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L'automatisme humain - Partie 2

Revue scientifique de la France et de l'étranger

En 1875, par Carpenter W.B.

Le second pas important fait par la science névrologique fut la détermination et la reconnaissance générale des propriétés indépendantes de la moelle épinière. Ceux qui ont été élevés au milieu des idées de la science névrologique moderne ont, sans doute, peine à croire que pendant le premier tiers de ce siècle on ignorât encore le caractère centrique de cet organe; Bell lui-même le regardait comme un faisceau de nerfs — un conducteur faisant communiquer avec le cerveau les troncs nerveux qui en sortent — et il admettait que le cerveau était (à l'exception des ganglions sympathiques) le seul centre du système nerveux des animaux vertébrés en général, et de l'homme en particulier. De même, le cordon nerveux ventral des animaux articulés était représenté par le disciple de Bell, George Newport, et aussi par le professeur Grant, comme un simple conducteur entre les ganglions céphaliques et les troncs nerveux. Et cependant, depuis longtemps déjà Prochaska et Legallois avaient prouvé par leurs expériences, non-seulement que la moelle épinière dans son ensemble est un centre d'action réflexe tout à fait indépendant du cerveau, mais même que des segments séparés de la moelle épinière peuvent exercer une action de ce genre indépendamment les uns des autres. Ainsi, pour les animaux articulés, quiconque avait coupé un ver ou un scolopendre eu plusieurs morceaux, et avait été témoin de la persistance des mouvements de chaque segment, aurait pu en conclure que ces mouvements étaient entretenus par les propriétés indépendantes des centres ganglioniques contenus dans les segments séparés. Legallois avait prouvé de plus que les mouvements respiratoires persistent après l'ablation de tout le cerveau proprement dit, le centre nerveux à l'action desquels ils sont dus étant l'extension de la moelle épinière dans la cavité du crâne, à laquelle on donne le nom de moelle allongée. Cependant ces faits étaient si généralement méconnus dans l'enseignement physiologique, que, d'après mes souvenirs, ils étaient seulement cités d'une manière vague, comme prouvant la persistance d'un état conscient inférieur après l'ablation du cerveau.

Pour tous ceux qui se rappellent aussi distinctement que moi la publication dans les Philosophical Transactions de 1833, ces Recherches sur la fonction réflexe de la moelle allongée et de la moelle épinière, par le docteur Marshall-Hall, il ne saurait être douteux que ce mémoire n'ait été la base des connaissances plus exactes que nous possédons maintenant sur l'action réflexe en général. Il est vrai que tous les principes développés par l'auteur de ce mémoire se retrouvent dans les écrits de Prochaska, moins clairement dans ceux de son prédécesseur Unzer, et moins distinctement encore et d'une manière plus éloignée dans ceux de Descartes. Mais les idées de ces philosophes, qui avaient devancé leur époque, n'avaient jamais été admises dans l'enseignement général de la physiologie; aussi devons-nous regarder les recherches de Marshall-Hall comme réellement originales, bien qu'en niant avec indignation la priorité des idées de Prochaska, il se soit exposé au reproche de plagiat. Quoi qu'il en soit, c'est la persistance de Hall à appeler l'attention sur les faits qui prouvent l'indépendance de la moelle épinière et de la moelle allongée comme centre, ou plutôt comme une série de centres d'action nerveuse, qui a fait accepter partout ce fait comme principe fondamental en physiologie, et admettre peu à peu d'une manière générale la production d'action réflexe sans intervention nécessaire de la conscience. Mais il est probable que ceux-là seulement qui ont pris part à la lutte se rappelleront l'opposition énergique avec laquelle la seconde partie de cette doctrine fut accueillie. Le caractère intentionnel des mouvements exécutés par une grenouille décapitée, lorsque, par exemple, ses pattes s'efforcent de repousser la sonde avec laquelle on irrite le cloaque, ou encore lorsqu'une de ses pattes essuie la goutte d'acide appliquée à la surface de l'autre, ce caractère, dis-je, était constamment invoqué comme preuve que le tronc décapité sent l'impression et fait un effort conscient pour s'en délivrer. Et de nos jours encore il n'est pas possible d'opposer à cette assertion une preuve directe du contraire, les seuls arguments que l'on puisse invoquer ayant tout au plus un caractère de très grande probabilité. En voici quelques-uns: 1° lorsqu'une grenouille est décapitée, la tête séparée du corps manifeste elle-même des actions réflexes — par exemple, la paupière se ferme si l'on en irrite le bord — de sorte que la séparation de la tête et du corps produirait deux centres de conscience distincts, ou deux moi, si l'on admettait que la manifestation de l'action réflexe suffit pour prouver la persistance de la sensibilité; 2° on peut encore multiplier le nombre de ces centres en coupant la moelle épinière au milieu du dos alors les actions réflexes des membres de devant s'exécutent sous l'influence du segment antérieur, et celles des membres de derrière sous celle du segment postérieur; 3° même chez l'homme, on voit assez souvent des cas où, le segment inférieur de la moelle épinière ayant, par suite d'une maladie ou de quelque accident, perdu toute communication avec le cerveau, on peut provoquer des mouvements réflexes des jambes en chatouillant la plante des pieds, ou en les touchant avec un corps chaud, sans que le malade ait la moindre conscience, soit de l'application du corps excitant, soit des mouvements que ce corps provoque. On a dit, il est vrai, que ce dernier fait ne prouve pas que les propriétés de la moelle épinière soient les mêmes chez la grenouille que chez l'homme; mais en même temps il faut dire qu'il y a une tendance chaque jour plus grande à reconnaître l'uniformité de la nature sur ce point comme sur bien d'autres, et à accepter les faits de conscience — ou d'inconscience — constatés chez l'homme, comme fournissant les meilleures données auxquelles nous puissions arriver pour interpréter les actions des animaux inférieurs qui s'exécutent par un mécanisme semblable.

