Hallucination obsédante

Revue de psychiatrie : médecine mentale, neurologie, psychologie

En 1904, par Gimbal P.

Comme il n'est pas fréquent de constater l'association d'hallucinations et d'obsession, nous rapportons l'observation d'une malade du service de M. le professeur Joffroy, atteinte d'hallucinations obsédantes.
M... Cl..., 39 ans, couturière. Les antécédents héréditaires sont chargés. Sa mère a été internée à l'asile de Villejuif. Son père était buveur. Sur 9 enfants, 3 seulement ont vécu.
Quant à la malade, toute jeune, elle était peureuse, impressionnable, émotive. Elle ne pouvait supporter la vue du sang. Son frère s'étant blessé, une légère hémorragie se déclara. Elle assistait à l'accident. Elle se trouva mal aussitôt. Une autre fois elle eut peur de tomber d'une balançoire. Elle resta évanouie très longtemps, plus de deux heures, dit-elle. A la suite d'émotions, même légères, elle avait deux, trois syncopes par mois. Quand ses parents sortaient, elle craignait toujours qu'il ne leur arrivât quelque malheur. Elle était inquiète jusqu'au moment où ils rentraient. Elle fut réglée à 12 ans assez mal. Jeune fille, elle fut anémique.
A 24 ans, elle se maria. Son émotivité persista. Quand son mari ne rentrait pas à l'heure exacte, aussitôt elle avait de mauvais pressentiments. Elle craignait quelque catastrophe et cet état de malaise moral fait de crainte irraisonnée ne disparaissait qu'à la vue de son mari. Cette idée obsédante continue mérite attention.
En décembre 1902 survient une scène qui est le point de départ de l'état actuel. Sa petite fille étant tombée, notre malade accuse la concierge d'être la cause de cet accident. La concierge s'en défend énergiquement. Le soir même, la malade entend chez elle la concierge qui la traite de « voleuse, p... ». Un voisin d'en face, N..., lui dit: « On les tuera, ton mari, tes enfants. On les tuera ». Le lendemain, dans la journée, elle entend toujours N... qui lui crie: « On les tuera, ton mari et tes enfants ». Cette voix, elle la reconnaît bien. C'est sûrement la voix de N..., mais elle ne s'explique pas comment N... lui parle ainsi. Il doit être près d'elle. Elle ouvre les portes, le placard, l'armoire. Mais il sait si bien se cacher qu'elle ne le trouve pas. Toujours poursuivie par N... qui lui répète sans cesse: « On tuera ton mari, tes enfants », elle va se précipiter par la fenêtre, quand son mari rentre et l'empêche d'exécuter ce projet. Ce dernier essaie de prouver à la malade qu'elle a tort de croire que N... la poursuit, mais en vain. Elle reste convaincue que N... la persécute. Elle l'entend qui lui dit: « On tuera tes enfants, ton mari ». C'est lui qui parle à travers les murs. Il a un frère très intelligent qui est électricien et qui lui a enseigné comment on parlait à distance aux gens avec l'électricité. Quelque jours plus tard, N... lui criant sans cesse sa phrase de mort, elle est plus émue que jamais. Elle doit s'appuyer contre le mur sinon elle tomberait. Son cœur bat fort et douloureusement. Elle respire avec peine. Son angoisse grandit de plus en plus. Elle sort de chez elle et, sans se vêtir, en cheveux, court à l'atelier, à l'école, pour s'assurer si son mari, ses enfants sont vivants. Elle les retrouve sains et saufs. Elle se jette en pleurant dans leurs bras, immédiatement soulagée. Son anxiété disparaît. Elle retourne chez elle, heureuse. Mais là, N... lui dit de nouveau: « Ton mari, tes enfants sont morts ». Nouvelle palpitation de coeur, nouvel étouffement, nouvelle angoisse. La malade, affolée, retourne à l'atelier, à l'école, et la vue de son mari, de ses enfants, calme son anxiété aussitôt. Ces sortes de crises d'hallucinations obsédantes, toujours identiques, se renouvellent 3 ou 4 fois par jour pendant un mois.
