: c'est qu'elles ont des tonalités particulières qui les distinguent; le « serrement » des émotions afflictives n'a pas la même tonalité que le « tiraillement » de la faim ou que le « mal au cœur » de la nausée, de même tous ces phénomènes sont distingués des crampes d'estomac; et néanmoins toutes ces sensations sont douloureuses et ont la même localisation.
Le serrement épigastrique est-il un phénomène uniquement central ou bien résulte-t-il d'une excitation périphérique réflexe se produisant au lieu où il est ressenti? Nous allons voir que c'est cette dernière supposition qui est exacte. Mais alors, quel est l'organe où se produit celle excitation, et comment s'y produit-elle? Dès l'abord, ces problèmes paraissent bien difficiles à résoudre et il semble que l'on ne puisse, à leur égard, émettre que des hypothèses. Cependant, de nombreux faits, que nous allons étudier et dont certains sont de véritables expériences réalisées par des états pathologiques, élucident avec une particulière netteté les problèmes qui viennent d'être posés.

2° Le serrement épigastrique est localisé à l'estomac et résulte d'un spasme réflexe de cet organe.

Telle est la notion que nous allons maintenant établir à l'aide des faits qui viennent d'être signalés.

1° La sensation épigastrique a très exactement la localisation qu'elle doit avoir pour être un spasme gastrique: c'est une sensation en surface, à limites un peu imprécises, mais son centre apparaît nettement un peu au-dessous de l'appendice xiphoïde, dans le plan médian du corps. Enfin, elle a les allures d'une sensation viscérale et spasmodique en ce qui concerne sa tonalité et aussi ses effets généraux sur l'organisme; comme toutes les douleurs viscérales, elle produit l’asthénie, la syncope, la pâleur, etc., beaucoup plus facilement, à égale intensité, que les douleurs des nerfs périphériques. Ces considérations n'établissent pas la nature spasmodique, ni le siège gastrique de la sensation épigastrique, mais elles montrent que rien, dans les caractères ni dans le siège de celle sensation, ne s'oppose à ce qu'elle soit un spasme de l'estomac.

2° Les émotions afflictives, lorsqu'elles se produisent chez un sujet en état de faim, font disparaître instantanément ce sentiment. C'est là un fait d'observation courante et connu de tous. Pour l'exprimer, la formule « ça m'a coupé l'appétit » est d'un usage habituel. On sait que le sentiment de la faim est surtout constitué — car il renferme aussi un élément pharyngien — par une sensation pénible localisée au creux épigastrique et d'origine gastrique, on comprend dès lors que cette sensation — laquelle est aussi probablement due à un spasme — ne puisse coexister avec celles du chagrin, de l'anxiété ou de l'énervement. Si, ayant faim, brusquement nous apprenons une mauvaise nouvelle, ou si nous appréhendons quelque chose, ou si nous nous mettons dans un état de colère contenue, aussitôt le sentiment de la faim fait place au serrement émotionnel, et la tendance, l'inclination à manger disparaissent en même temps.
On peut, a priori, penser qu'il doive en être de la nausée comme de la faim, en ce qui concerne les relations de ces phénomènes avec les émotions afflictives. Mais tandis que nous éprouvons la faim quotidiennement, la nausée est, dans notre existence, un fait accidentel, en sorte que ses rapports avec les émotions afflictives sont d'observation moins facile. Un fait signalé dans une note de la Chronique médicale du 15 juillet 1910 montre qu'il en est de la nausée comme de la faim, vis-à-vis des émotions afflictives. Cette note est parue sous le titre: « Les effets salutaires de la peur ». La voici: « Un confrère qui se trouvait à bord du Pas-de-Calais au moment où ce paquebot aborda le Pluviôse m'a dit que le premier effet de la collision fut la suppression instantanée et définitive du mal de mer chez tous les passagers et passagères qui, plus ou moins livides, réclamaient des cuvettes ou se penchaient sur les bastingages. »
Remarquons que cette opposition qui existe entre les émotions afflictives d'une part, la faim et la nausée d'autre part, existe de même entre ces deux derniers phénomènes. Elle établit donc entre eux et les émotions afflictives des affinités qui s'accordent tout particulièrement avec l'idée de l'origine gastrique et de la nature spasmodique de l'élément affectif de ces émotions.

3° Le fait suivant établit qu'au cours des émotions afflictives un spasme gastrique se produit. C'est une notion classique — et je l'ai du reste contrôlée moi-même — que, chez les sujets atteints d'ulcère de l'estomac, les émotions que nous appelons afflictives réveillent la douleur de l'ulcère et favorisent les hémorragies; ce réveil de la douleur est naturellement surtout très marqué lorsque l'émotion est intense et a lieu brusquement. Une action mécanique réflexe, qui ne peut être qu'un spasme, s'est donc exercée sur la plaie de l'estomac.


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