Partie : 1 - 2 - 3 - 4 - 5

Les émotions afflictives - Partie 3

Revue des sciences psychologiques. Psychologie, psychiatrie, psychologie sociale, méthodologie...

En 1913, par Tastevin J.


II. Le serrement épigastrique


1° Observations

Voici quelques observations d'émotions afflictives. Le serrement épigastrique y est décrit, ainsi que les phénomènes sensitifs et moteurs qui l'accompagnent.

Chagrin

Obs. I — Une femme alcoolique, peu avant son internement à Sainte-Anne, a eu des hallucinations auditives. Interrogée à ce sujet, voici comment elle exprime ce qu'elle éprouvait, lorsqu'elle entendait ces voix: « Ils disaient: C'est une p..., ils ne nommaient pas mon nom, mais je le prenais pour moi; alors ça me frappait, ça me faisait de la peine: tout de suite, ça me serrait là (elle applique ses deux mains fermées au creux épigastrique), et, si c'était à table, ça me fermait, ça m'empêchait de manger. Au moment que j'entendais ces mots, ça me faisait mal au cœur, à l'estomac, ça me serrait, et puis je m'asseyais sur une chaise et je ne pouvais plus rien faire, j'étais là, abattue, et j'avais les larmes aux yeux. »

Obs. II — Femme. Mélancolique à la suite de la mort de son mari. Voici comment, en l'interrogeant, elle exprime son chagrin: « Où sentiez-vous votre chagrin? — Eh bien! je le sentais dans mon cœur, vous savez bien qu'on le sent dans le cœur, le chagrin. — Oui, mais c'est là une façon de parler; où le sentiez-vous réellement? — Mais je le sentais là (elle applique le poing au creux épigastrique), et je le sens encore. — Vous sentez donc quelque chose là, quand vous avez de la peine? — Mais naturellement, je ressens une douleur, un serrement, la douleur d'avoir perdu mon mari, du chagrin. »

Obs. III — Mère d'une épileptique; elle vient à Sainte-Anne pour fournir des renseignements sur son enfant récemment internée. C'est une névropathe à émotivité exagérée. Voici ce qu'elle dit spontanément au sujet de son émotivité afflictive: « Quand je suis triste, que j'ai un ennui, c'est là (creux épigastrique) qu'il me porte. Si l'on vient me dire: telle ou telle chose est arrivée, au même instant ça me serre là, au cœur, à l'estomac; à la parole même, ça me saute là, à l'estomac. Alors, y a plus d'appétit, je ne peux plus manger; ça me reste des fois une demi-journée, je suis triste, ça se tire ensuite petit à petit. »
Le matin, avant de venir à l'asile, elle avait de l'inquiétude à l'idée d'y voir son enfant: Vous savez, avant de partir j'ai pas pu ni boire ni manger, ça me serrait là (creux épigastrique), à l'estomac et ça me coupait l'appétit.

Anxiété

Obs. IV — Femme. Vient à Sainte-Anne pour donner des renseignements sur sa mère internée. Elle dit que tout le matin elle a eu de l'anxiété à l'idée de revoir sa mère à l'asile. « Ce matin, pour venir ici, j'avais l'appréhension, alors j'étais serrée à l'estomac, ici (creux épigastrique), et puis je cherchais ma respiration, c'est-à-dire comme quelqu'un qui a la respiration difficile, enfin c'est comme un soupir; et puis je ne pouvais pas rester en place. »

Obs. V — Femme impressionnable, très émotive. « Si j'ai une crainte, une anxiété, c'est toujours à l'estomac que ça me tape; c'est ici (creux épigastrique); c'est comme l'estomac serré, je suis gênée pour respirer, et puis il faut que je marche. Lorsque c'est plus fort, mon cœur se met à battre, par exemple, si j'avais une visite à faire ou si je recevais quelqu'un; j'ai toujours été très craintive. »

Obs. VI — Mélancolique. Femme. Se croit condamnée. Très anxieuse. Elle dit qu'elle éprouve un serrement continu au creux épigastrique et de l'oppression. Sa respiration est irrégulière, entrecoupée par intervalles de profondes inspirations. Son pouls, petit, bat à 90 pulsations. Elle ne peut rester assise, elle va et vient constamment dans la salle en gémissant.

