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La finalité sans intelligence - Partie 4

Revue de métaphysique et de morale

En 1900, par Globot E.

Il est aisé de voir que ces exemples répondent à la définition de la finalité, car le conséquent y est la raison d'être des antécédents. La fécondation croisée existe parce qu'elle cause une plus grande fécondité; les nectaires, les corolles larges ou éclatantes, les parfums existent parce qu'ils ont pour effet d'attirer les insectes; les étamines et le pistil de la sange et de l'épilobe présentent telles structures et tels mouvements parce que cela est favorable à la fécondation croisée. Il ne serait pas exacte de dire que l'effet est ici cause de sa cause, mais il est vrai de dire qu'il en est la raison. L'existence de la cause s'explique par les effets qu'elle produira.

Platon et Aristote définissaient la finalité par le bien. Une cause finale est une cause qui produit ses effets parce qu'ils sont bons. Nous voyons en effet, dans ces exemples, que la raison d'être d'une structure, c'est qu'elle est bonne. Le terme initial est l'apparition d'un avantage à titre de caractère individuel; le terme final est la fixation de cet avantage à titre de caractère spécifique.

Et il n'est pas nécessaire que la cause qui produit un bien soit une cause capable de prévoir des effets, c'est-à-dire une cause intelligente. La sélection darwinienne suffit à jouer le rôle qu'on assignait autrefois à l'intelligence. La cause qui produira l'effet avantageux agit seule, à l'exclusion des autres, parce qu'en fait les autres se trouvent forcément éliminés.

Mais, dira-t-on, ce n'est plus là une véritable finalité. Là où l'intelligence n'a point de part, il n'y a qu'un mécanisme, qui peut parfois imiter superficiellement la finalité, mais qui en diffère profondément; c'en est, en quelque sorte, la contrefaçon. Les faits que vous exposez font ressortir clairement que telle disposition organique sert à tel usage, mais ne prouvent pas qu'elle soit faite pour telle fin. La fécondation croisée sert à une plus grande multiplication; la couleur, le parfum, l'irrégularité des fleurs servent à la fécondation croisée. Vous confondez l'utilité avec la finalité. Et la preuve que la finalité est absente, c'est que votre terme initial, l'apparition d'un caractère avantageux, n'est qu'un heureux hasard; or le hasard est le contraire de la finalité. Si la sélection darwinienne a renouvelé la biologie, ce n'est pas en y introduisant la finalité, devenue désormais une notion positive, c'est au contraire en fournissant à la science le moyen de l'éviter.

Cette objection repose sur la confusion déjà signalée entre le terme initial et le terme final. Il est vrai que le terme initial est un caractère accidentel; mais aussi il ne saurait être question d'en donner une explication téléologique, puisqu'il est le commencement d'un processus de finalité. Le terme final n'est plus un caractère spécifique. L'unité est l'origine de la finalité; l'unité caractérise le terme initial, il sert à tel usage, mais il n'est pas fait pour cet usage; la finalité caractérise le terme final; il est bien fait pour tel usage, puisque c'est à cause de son utilité qu'il s'est fixé à titre de caractère spécifique. Pour qu'il y ait finalité, il faut: 1° qu'il y ait utilité; 2° que cette utilité soit une raison d'être. Le terme initial est utile, mais ce n'est pas parce qu'il est utile qu'il existe: il n'est donc pas une fin, ce qui n'est pas surprenant, puisqu'il est au contraire un commencement. Le terme final est utile, et c'est parce qu'il est utile qu'on le rencontre en effet: il est donc bien une fin.

La finalité n'est ni dans l'apparition première de la variation, ni dans l'hérédité. L'hérédité est une force naturelle, une cause efficiente. Elle tend à fixer toutes les variations, aussi bien celles qui sont indifférentes ou nuisibles. C'est la sélection qui explique que les variations utiles se fixent seules, en raison de leur utilité même. Nous n'avons pas à examiner ici si la sélection darwinienne suffit à tout expliquer, ni à discuter les corrections et les compléments qu'il y aurait lieu d'apporter à la doctrine: nous n'avons même pas à considérer si elle est vraie; nous la prenons comme une hypothèse. Elle suffit à nous montrer qu'il est possible de concevoir une finalité sans intelligence.

Maintenant, en quoi la finalité intelligente diffère-t-elle de la sélection?

Toute finalité, intelligente ou non, est un choix entre des possibles. Elle suppose qu'à un moment donné, il y a une certaine ambiguïté, remarquons-le bien, n'est pas contingence; ce n'est jamais arbitrairement et sans raison suffisante qu'un possible se réalise à l'exclusion des autres; l’ambiguïté des futurs est toujours une apparence, qui tient à ce qu'on fait abstraction de quelque circonstance déterminante. Ainsi, une plante peut être plus ou moins gorgée de sucs, les raisins de cette année pourront être plus ou moins juteux, plus ou moins sucrés; ils seront plus juteux si la saison est pluvieuse, plus sucrés si elle est chaude et sèche. Il ne s'agit ici que de possibilités conditionnelles. Des déformations très diverses des fleurs régulières peuvent se produire, et de fait on en observe accidentellement d'anormales. La déformation accidentelle qui est un avantage, est en réalité la seule qui puisse devenir spécifique; les autres ne paraissent possible que si l'on fait abstraction de quelque circonstance déterminante, qui est ici précisément la cause sélective.

La sélection naturelle est l'essai effectif de tous les possibles. Celui qui est le meilleur ne l'emporte que par l'épreuve de sa supériorité. La finalité intelligente est plus rapide et plus économique, parce que les possibles sont jugés avant d'être essayés; ou plutôt les essais sont faits idéalement au lieu d'être faits réellement. Elle est donc aussi une sorte de sélection, qui s'opère entre des idées. Le Dieu de Leibnitz conçoit dans sa pensée tous les mondes possibles, il les compare, les juge, et réalise le meilleur. La causalité efficiente ne suffit pas à rendre compte de l'univers, car la toute-puissance divine pouvait réaliser un monde différent de celui-ci: au point de vue de la causalité, il y avait plusieurs mondes possibles; mais la bonté de Dieu ne pouvait réaliser que le meilleur; au point de vue de la finalité, il n'y avait qu'un monde possible. Il y a donc, dans l'entendement divin, concurrence entre les mondes possibles et sélection du meilleur. Les choses ne se passent pas autrement dans nos propres délibérations. Il y a concurrence entre les divers partis que nous pouvons prendre, et sélection de celui qui est ou qui nous semble le meilleur. Le terme initial est toujours l'apparition d'un avantage, le terme final la réalisation de cet avantage.

L'analogie est complète entre la finalité intelligente et la finalité inintelligente; seulement l'intelligence abrège le chemin et diminue la dépense. La finalité, donc, n'est point la marque caractéristique et comme le sceau que l'intelligence imprime à ses œuvres. La finalité intelligente est un mode déterminé de la finalité en général.


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