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Le concept de la volonté - Partie 1

Revue de métaphysique et de morale

En 1907, par Höffding H.

Un débat caractéristique sur la volonté se poursuit dans la psychologie de notre époque. D'un côté on n'admet pas que la volonté puisse être posée comme un point de vue particulier de la vie consciente, un côté particulier ou un élément de celle-ci — peu importe l'expression qu'on choisit. De l'autre côté on maintient que la volonté dénote, au contraire, le point de vue le plus fondamental d'où considérer la vie consciente: celle-ci est, d'un bout à l'autre, vouloir, de sorte que les sensations, les représentations et les sentiments ne sont compréhensibles que dans leur rapport avec la volonté. Historiquement la première théorie remonte jusqu'à Hume; dans la psychologie moderne elle est représentée par MM. Münsterberg, Ehrenfels, Ebbinghaus et Lapie. La seconde théorie est exposée par Fichte et Schopenhauer; dans la psychologie moderne elle est représentée par MM. Wundt, William James, Fouillée et Jodl. C'est cette dernière théorie que j'adopte, et je vais tâcher, dans le présent article, de fonder ma manière de voir.

Le problème tient intimement à la position de la psychologie comme science empirique. On peut le formuler ainsi un vouloir peut-il être l'objet d'une observation simple et directe? Et sinon, a-t-on le droit de poser la volonté comme une manifestation indépendante de la vie consciente. Pour moi, je réponds négativement à la première question et, néanmoins, affirmativement à la seconde. Je suis donc d'accord avec la première théorie dans ses prémisses, mais je nie l'exactitude de sa conclusion, parce qu'elle néglige certains faits fondamentaux.

Si nous nous en tenons à ce que présente l'observation de soi-même directe et simple, nous ne trouvons jamais que des sensations, des sentiments et des représentations. Ce que nous appelons phénomènes de volonté apparaissent accompagnés de certaines sensations propres d'inquiétude, de désir, d'effort que nous semblons y mettre, d'énergie que nous semblons y appliquer. Ce sont des sensations plus agitées, moins en équilibre que les sensations de couleur et de son, mais non pas, en principe, d'une autre espèce. On peut les considérer comme des sensations kinesthésiques, des sensations de tension musculaire. Déjà à l'idée même d'une action que nous désirons faire ou que nous allons faire différents muscles se tendent, et une sensation particulière correspondante se produit. C'est surtout au moment de la résolution que cette sensation est forte. A côté d'elle nous trouvons ici des représentations de buts et de moyens, d'idéals et de normes, d'obstacles et d'effets; mais ces représentations se développent entièrement comme d'autres représentations et ne semblent pas pouvoir réclamer un chapitre particulier de la psychologie. Nous observons de plus des sentiments de plaisir et de douleur, d'espoir et de peur, d'enthousiasme et d'horreur, etc., mais tout cela appartient à la psychologie du sentiment. — Cette analyse est-elle exhaustive, ou bien y a-t-on laissé échapper quelque chose?

D'après mon idée on a laissé inaperçu quelque chose de très essentiel. Il est vrai que nous ne trouvons jamais que des sensations, des sentiments et des représentations par l'analyse psychologique, du moment que nous comprenons par « analyse la direction de l'attention sur des points particuliers et déterminés, et qui, dans une certaine mesure, peuvent être isolés et regardés séparément. Mais en ce cas nous avons fait commencer trop tôt l'abstraction. On a négligé un élément fondamental qui, il est vrai, ne peut être l'objet d'une unique observation. Nos sensations, nos sentiments et nos représentations ne se présentent jamais isolés. Ils sont, dans l'expérience réelle, comme les gouttes d'un courant; et ce sont la direction et la célérité du courant qui déterminent le rapport réciproque des gouttes et, par là aussi, d'une façon plus ou moins décisive, la nature de chaque goutte. Ce qui est vraiment donné n'est pas un chaos d'éléments isolés, mais des groupes et des ensembles, dirigés toujours, d'une manière plus ou moins claire, vers un but certain, vers un point déterminé, que celui-ci soit lui même l'objet de la conscience, ou non. Dans aucun état de conscience cette orientation, cette disposition dans une certaine direction ne fait défaut. Une direction ne se conçoit pas, en effet, par une observation unique, mais la réunion de plusieurs observations en est la condition nécessaire. Ce n'est pas en comptant les gouttes d'un fleuve et en les cataloguant que nous nous apercevrions que le fleuve a une direction déterminée. Si l'analyse psychologique doit révéler tous les faits, il ne faut pas qu'elle oublie celui-là qui est le plus important de tous les faits psychologiques. Si les arbres empêchaient Hume de voir la forêt la faute en est au caractère exclusif de son esprit, et cet exclusivisme fleurit chez ses successeurs modernes. Cependant, en y regardant de près, le développement et la forme de chaque arbre ne s'explique que par sa place dans la forêt. Il faut que la méthode analytique se supplée par une méthode génétique qui ne se contente pas de ce que la réflexion peut dégager à des phases où le développement est très avancé et où, par conséquent, l'indépendance apparente des éléments particuliers est plus trompeuse. Si par élément psychique on comprend tout ce que l'observation amène à distinguer comme une chose qui ne se laisse pas déduire d'autre chose dans la conscience, la direction permanente de la vie consciente est aussi bien un élément que chaque sensation, chaque sentiment et chaque représentation dans leur isolement. Il y a une action réciproque continue entre la direction du courant et la nature des gouttes, mais la direction ne peut pas plus se déduire des gouttes que celles-ci d'elle. La direction est l'élément historique de la vie psychique. C'est celui-ci qui détermine, d'un bout à l'autre, ce qui sera but et ce qui sera moyen, ce qui sera recherché et ce qui sera évité, ce qui sera favorable et ce qui sera défavorable. Nos sensations, nos sentiments et nos représentations sont à des distances très différentes de la détermination centrale de direction ou, si l'on veut du besoin et de l'effort primitifs et continus; mais leur rapport mutuel, leur nature intérieure et souvent leur existence même se déterminent par leur rapport à la direction centrale.

