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Nature des hallucinations - Partie 1

Revue Philosophique de la France et de l'Etranger

En 1907, par Leroy E.B.

A maintes reprises on a posé, sans parvenir à lui trouver une solution tout à fait satisfaisante, le problème de la différence psychologique entre une hallucination et une représentation ordinaire; l'hallucination étant définie « une perception sans objet », il n'y a pour l'halluciné, par définition même, au moment précis où se produit le phénomène, nulle différence entre son hallucination et une perception vraie, normale, et le problème pourrait être énoncé comme il suit: Quelle différence y a-t-il entre entendre et se représenter que l'on entend, entre voir et avoir des représentations visuelles, ou encore, entre sentir parler sa langue et imaginer des mouvements d'articulation; donc, il n'est pas question de chercher quelles différences existent entre des phénomènes psychologiques simples, tels que sont, par exemple, la sensation et le souvenir de la sensation ce que nous avons à comparer, c'est, d'une part l'hallucination, phénomène complexe, perception fausse jouant pour le malade le rôle d'une vraie, et d'autre part, la représentation d'une perception réelle, phénomène très complexe aussi.


I

On dit assez communément que la différence entre une hallucination et une représentation ordinaire, consiste en ce que l'hallucination est un état fort, la représentation, un état faible; et l'on n'insiste pas davantage. Mais l'expression « état de conscience fort est loin d'être claire: cette comparaison empruntée au monde physique ne signifie évidemment pas qu'un état de conscience dit « fort » soit un état de conscience capable de soulever des poids: que signifie-t-elle donc?

Sans quitter l'ordre des phénomènes psychologiques, nous voyons que des perceptions normales sont qualifiées souvent de plus ou moins fortes ou faibles: la perception causée par une mouche se posant sur le dos de la main est ainsi dite « faible », en comparaison de celle que causerait un poids de dix kilogrammes c'est-à-dire que l'on applique à la perception même, le qualificatif qui proprement convient à sa cause extérieure; je n'ai pas à discuter ici la légitimité de cette classification des perceptions, non plus que la propriété des termes employés, mais fait-on une classification comparable, emploie-t-on encore dans le même sens les mots « fort » et « faible » quand on dit: l'hallucination est un état de conscience fort, le souvenir un état de conscience faible? Évidemment non, puisque nul n'a jamais confondu le souvenir d'un poids de dix kilogrammes avec la perception, vraie ou hallucinatoire du poids d'un gramme; cela a été assez souvent répété dans les manuels pour que je ne croie pas nécessaire d'insister.

Ce qui est moins évident, c'est que le qualificatif de fort ne soit pas employé là avec le sens de tendant fortement à entraîner des actes: on pourrait convenir d'appeler représentations faibles des représentations ayant peu de tendances à entraîner des actes, et représentations fortes, des représentations ayant une forte tendance à entraîner immédiatement ou très prochainement des actes; mais, même alors, on ne pourrait ranger a priori l'hallucination parmi les unes plutôt que parmi les autres, car nombre d'hallucinations semblent n'avoir aucune tendance, soit immédiate, soit indirecte à entraîner des actes: telles, par exemple, les hallucinations hypnagogiques; le sujet en état hypnagogique, reste tranquillement dans son lit, même si les hallucinations sont effrayantes ou semblent de nature à provoquer une réaction motrice quelconque. Dans les rêves du sommeil normal d'ailleurs, il en est de même: le rêveur accomplit parfois sous l'influence de ses hallucinations des actes imaginaires, mais ceux-ci ne sont eux-mêmes que de nouvelles séries d'hallucinations, sans manifestations motrices appréciables.

La notion de force implique la notion de quantité, or la plupart des psychologues soutiennent, non sans raison, que les phénomènes mentaux, pris en eux-mêmes, ne sont pas mesurables; mais, le fussent-ils, on ne pourrait tout de même comparer immédiatement entre eux, quant à l'intensité, que des phénomènes manifestement simples: on ne peut ni additionner deux états complexes, ni les mesurer l'un par l'autre, avant de s'être assuré qu'ils sont de même nature et contiennent les mêmes éléments. Ayant à comparer les hallucinations aux représentations non hallucinatoires, nous ne sommes pas en droit de supposer a priori que ces deux catégories d'états sont identiques de structure et de composition; précisément ici, notre principale tâche sera faite quand nous saurons quels éléments ils renferment.

Tandis que certains ne voulaient voir entre l'hallucination et la représentation que des différences de quantité, d'autres ont au contraire supposé des différences essentielles: « L'hallucination, dit Parchappe (28 avril 1856, pp. 441-442), est-elle une simple modification en plus d'un état qui se produit normalement dans l'exercice ordinaire de l'activité psychique? Je réponds sans hésiter et très nettement non; l'hallucination est un phénomène anormal qui offre, il est vrai, de grandes analogies avec les produits de l'imagination surexcitée par la passion ou par la concentration volontaire, mais qui en diffère complètement et essentiellement ». Complètement, essentiellement, par nature, sont des expressions un peu vagues, et en tout cas, Parchappe n'aurait pu nier qu'il existe des ressemblances entre les hallucinations et les représentations ordinaires; ce fait qu'il existe à la fois entre elles des ressemblances et des différences, n'a rien qui nous puisse surprendre ou embarrasser, puisque ce sont des phénomènes complexes nous sommes amenés à soupçonner quelque différence de composition, à supposer que certains éléments de l'une ne se retrouvent pas dans l'autre, et réciproquement; il devient inutile, dès lors, de s'embarrasser en cette hypothèse d'une intensité plus ou moins grande des représentations, hypothèse si peu claire et qui ne s'appuie sur rien de précis.