Énervement (colère)

Obs. VII — « Par exemple, dans une discussion avec mon mari, si je concentre tout, c'est-à-dire si je ne peux rien dire, alors ne pouvant pas passer ma colère, l'estomac se resserre et puis la gorge; je m'énerve, je serre les dents, les poings, comme une personne énervée, comme une forte colère qu'on ne peut pas soulager, et puis comme un genre de tremblement; alors il me vient comme une envie de pleurer, et si je pleure, le serrement de l'estomac se retire; après je suis abattue. »

Obs. VIII — Femme. « Dans la colère, si je ne puis pas me venger, si je me retiens de dire ou de frapper, ça me fait un serrement de cœur, un serrement à l'estomac, ça me serre aussi à la gorge, je crois tout à fait étouffer; je sens que je deviens pâle: après je pleure, je sanglote et je suis soulagée après quand j'ai pleuré. Après, je reste courbaturée, anéantie. »

Obs. IX — Homme. Vient de recevoir des reproches et a dû contenir sa colère. Voici comment il exprime ce qu'il a éprouvé : « Oh! j'ai eu à ce moment-là l'estomac, contracté, et le mouvement, l'idée de lui dire ce que je pensais, de le remettre à sa place, mais j'ai dû me retenir et j'ai senti une secousse générale. Si j'y pense en ce moment, j'éprouve les mêmes sensations que tout à l'heure, mais moins violentes; ça me donne une tendance à serrer les poings, à serrer les dents, à marcher, à me donner du mouvement. »

Ces exemples, d'observation courante, pourraient être indéfiniment multipliés; ils suffiront à montrer que, dans le chagrin, l'anxiété et l'énervement, émotions survenant à l'idée d'un mal qui atteint le sujet ému, on observe une même sensation pénible, localisée au même lieu du corps, au creux épigastrique.
Dans tous ces exemples, dans tous ceux que pourrait fournir la vie psychologique normale, l'émotion a pour point de départ des complexus intellectuels. Or, il existe des psycho-névroses constituées par des accès émotionnels survenant brusquement et sans cause psychique, c'est-à-dire sans être précédés de phénomènes intellectuels capables d'engendrer l'émotion. Ces accès ont une durée variable et se reproduisent à intervalles plus ou moins réguliers. L'émotion y est souvent très intense; elle cesse assez brusquement et fait place, lorsqu'elle est douloureuse, à un état de lassitude qui disparaît ensuite progressivement. Bien qu'ils n'aient dans l'esprit aucune idée, aucun élément intellectuel pouvant motiver l'émotion, les sujets atteints de ces maladies ont l'impression, pendant leurs accès, qu'ils sont, suivant les cas, dans un état de chagrin, d'anxiété, d'énervement, etc., et les descriptions qu'ils donnent de ce qu'ils éprouvent correspondent exactement aux descriptions de ces émotions, quand leur mode de production est normal. L'intérêt psychologique de ces psycho-névroses est très grand, puisqu'elles nous montrent les émotions complètement dégagées de tout phénomène intellectuel; les accès qui les constituent réalisent de véritables expériences de laboratoire isolant l'émotion et la présentant dans des conditions particulièrement favorables à l'observation analytique.

Voici des observations de chagrin, d'anxiété et d'énervement périodiques:

Chagrin périodique

Obs. X — Une femme, âgée de 55 ans et atteinte de polynévrite des membres inférieurs depuis plusieurs années, présente depuis cinq ans, par intervalles, des crises de chagrin à peu près quotidiennes. Elles surviennent tantôt dans le courant de la matinée, tantôt au réveil, d'autres fois l'après-midi. Voici comment la malade décrit sa crise:
« Ça me prend tout d'un coup, là, à l'estomac, par un serrement (la malade montre son creux épigastrique); ça me fait une peine, mais une peine profonde, comme un grand chagrin; il me semble que je perdrais tous les miens que je n'aurais pas plus de peine. C'est un ennui, par le fait, ce serrement; aussitôt que le serrement se produit, c'est un chagrin, une peine immense qu'il n'y a pas de raison par le fait, c'est un chagrin que je ne puis pas définir pourquoi. C'est tout d'un coup que ça me vient et sans penser à rien; puisque quand ça me vient au réveil je n'ai pas eu le temps de penser que je sens cette chose, là, à l'estomac. Ça dure une demi-heure à une heure, jusqu'à ce que j'aie pleuré, quelquefois je me retiendrai de pleurer, alors, n'est-ce pas, je souffre plus longtemps, ça me serre; je pleure beaucoup, mais beaucoup, je sanglote, alors je sens que ça se détend, ça se calme, je ne me sens plus ce serrement. Pendant ma crise, je suis abattue, anéantie; mais je suis très abattue après quand j'ai pleuré. L'abattement s'en va peu à peu. »
Si l'on exprime à la malade des doutes sur la possibilité de sentir un chagrin au creux épigastrique, si je lui dis notamment que le chagrin se sent dans la tête, voici ce qu'elle répond: « Non, je ne sens rien à la tête, c'est là, toujours là, au creux de l'estomac. »
En résumé, la malade a une crise à peu près quotidienne de chagrin intense, caractérisé par une sensation constrictive au creux épigastrique; la crise dure d'une demi-heure à une heure, se termine par des sanglots, et laisse persister après elle de la lassitude qui disparaît graduellement.
La caractérisation de l'émotion qui constitue l'accès de la malade, résulte non seulement de l'impression qu'elle en a, mais encore des caractères que l'interrogatoire met en évidence et qui sont les mêmes que ceux que nous ont montrés les observations I, II et III, où le chagrin avait une cause intellectuelle.