C'est ce que des psychologues intelligents ne peuvent pas omettre. Mais s'ils en reconnaissent la vérité tout en niant l'indépendance de l'élément de volonté, ils sont, incontestablement, en contradiction avec eux-mêmes. Ainsi Ebbinghaus. Il ne reconnaît comme « formes particulières et élémentaires de la vie psychique » que les sensations, les sentiments et les représentations. Des phénomènes tels que le vouloir ou l'effort ne sont que « des combinaisons particulières de sensations, de sentiments et de représentations et ne présentent « rien de nouveau par rapport à ces formes élémentaires » (Grundzüge der Psychologie, 1, p. 168). Cependant, quoiqu'il nie que les actes de volonté soient des « phénomènes fondamentaux de la vie psychique dans le même sens que le sont les sensations et les représentations », il admet qu'ils sont « les formes fondamentales des unités dans lesquelles les sensations, les représentations et les sentiments d'abord ont paru dans la réalité »; quoique « comme notions » ils ne soient pas finaux et primitifs, ils le sont quant au temps et au développement (zeitlich und genetisch, ib., p. 561 565). – A cette théorie je fais ces observations: 1° Comment peut-on dire que les actes de volonté ne présentent rien de nouveau. s'ils consistent en combinaisons ou unités caractéristiques? D'où provient ce qui leur est caractéristique? 2° Quelle, différence y a-t-il entre formes fondamentales et formes élémentaires, ou entre formes fondamentales et phénomènes fondamentaux? N'est-il pas nécessaire que, en tous cas, la forme fondamentale fasse partie du phénomène fondamental, de sorte que celui-ci ne puisse exister ni être compris sans celle-là? Et une forme fondamentale qui se manifeste dans les phénomènes psychiques, des plus simples aux plus élevés, ne pourrait-elle pas à juste titre être appelée forme élémentaire? 3° Les sensations, les sentiments et les représentations n'ayant, originairement, de réalité que dans les combinaisons que nous appelons actes de volonté, les trois catégories « d'éléments » en question sont de pures abstractions, si nous les considérons hors de l'enchaînement dans lequel seulement ils sont réels! On remplace par une scolastique atomistique la psychologie fondée sur l'expérience. Une théorie atomistique peut avoir sa raison d'être au point de vue méthodique; la science moderne en est un exemple frappant. Mais il faut d'abord prouver qu'on obtiendra un résultat quelconque en introduisant dans la psychologie cette manière de voir, et même s'il en est ainsi, il faut toujours distinguer entre une simple hypothèse utile et une explication exhaustive de ce qui est réellement donné.

Selon la théorie de la volonté que j'ai adoptée plus haut, et qui est admise par Ebbinghaus lui-même, quoiqu'il soit l'adversaire du « volontarisme », la volonté est intimement liée à toute la nature de la vie consciente, s'il est vrai que cette nature se manifeste par une action synthétique, une synthèse qui se fait entrevoir dans toute perception, toute mémoire, tout acte de penser et tout sentiment, aussi bien que dans tout vouloir. Si la volonté est l'expression la plus nette de la synthèse, et si, d'autre part, la synthèse est une activité, une fonction, on est même autorisé à dire que la conscience dans son essence est un vouloir. C'est sur ce point de vue que j'ai fondé ma psychologie. J'ai tâché de démontrer que la perception, la pensée et le sentiment ne s'expliquent pas sans cet élément d'activité original et continu, de sorte que toute psychologie même si l'on suit dans l'exposition la tripartition ordinaire – n'est en réalité qu'une psychologie de la volonté. A chaque point de la psychologie, de la connaissance et du sentiment nous revenons à une action fondamentale et à un besoin fondamental comme à une supposition dernière. La conception de la volonté implique en particulier que cette action compréhensive va toujours (dès son premier commencement qui ne fait qu'un avec le commencement de la vie consciente individuelle) dans une direction déterminée, la nature et l'étendue de la synthèse étant déterminées par un seul élément autour duquel la concentration a lieu. La conception de la volonté exprime plutôt le côté réel de la vie consciente; la conception de la synthèse caractérise plutôt son côté formel.


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