II

La croyance est souvent considérée comme un des caractères les plus importants de l'hallucination: certains médecins d'aliénés diraient volontiers qu'une représentation non accompagnée de croyance n'est en aucun cas une hallucination.

Mais, une question d'abord s'impose croyance à quoi? Prise à la lettre, l'expression « croyance à la représentation », n'a pas grand sens; on peut croire seulement qu'une chose dont on a une représentation, existe objectivement ou n'existe pas, et, dans le cas qui nous occupe, « croyance à une représentation » ne peut être pris que dans le sens de: attribution à une cause physique, rattachement de cette représentation à un objet extérieur réel; un phénomène de conscience ne serait donc hallucinatoire, dans l'hypothèse à laquelle je fais allusion, que s'il est rattaché par le sujet à une telle cause ou à un tel objet.

Ici, il y aurait lieu d'examiner une question subsidiaire, à savoir: que faut-il entendre dans ce cas par objet extérieur ou phénomène extérieur « réels »? Cette question n'a pas en effet toujours été bien comprise: c'est ainsi que nombre de médecins aliénistes ont nié que les persécutés crussent à la réalité objective de leurs hallucinations visuelles; j'ai montré ailleurs (1908, pp. 317 et suiv.) que l'erreur commise par ces auteurs provient d'une confusion de mots: on oublie que réel s'oppose à irréel, naturel à artificiel, et l'on dit: le persécuté qui a une vision ne considère pas comme réel l'objet de cette vision, alors qu'on est autorisé seulement à dire: il considère cet objet comme artificiellement produit, ou comme artificiellement amené devant lui. Je compte d'ailleurs revenir sur cette question dans un prochain article.

En général, le malade halluciné croit à son hallucination, mais il est évident qu'il ne peut être question ici de croyance explicitement formulée; le malade ne fait pas, au moment où il est halluciné, un « acte de foi », il ne dit pas soit en paroles exprimées, soit en lui-même: « II y a là un objet réel », ou: « ce que j'entends, ce sont des paroles réelles ». Il ne pourrait le dire ou le penser qu'un peu après l'apparition de l'hallucination, et si elle est de courte durée, c'est seulement après sa disparition qu'il serait possible, soit d'affirmer avoir vu ou entendu quelque chose, soit de se rendre clairement compte que tout s'est passé dans l'imagination troublée; l'affirmation, intérieure donc, ou extérieure, elle manque le plus souvent: il n'y a pas croyance explicite; mais ce mode de croyance n'est pas le seul: beaucoup plus importante est la croyance en quelque sorte pratique, la croyance qui se traduit, non par des paroles ou une affirmation intérieure, mais par la conduite du sujet.

Tout en nous promenant à travers les rues, nous ne formulons pas à tout instant des actes de foi; nous ne disons pas: « Je crois que cette perception que j'ai en ce moment correspond à un objet extérieur réel, une voiture qui s'avance vers moi et qui, si je ne me dépêche pas de traverser, m'écrasera ». Mais cela même, nous le croyons implicitement, notre croyance se traduit par des actions qui se succèdent et se coordonnent d'une manière particulière, tout autrement que si nous pensions être le jouet d'une illusion; en d'autres termes, la croyance que nous avons dans la réalité extérieure de nos perceptions, se traduit purement et simplement par une adaptation de l'ensemble de nos actes volontaires et involontaires. Relativement aux hallucinations, la question se pose donc ainsi: le malade, au moment où il a la perception fausse, se comporte-t-il exactement comme il se comporterait si cette même perception était vraie?

Eh bien, dans la grande majorité des cas, le malade croit, au moins implicitement à son hallucination; s'il a par exemple des hallucinations auditives, vous le voyez leur répondre, se féliciter ou s'indigner des paroles qu'il entend, etc.; si c'est une hallucination visuelle, s'il voit, par exemple, un homme assis sur son chemin, il n'omettra pas de faire un détour pour l'éviter. L'influence de l'hallucination sur les actes du malade, est particulièrement nette et facilement observable chez les individus en état de somnambulisme, à qui l'on a suggéré des hallucinations visuelles.

Cette « conduite » de l'halluciné peut être réduite à un minimum, j'entends à un minimum d'actes, pouvant en outre ne durer qu'un temps extrêmement court; tel est le cas lorsque les actes exécutés par le malade en présence de l'hallucination consiste uniquement dans l'adoption d'une certaine attitude; on observe, par exemple, des malades auxquels une hallucination auditive donne un ordre, ils nient la réalité de la voix entendue et n'exécutent pas l'ordre, et pourtant leur attitude est tout autre qu'en présence d'une simple représentation. L'halluciné de l'ouïe, prend l'attitude de quelqu'un qui écoute, il incline la tête et prête l'oreille; l'halluciné de la vue prend l'attitude de quelqu'un qui regarde, etc. Cela est si vrai que, dans certains cas où le malade, volontairement ou pour quelque autre raison, reste dans un état complet de mutisme, son attitude seule, l'inclinaison de sa tête ou la direction de son regard, permet de reconnaître l'existence d'une hallucination.

Cette modification de l'attitude, et par conséquent, toute espèce de manifestation d'une croyance, même implicite, peut elle-même manquer; le sujet peut n'être en aucune façon, même avant toute réflexion, dupe de son hallucination.


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