En janvier 1903, la malade quitte son quartier et va habiter loin de N... Il la poursuit encore, sans répit. Le 6 janvier, elle va à Tenon, y reste quinze jours. Puis elle est envoyée au Vésinet. Là, c'était pire. N... ne lui laisse aucun repos, lui répétant sans cesse: « Ton mari et tes enfants sont morts ». Elle revient à Tenon et, durant quelques jours, N... la laisse tranquille. Mais les hallucinations de l'ouïe recommencent bientôt et la malade entre le 2 mars dans le service de M. le professeur Joffroy.
Dans la voiture qui l'a amenée à l'asile, elle a entendu N... qui lui disait qu'elle ne reverrait jamais ni son mari, ni ses enfants. Il l'a traitée de: « voleuse, p... ». Il s'est servi pour lui parler d'électricité. La nuit, elle entend encore N... Elle ne s'explique pas pourquoi N... la poursuit ainsi. Elle reconnaît qu'il est étonnant que N... qui travaille toute la journée, veille toute la nuit pour la persécuter. Elle accepte qu'on discute ses hallucinations, son délire, mais elle y croit.
La malade présente d'autres hallucinations qui, du reste, dépendent des hallucinations de l'ouïe. Un matin N... lui a dit: « Ton mari est en pourriture ». Elle a senti aussitôt une odeur de cadavre. Une autre fois, N... lui dit : « Il est bon ton lait », elle y trouva un goût de pétrole.
A Tenon, elle aurait vu N... qui, en passant auprès d'elle, aurait prononcé sa phrase habituelle: « Ton mari, tes enfants sont morts ». Il est probable qu'il s'agit là d'une illusion.
Pendant les mois de mars, avril, mai, les hallucinations de l'ouïe persistent. N... lui dit moins souvent cependant que son mari, ses enfants sont perdus. Elle n'a plus d'hallucinations du goût, de l'odorat, ni d'illusions de la vue.
Au commencement de juin, la malade va mieux. Elle s'occupe, elle travaille dans le service. Les hallucinations de l'ouïe sont de plus en plus rares. A ce moment, l'on traite les hallucinations de l'ouïe par le vertige voltaïque. Au bout de six séances de ce traitement, la première instituée le 3 juin et la dernière le 25 juin, la malade n'a plus d'hallucinations de l'ouïe, ou, plutôt, dit qu'elle n'en a plus. Il est permis de penser que ce traitement a précipité la guérison. Fin août, la malade sort de l'asile, n'accusant plus de trouble mental.
Voici donc une malade dont la mère a été internée, dont le père était buveur, et qui a hérité d'eux d'un fonds congénital d'émotivité pathologique. A la suite d'une émotion assez forte, elle a été atteinte d'un délire de persécution spécial par son début, sa composition, sa fin.
Le début a été soudain. Aussitôt les hallucinations de l'ouïe, base du délire, ont été fréquentes, et les persécuteurs désignés.
Ces hallucinations de l'ouïe présentent un grand intérêt. S'il existe, à un moment donné, des hallucinations du goût, de l'odorat, ces dernières ont été consécutives à des hallucinations de l'ouïe.
Ces hallucinations de l'ouïe ont été brusques dans leur apparition. Elles ont été aussitôt, auditives verbales, bilatérales, bien extériorisées. Elles ont été très pénibles, très désagréables. Elles n'ont présenté aucune variété. Au contraire, leur monotonie, leur uniformité a été remarquable. C'était toujours la même phrase que N... répétait: « Ton mari, tes enfants sont morts. » Cette seule phrase résume l'histoire de la malade. C'est elle qui, par sa répétition incessante a provoqué une tentative de suicide; c'est elle, surtout, qui a fait éclater l'obsession.
