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La nature de la pensée logique - Partie 2

Revue de métaphysique et de morale

En 1909, par Aars K.

Aux étapes primitives de la réflexion, les ressemblances des choses avec les états psychiques sont bien multiples, et il n'y a à vrai dire que cette seule différence que la chose est la même, quand la sensation n'est plus là: qu'elle dure d'une façon assez stable et indépendante de toutes les choses vécues. Ce petit attribut de la chose, à savoir qu'elle dure, renferme donc déjà, comme nous l'avons dit, l'analogie, ou l'induction. Nous nous sommes proposé de réviser un peu les idées qu'on s'est faites sur la nature de la pensée humaine. Il y a des gens qui pensent qu'il est pratique de dire que penser est la même chose que comparer, que trouver de la ressemblance et de la différence entre les états psychiques. Nous ne voulons pas discuter sur le langage et sur l'usage des mots, mais nous maintenons que de cette façon avoir de la conscience et penser seraient à peu prés une seule et même chose: personne ne peut avoir conscience des choses vécues sans en même temps les distinguer les unes des autres. Cependant il serait peut-être plus pratique de se servir du mot pensée non pour les processus qui consistent à trouver quelque ressemblance plus ou moins grande, mais pour la constatation de l'identité, pour l'amalgamation de deux états en une seule unité. Pour aller plus sûrement on ferait bien d'user de termes spéciaux pour les différentes opérations intellectuelles. Je proposerai d'appeler l'activité primitive qui compare les états psychiques, distinction, l'établissement des unités secondaires, assimilation, et enfin, la croyance à une objectivité réelle quelconque, projection. Comme cela, nous pouvons laisser chacun choisir librement dans laquelle de ces trois fonctions fondamentales il veut trouver le commencement de la pensée humaine. En tout cas, il ne peut y avoir aucun doute sur leur ordre génétique: c'est la distinction qui est le fond de toute notre vie, et d'autre part, c'est l'assimilation qui représente la condition de toute projection réelle.

L'assimilation veut donc dire l'établissement d'une unité secondaire dans le sens de substitution d'un état psychique un autre. Les idées de l'Unité et de la Dualité sont déjà réalisées par la distinction; je ne dis pas que toute l'énumération et toute l'arithmétique sont déjà dans la simple distinction, où l'idée des deux Unités peut être bien vague et confuse, sans qu'elle puisse cependant y manquer complètement. Toute distinction donne l'idée de Deux, en opposant une Unité à l'autre. Au point de vue de l'analyse psychologique, poussée jusqu'à son dernier terme, il n'y a pas d'autres unités véritables que les éléments psychiques, l'indivisible extensif, qualitatif et temporel. Au point de vue de cette analyse, toutes les autres unités sont composées, synthétiques, additionnelles; mais comme les unités synthétiques sont toutes constituées par l'opération même de la distinction, elles ne nous occuperont pas ici. L'importance épistémologique de l'unité de la substitution est bien plus capitale que celle de la synthèse. Le prototype de la substitution se trouve peut-être dans la durée simple d'une sensation dont le commencement, par la durée même, est transformé en souvenir. J'éprouve par exemple une douleur forte à une dent, et alors ce n'est évidemment que la sensation du dernier moment qui vraiment est de la sensation; le reste est souvenir. Néanmoins, mon Moi ne fait pas de distinction, mais trouve qu'il n'y a qu'une seule douleur qui subsiste pendant tout le temps. C'est conformément à ce prototype d'identification des choses différentes que se comportent les autres cas d'assimilation psychique. Des souvenirs plus ou moins vifs sont identifiés les uns aux autres. La reconnaissance des images psychiques est comprise dans la théorie de l'assimilation. Les images et les souvenirs qu'on tient pour identiques peuvent en réalité différer sérieusement les uns des autres, en qualité, forme, extension, intensité, vivacité, etc.

Je pense maintenant que cette assimilation, où dans une image on croit en reconnaître une autre, est au fond de toutes nos idées sur une réalité extérieure. C'est surtout l'expérience du symbolisme, c'est-à-dire qu'une image reproduite peut représenter une véritable sensation, et se confondre avec celle-là, de sorte que par l'image on croit penser la sensation, qui comporte des conséquences pour la réalisation d'une objectivité.

Ce processus d'amalgamation des différentes représentations entre elles ou avec les sensations, a souvent été décrit dans la psychologie moderne. Une des meilleures descriptions que je connaisse se trouve dans la Psychologie du raisonnement de M. Alfred Binet. On trouve cependant une faute habituelle dans les analyses de ce genre: on ne fait pas de distinction nette entre les unités synthétiques et les unités de substitution. La substitution se distingue de l'association simple en ce qu'une image psychique en représente une autre, et de la fusion par la possibilité qu'il y a de retrouver les parties séparées. Je crois donc que la première manifestation de cette substitution se trouve dans l'activité du souvenir. On croit parvenir, par la représentation psychique, et par l'idée du temps passé, à se rappeler qu'on a eu une véritable sensation. On semble donc avoir connaissance de cette sensation, quoique l'on ne la possède évidemment plus. L'image représentative peut, tout au plus, être le symbole de la sensation disparue. Dans cette conscience que nous avons de pouvoir reconnaître une sensation qui est disparue sans retour, se cache un mystère élémentaire. Il ne sert à rien de vouloir expliquer ceci par la ressemblance, par un écart minimum entre l'image et la sensation, ou par des voies analogues. La perception du passé doit être regardée comme un nouveau sens, un sens d'un ordre supérieur, un mystère élémentaire. Ici, il est peut-être correct de faire usage du mot pensée: nous rencontrons pour la première fois la nouvelle et mystérieuse fonction de vicarier ou de symboliser, qui est un trait caractéristique de toute pensée humaine, puisque nous croyons sans avoir présentes à l'esprit autre chose que les images représentatives, que celles-ci peuvent nous rappeler des sensations passées. En tout cas, il est juste et nécessaire d'appeler cette fonction projection, puisque c'est dans le temps présent que je me souviens du passé. Le moi du présent est comme un globe lumineux qui projette les souvenirs comme des étincelles à travers la nuit noire du passé. C'est le moi du présent qui pense le passé, et néanmoins je suis convaincu que les images que je pense dans le présent appartiennent réellement au passé. Il est donc impossible de réduire la perception du temps passé à une fonction d'analogie, dans le sens de surévaluation des ressemblances et de sous-évaluation des différences, ou d'une attention amoindrie pour les différences, etc. Ce qui s'est passé auparavant s'en est allé, mais nous y pensons par l'image psychique présente.

C'est là une assimilation élémentaire et primitive, une assimilation qui est en même temps une projection. On pourrait peut-être tâcher d'analyser la conscience de l'avenir d'une autre façon. Je ne sais pas s'il est en général possible, pour un esprit primitif et peu réfléchi, de s'attendre à un néant complet dans le concept de la mort personnelle, sans aucun avenir. Mais si cela était possible, le Nirvana ainsi attendu ressemblerait le moins possible à tout passé imaginable, et dans ce sens-là, on pourra donc dire que même la plus vague attente positive serait une analogie, c'est-à-dire une supposition de ressemblance avec le temps passé ou présent.


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