Les croyances sociales : interview de Nicolas Roussiau

Nicolas Roussiau est Professeur de psychologie sociale à l'Université de Nantes et directeur de l'axe de recherche "Cognition et croyances" du Laboratoire de Psychologie des Pays de la Loire (LPPL).
Il vient de publier un livre intitulé "Croyances sociales : Spiritualité, religion, croyances ascientifiques, croyances areligieuses" aux éditions In Press.


Pourquoi avez-vous réalisé cet ouvrage ?

J'anime depuis de nombreuses années un enseignement sur les croyances et la demande est venue de mes étudiants qui avaient des difficultés à trouver, notamment dans les manuels de psychologie sociale, des écrits sur la question des croyances. C'est donc un ouvrage à destination des étudiants qui doit leur permettre de découvrir la question des croyances et un certain nombre de thèmes qui leurs sont associés. Son objectif est tout d'abord de les intéresser et de leur donner ensuite l'envie de lire d'autres ouvrages pour approfondir leurs connaissances sur le sujet.


C'est en partie par l'imaginaire, les superstitions et les croyances que l'homme est parvenu à donner du sens à la vie et à son environnement. De cette façon, il a pu s'extraire de sa partie animale.
Par conséquent, peut-on en conclure que les croyances sont une caractéristique humaine ?

Les croyances sont bien évidemment une caractéristique fondamentale et indispensable du fonctionnement humain. La question du sens que l'on donne à son environnement et à sa vie conditionne l'existence de chacun, les suicides sont justement l'aboutissement d'un essoufflement de sens pour un individu. La science ne répond pas à la question : quel est le sens de ma vie ?
Les croyances qui s'inscrivent dans le domaine de la pensée sociale et qui sont le produit d'une pensée que l'on peut qualifier de naturelle le peuvent. Notre existence varie donc de l'émotion à la raison et le curseur qui fait varier nos idées et nos comportements est le produit d'une combinaison complexe entre l'individu, sa personnalité et l'environnement, conjoncturel et/ou culturel dans lequel il évolue.
L'homme rationnel n'existe pas, c'est un fantasme qui, sous bien des aspects, peut paraître rassurant mais qui présente aussi une inquiétante conception de l'individu. La question à laquelle nous devons répondre est comment vivre avec les croyances dans un monde pourtant saturé par des valeurs rationnelles ?


Il est tout à fait possible d'obtenir d'une personne qu'elle accepte des comportements qu'elle n'aurait pas adoptés par elle-même, sans exercer de pression sur elle. Pour cela, il suffit de solliciter auprès d'elle des requêtes de plus en plus coûteuses. On parle alors de soumission sans pression. Dès lors, l'individu risque de se retrouver piégé par ses propres décisions. En effet, il arrive à un point où son investissement est si grand qu'il ne peut se résoudre à l'avoir fait pour rien. Il va alors persister dans une série de comportements dont les conséquences peuvent être désastreuses.
Peut-on dès lors parler de radicalisation?

La radicalisation est un terme particulièrement usité ces derniers temps, mais l'utilisation du terme devrait s'associer à la question essentielle du lien entre les idées et les comportements, car avoir des idées radicales ne veut pas dire automatiquement « passage à l'acte ». On peut effectivement penser que l'embrigadement de type sectaire, est une forme de radicalisation et on connaît bien ses effets.
En psychologie sociale il existe une théorie, maintenant bien connue, la théorie de l'engagement (Kiesler, 1971) popularisée dans les années quatre vingt par l'ouvrage de Jean Léon Beauvois et Robet Vincent Joulé « Le petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens ». Si la théorie de l'engagement ne peut à elle seule expliquer le phénomène de radicalisation, elle présente des qualités bien spécifiques, des niveaux de prédictibilité relativement élevés, en terme d'intensité des changements et de durabilité, mais elle impacte aussi à la fois les idées et les actes. Même si cette théorie est de type opératoire, elle a toute sa place dans le phénomène complexe de la radicalisation.


Il y a encore quelques années, de nombreux intellectuels pensaient que les sociétés humaines seraient de plus en plus pilotées par l'évolution scientifique et technologique. De fait, ils prédisaient un déclin de la religion. Or, on constate aujourd'hui une monté des intégrismes religieux partout dans le monde. La science n'est donc pas parvenue à évincer la religion. En effet, si la science moderne a effectivement favorisé la rationalisation des esprits et l'autonomisation de la conscience, elle a aussi exacerbé l'individualisme et la conscience de notre finitude.
Finalement, peut-on penser que la science ne parviendra jamais à supplanter complètement la religion tant qu'elle ne sera pas en mesure de promettre, elle aussi, la vie éternelle ?

Aussi surprenant que cela puisse paraître, définir la religion reste un problème non résolu, nous avons en occident des définitions qui peuvent se discuter par ailleurs. De plus la science et la religion ne répondent pas aux mêmes questions et leurs logiques de fonctionnements sont différentes, infalsifiable d'un côté (Chalmers, 1982), en constant changement de l'autre.
La pensée scientifique est une pensée de contrainte activée à des périodes bien spécifiques, mais extrêmement coûteuses, même pour le scientifique. Nous vivons en grande partie avec les produits de la science, mais les avancées technologiques ne sont pas un rempart face aux croyances, alors la vie éternelle, dont rêvent tant les hommes, ne pourrait-elle pas amener de nouvelles formes de religiosité ?


La spiritualité semble jouer un rôle important dans le domaine de la santé. Aussi, de plus en plus de scientifiques s'intéressent à ce sujet. Toutefois, ils se trouvent confrontés à quelques problèmes méthodologiques ; à commencer par la définition même du terme "spiritualité" et des a priori qu'il suscite sur sa nature a-scientifique et son lien supposé avec la religion.
Malgré ces difficultés, vous (Roussiau, Bailly et Renard) avez réussi a concevoir, en 2016, une échelle de spiritualité a-religieuse. L'intérêt est de mesurer la spiritualité comme une expérience ou une attitude qui dépasse la question de l'appartenance ou non à une religion. Plus précisément, cette échelle permet d'évaluer quatre grandes composantes de la spiritualité :

  • Le bien-être
  • Le sens que l'on donne à sa vie
  • La transcendance
  • La relation avec autrui.

Ce type d'échelle n'existait pas encore en France. Vous êtes donc des pionniers et les résultats de votre étude semblent plutôt prometteurs ?

Le sens commun et l'idéologie religieuse associent la spiritualité au domaine religieux, mais la spiritualité peut se passer de la religion, encore faut-il s'accorder sur la définition qu'on lui donne. Dans les sciences humaines et notamment en psychologie on définit la spiritualité comme la combinaison de plusieurs dimensions : sens de la vie, transcendance, notion de sacré, altruisme, connexion avec la nature et même émerveillement.
Depuis quelques années des travaux, notamment nord américains, développent la séparation entre religion traditionnelle et spiritualité. Des recherches ont ainsi montré que l'on peut être athée ou agnostique et vivre avec différentes composantes de la spiritualité (Roof, 1993, 1999). Il est vrai qu'en France, le sujet de la spiritualité, et même de la religion, est beaucoup moins étudié que d'autres en psychologie. Les spiritualités religieuses et a-religieuses sont des domaines d'études novateurs et nous développons à l'université de Nantes toute une série de recherches et des travaux de thèses (dont certaines ont déjà été soutenues) sur les liens entre spiritualité et santé, mais aussi entre spiritualité et environnement.


Propos recueillis par Delphine Thomas.

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