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Le concept de la volonté - Partie 4

Revue de métaphysique et de morale

En 1907, par Höffding H.

La volonté est en rapport intime avec le sentiment de plaisir et le sentiment de douleur. Non seulement le plaisir et la douleur sont décisifs pour la direction de la volonté, en deviennent les motifs; mais le contraire a lieu aussi, ce qui favorise la direction fondamentale de notre vie fait naître, en nous, le plaisir; ce qui l'entrave provoque la douleur. Et c'est ce dernier processus qui est le primitif. Il nous présente la seule possibilité de comprendre, en quelque sorte, la signification biologique des sentiments. De même que les sensations ont leur signification biologique comme signes de ce qui se passe dans le monde extérieur ou dans notre organisme, de même les sentiments de plaisir et de douleur sont les signes d'un mouvement progressif ou d'un mouvement rétrograde de notre effort, au cas le plus simple de l'effort de vivre, d'exister, celui que Hobbes appelait « conatus primus ». Ainsi ce sont nos sentiments qui nous font connaître notre vouloir le plus intime. Dis-moi ce qui te fait plaisir, ou ce qui te fait de la peine, et je te dirai ce que tu veux! Une manière de voir évolutionniste mené a pressentir, sinon à clairement comprendre la signification des sentiments. Les êtres les plus élémentaires n'ont à leur disposition ni symptômes, ni signes. Il s'agit, pour eux, d'être ou de ne pas être, de vivre ou de mourir, sans le pressentiment de la direction dans laquelle se meut leur vie. La naissance des sentiments de plaisir et de douleur indique un type vital supérieur, les symptômes rendant possible le changement de la direction ou son maintien et l'accélération du mouvement d'après les exigences de la vie. Un philosophe l'a dit: substitution of pleasure and pain for life and death as the sanctions of conduct! Par analogie on peut appliquer cette concidération à tous les degrés de la vie, au plus élevé comme au plus bas, au plus idéal comme au plus matériel. Partout une activité fondamentale dans une direction déterminée et amenant ainsi avec elle la possibilité de favoriser ou d'entraver, est la présupposition de toute vie psychique.

Le besoin et la direction de notre nature ne sont pas les mêmes à chaque degré, leur histoire est la vraie histoire de notre vie. C'est ce besoin et cette direction qui déterminent autant notre nourriture intellectuelle que notre nourriture matérielle. Spinoza le premier a exprimé cela le plus clairement en disant: « Nous ne recherchons, ni ne voulons, ni ne désirons, ni ne souhaitons une chose parce que nous la considérons bonne, mais nous la considérons bonne parce que nous la recherchons, la voulons, la désirons et la souhaitons. » C'est pourtant une vieille vérité connue déjà d'Aristote et de saint Augustin.

Jusqu'à quel degré la direction primitive de notre vie (notre tempérament, notre talent, notre caractère) pourra se développer et se changer, quand la conscience du but et des moyens sera éveillée en nous, voilà la grande question, qui nous mène au delà de la psychologie à l'éthique et à l'hygiène sociale. Mais il faut que toute théorie avoue que nous commençons à un degré où nous ne nous sommes pas placés nous-mêmes, et avec des présuppositions qualitatives et quantitatives que nous ne nous sommes pas données nous-mêmes. Notre premier vouloir fait tellement un avec nous qu'il ne pourra pas être considéré comme notre propre œuvre dans le sens où le peut un vouloir ultérieur.

Et à travers un grand nombre de modifications et de métamorphoses on trouve la trace de ce premier vouloir jusqu'aux formes de volonté les plus élevées. Il donnera à celles-ci une empreinte particulière, il décidera de leur timbre. Fichte soutenait une impossibilité psychologique il avoua que le « point où nous nous trouvons la première fois que nous sommes capables d'user de la liberté ne dépend pas de nous », mais il ajouta que « la courbe que, de ce point, nous traçons de toute éternité dépend complètement et dans toute son étendue de nous. » On ne peut séparer, d'une manière aussi extérieure l'involontaire et le volontaire, ce qui est donné et ce qui est produit par nous-mêmes. Nous naissons actifs, et même notre activité la plus élevée est influencée par les conditions de notre naissance.