Anxiété périodique

Obs. XI — Il s'agit d'une femme âgée de 30 ans et qui présente depuis deux ans des crises d'anxiété survenant à intervalles variables et d'une durée pouvant aller d'une demi-heure à un mois. Quelle que soit la durée de la crise, l'intensité de l'anxiété y est à peu près la même, en sorte que la malade, au début d'une crise, n'a aucun indice lui permettant d'en présager la durée.
Nous allons donner la description d'une crise ayant duré une quinzaine de jours. D'abord, c'est bien l'anxiété qui est la base de la crise, car non seulement la malade a nettement l'impression que, malgré l'absence d'idées émotionnelles, elle est dans le même état que celui où elle se trouverait si elle craignait un malheur, — c'est une anxiété comme si l'on me disait: Votre mari va être tué; c'est une anxiété pareille à celle qui est avec motif, mais je n'ai pas de motif et ça me fait la même chose, — mais encore l'analyse que l'interrogatoire, — un interrogatoire, bien entendu, soigneusement étudié et très circonspect, — l'incite à faire de sa crise, répond en tous points aux descriptions des observations IV, V et VI où l'anxiété est déterminée par des états intellectuels.
Voici la description de la crise: « Ça m'a pris tout d'un coup, très fort dès le premier jour, et ça a été fort la même chose, tout le temps que ma crise a duré. Ça me faisait comme un poids, comme quelque chose de lourd à la poitrine (indique la région rétro-sternale) qui m'empêchait de respirer et puis alors un serrement à l'estomac; je ne pouvais pas rester en place, il fallait que je marche, les nerfs me faisaient mal; la nuit je ne pouvais pas dormir, je me retournais dans mon lit, et lorsque je sommeillais un peu, j'avais des cauchemars. Pas de palpitations. L'anxiété m'a quitté tout d'un coup, comme ça m'a pris. Après, j'ai été abattue pendant deux ou trois jours. Quand l'anxiété s'en va, je me sens soulagée, mais je reste fatiguée comme quand on a marché, je me sens brisée, alors j'éprouve un bien-être d'être étendue sur le lit; mais je sens mon cerveau vide, le moindre effort pour penser me fait mal; je reste couchée pendant quelque temps, puis je m'occupe, mais ça me dure quelques jours que j'ai du mal à me remettre; puis, ça se passe petit à petit et je redeviens normale. »
La durée de la lassitude de la malade est en rapport avec la durée des crises: avec des crises de quelques heures, l'asthénie qui leur fait suite est de courte durée. Après une crise ayant duré un mois et demi, la malade est restée asthénique pendant une dizaine de jours: « J'ai eu beaucoup de mal à me remettre, je suis restée abattue au moins dix jours; l'abattement diminuait de jour en jour, mes idées revenaient de jour en jour. »
En résumé, la malade a des crises d'anxiété de durée variable et d'intensité à peu près constante; mais l'asthénie consécutive a une durée en rapport avec celle de l'anxiété. L'anxiété est caractérisée par les éléments qu'on observe dans l'anxiété normale, sauf, bien entendu, les éléments intellectuels déterminants qui, ici, font défaut; ce sont: la sensation constrictive épigastrique, l'oppression respiratoire avec sentiment de poids sur la poitrine, la tendance impulsive au déplacement, à la marche; l'insomnie. Après la cessation de la crise apparaît l'asthénie caractérisée par la lassitude et l'amidéation. L'asthénie disparaît graduellement.


Partie : 1 - 2 - 3 - 4 - 5

Utilisation des cookies

carnets2psycho souhaite utiliser des cookies.

Vous pourrez à tout moment modifier votre choix en cliquant sur Gestion des cookies en bas de chaque page.