Une fois ce principe admis, il est clair que, quelque intentionnel que soit le caractère de ces actions, le fait qu'elles s'accomplissent tout d'abord, sans pratique ou sans expérience, peut être regardé comme preuve suffisante qu'elles ne sont déterminées que par un mécanisme physique. C'est ce qui n'est plus contesté pour la succession rythmique des contractions et des dilatations des oreillettes et des ventricules du cœur qui entretient la circulation du sang; non plus que pour la succession régulière des mouvements respiratoires indispensables à l'oxygénation du sang, à l'état de veille, lorsque l'attention de l'être vivant est complètement absorbée par d'autres sujets, et à l'état de sommeil ou d'insensibilité complète. S'il est un ensemble de mouvements musculaires dont le caractère intentionnel soit évident, ce sont ceux qui produisent la toux ou la succion; et cependant nous savons par expérience que la toux s'exécute sans la moindre intention consciente, et même dans le plus profond coma qui soit compatible avec la continuation de la respiration ordinaire. La succion aussi, bien qu'elle exige une combinaison encore plus compliquée des mouvements de la respiration et de ceux de la déglutition, n'est qu'un acte purement réflexe, puisqu'elle est déterminée sur-le-champ par l'impression produite sur les lèvres de tout mammifère nouveau-né, quand même on aurait, comme dans les expériences faites sur un petit chien ou sur un cochon d'Inde, enlevé tout le cerveau proprement dit; on encore si, comme il arrive à quelques enfants, le sujet est venu au monde avec la moelle épinière et la moelle allongée intactes, mais sans avoir de centre nerveux supérieur.


II

Le principe de l'existence de l'action réflexe sans participation nécessaire de la sensation n'avait point encore complètement conquis sa place dans la doctrine générale de la névro-physiologie, lorsqu'un nouveau progrès de la plus haute importance, dû à des recherches d'une nature toute différente, vint donner à ce principe une forme et une perfection auxquelles, sans cela, il n'aurait jamais pu prétendre; — je veux parier de la démonstration de la différence essentielle — différence de structure et différence de fonction — qui existe entre les deux formes de substance nerveuse désignées dans l'anatomie de l'homme sous les noms de substance grise et de substance blanche. La détermination de cette différence, qui a une importance encore plus fondamentale que celle établie par Bell entre les nerfs moteurs et les nerfs sensitifs, ne fut pas l'oeuvre d'un seul physiologiste. On savait depuis longtemps que la partie blanche du cerveau, les cordons blancs de la moelle épinière et toute la substance des troncs nerveux ont une structure fibreuse; et les progrès des études histologiques — progrès rendus possibles par l'application au microscope du principe de l'achromatisme — vinrent démontrer que ces fibres se résolvent en petits lobes d'une extrême ténuité. D'un autre côté, il fut reconnu que la substance grise qui forme les circonvolutions de la surface du cerveau, mais qui occupe l'intérieur de la moelle épinière et des ganglions du système sympathique, ainsi que l'intérieur des centres nerveux ganglioniques des invertébrés, se compose de cellules ou vésicules, dont certains prolongements communiquent entre eux, tandis que d'autres se rattachent aux fibres des troncs nerveux. La différence entre la quantité de sang que reçoit chacune de ces deux formes de tissu nerveux n'est pas moins significative que celle de leurs caractères histologiques; c'est surtout dans la partie grise et la partie blanche du cerveau que cette différence se manifeste. En effet, tandis que les cellules nerveuses sont entourées d'un réseau de vaisseaux capillaires si serré, qu'aucun autre tissu ne reçoit pour le même espace une quantité de sang qui puisse y être comparée, la vascularité des éléments tubulaires du cerveau, de la moelle épinière et des troncs nerveux, n'a rien qui soit remarquable. Et il est facile de prouver expérimentalement que, tandis que l'interruption de la circulation sanguine dans le cerveau suspend immédiatement l'activité fonctionnelle de cet organe, le pouvoir conducteur des troncs nerveux persiste longtemps encore après l'arrêt général de la circulation du sang dans leurs vaisseaux.


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