D'après la théorie que je viens d'exposer c'est une longue série de phénomènes divers qui constituent l'objet de la psychologie de la volonté. Mais une question se pose alors naturellement: peut-on établir, pour des phénomènes aussi hétérogènes, une conception générale, universelle?
Toute conception qui doit s'appliquer à une série de phénomènes différents est fondée sur l'analogie. Plus minutieusement nous les examinons, plus les circonstances varient d'exemple en exemple, à un tel degré qu'il ne sera pas possible de « déduire » des critériums qui se retrouvent partout identiques. Cependant, quoique tous les traits particuliers puissent varier, il peut y avoir une ressemblance dans leur rapport mutuel, et c'est cette ressemblance de rapport qui rend possible la formation des concepts. Dans les phénomènes dont je me suis occupé plus haut, les degrés de conscience et les formes de conscience présentent la plus grande variété possible. Même des psychologues qui, a priori, rétrécissent le concept de volonté plus que je n'estime possible ou nécessaire, doutent de la possibilité de la formation d'un concept de volonté typique. Cependant, je crois possible de trouver, entre eux un point de ressemblance qui permette aussi de caractériser l'élément de volonté dans sa différence avec les éléments de connaissance et de sentiment. A partir du besoin d'activité et du besoin de conservation involontaires jusqu'au vouloir qui est capable de faire un choix en pleine conscience, il y a deux traits qui reviennent toujours dans des circonstances différentes: 1° la direction de l'activité est déterminée par une préférence, et 2° c'est surtout la propre nature intime de l'individu qui décide de ce qui sera préféré. Voilà sur quoi est fondée l'analogie entre tous les phénomènes de volonté. Il faut que l'équilibre soit aboli, et qu'une différence de direction déterminée par le rapport à la nature de l'individu, se fasse sentir. Or, tant que dure la vie, il n'y a jamais d'équilibre complet, en nous ou autour de nous, donc un vouloir continuel s'agite en nous, et notre préférence ne se fait avec conscience que là où les différences deviennent de nature plus intensive. Le besoin d'activité, le mouvement réflexe et l'instinct supposent tous une différence dans les circonstances intérieures et extérieures, et consistent dans un excédent, une expansion dans l'une ou dans l'autre direction. Dans le désir la différence dépend non seulement de l'impression et de la sensation, mais de la représentation d'un but et du contraste entre ce but et l'état actuel, contraste qui se perçoit tout spontanément. Dans la résolution une rencontre se fait entre deux valeurs dont chacune peut être formulée en jugements, et c'est cette rencontre qui détermine la décision: la valeur qui est le plus fortement liée à notre nature, est préférée et par là même se présente comme la plus grande des valeurs.

En tant qu'elle est préférence, qu'elle détermine pratiquement des différences, ou différencie activement, la volonté tombe dans le domaine de la loi de relativité, la loi principale valable pour tous les aspects de la vie consciente, et qui, évidemment, tient à ce que nous vivons dans un monde plein de différences et de contrastes. Une existence qui serait au-dessus de tout contraste et de toute résistance, ne saurait ni vouloir, ni sentir, ni penser, ni percevoir. La loi principale de la vie consciente renvoie à la forme fondamentale de la conscience, à la synthèse, à l'activité compréhensive: pour pouvoir distinguer et préférer il faut que deux éléments se fassent valoir à la fois et se tiennent le plus étroitement possible; alors seulement la différence et, peut-être au même instant, la préférence jaillissent. Et nous l'avons déjà remarqué, cette forme fondamentale étant une activité la volonté a plus d'affinité avec elle qu'aucun autre des aspects de la vie consciente. Plus les causes de nos états et de nos actions reposent en nous-mêmes, dans notre propre nature, la nature primitive ou celle acquise par l'expérience et l'action, plus nous sommes actifs. La mesure de l'évolution de la vie de la volonté est donnée par là.


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