De ce dernier fait, les hallucinations de l'ouïe doivent être distinguées en deux catégories. La première catégorie contient les hallucinations non suivies d'obsession: hallucinations non obsédantes; la seconde renferme les hallucinations accompagnées d'obsession: hallucinations obsédantes. Ces dernières ne se différencient des précédentes que parce qu'elles sont plus fréquentes, plus intenses.
L'hallucination obsédante, combinaison étroite d'hallucination et d'obsession, est due tout d'abord à la fréquence, à l'intensité de l'hallucination. Pendant quelques jours, en effet, au début, la malade a entendu N... qui criait: « Ton mari, tes enfants sont morts », sans éprouver d'obsession. Mais cette même phrase sans cesse répétée, avec une force toujours grandissante, a fini par provoquer l'obsession, c'est-à-dire par imposer cette idée de mort à la conscience de la malade d'une façon irrésistible et absolue.
L'hallucination obsédante ainsi établie, s'est renouvelée, par paroxysmes, de telle sorte que la malade passait alternativement par deux états, état d'hallucinations non obsédantes et état d'hallucinations obsédantes.
Ces hallucinations obsédantes, très pénibles, puisqu'elles empruntaient à la fois leurs caractères aux hallucinations et à l'obsession, ont duré plus d'un mois et n'ont disparu que lentement ainsi que le délire.
La combinaison des hallucinations et de l'obsession est si étroite qu'il est impossible de savoir où finissent les premières, où commence la seconde. Pour établir les rapports qui les unissent, il faut tenir grand compte du terrain sur lequel elles se sont développées. Notre malade présente un état dégénératif héréditaire marqué, révélé par une émotivité pathologique. Sa vie est divisée en deux périodes par l'émotion ressentie en Décembre dernier, à la suite de laquelle elle a fait un délire de persécution si curieux. Dans la première période, notre malade avait toujours peur qu'il ne fût arrivé quelque malheur, soit à ses parents, soit à son mari. Cette idée de malheur arrivé à une personne chère revenait sans cesse, depuis fort longtemps, mais elle ne s'accompagnait pas d'une angoisse telle qu'il soit permis de dire qu'il s'agissait là d'obsession. Mais notre malade était en état d'obsession latente. Il a suffi d'une émotion vive pour qu'aussitôt elle entre dans la seconde période, où l'obsession éclate, à la faveur d'hallucinations de l'ouïe, fréquentes. En somme l'hallucination obsédante a été la résultante d'une hallucination, forte, ininterrompue, invariable, greffée sur un terrain d'excessive émotivité. Entre l'hallucination et l'obsession, les liens sont tellement intimes qu'il est difficile de dire quel est des deux l'élément le plus important. Cependant, l'obsession a été le phénomène primitif, en ce sens qu'elle existait déjà avant l'hallucination, en tant qu'idée s'offrant toujours à la malade, et la tourmentant. L'obsession a orienté, a attiré vers elle, l'hallucination qui l'a reproduite dans sa forme, dans son contenu. L'hallucination obsédante, avec ses paroxysmes, a évolué comme une obsession. Aussi, est-il permis de penser que l'obsession est l'élément capital de l'hallucination obsédante.
L'hallucination n'a fait que donner à l'idée habituelle, obsédante par sa répétition, sinon par son cortège émotionnel, une vigueur nouvelle, si bien que cette idée obsédante a fini par s'emparer de la conscience, en une obsession vraie. L'analogie est complète entre l'hallucination obsédante et l'idée obsédante. Que l'idée obsédante s'impose d'elle-même, ou à la faveur d'une hallucination de l'ouïe, l'on conçoit que semblables soient les résultats.
En terminant, nous insistons sur ce fait que, maintenant encore, la malade croit en ses anciennes hallucinations. Par leurs caractères d'extériorité, de réalité, par la croyance absolue en elles de la malade, on est en droit d'affirmer qu'il s'est agi de vraies hallucinations et non de pseudo hallucinations.


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