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Psychologie des titres - Partie 2

La revue des revues

En 1899, par Bainville J.

En passant des mains des apôtres juifs en celles de Grecs et de Latins, possédant une plus profonde culture et soumis à de meilleures habitudes de discipline intellectuelle, le christianisme perdit pour un temps cette tendance qu'il tenait de ses origines orientales. Les docteurs de l'Eglise s'efforçaient d'écrire des traités assez purs, assez polis, assez classiques, pour pouvoir être comparés à ceux des philosophes païens. Ils évitèrent avec soin tout désordre et toute extravagance qui, aux gens cultivés, eussent semblé barbarie. Mais quand le monde antique eut disparu, et quand, avec le moyen âge, s'ouvrit une période d'ardente foi et de mysticisme inquiet, toutes les coutumes anciennes des religions de l'Orient reparurent. Les titres des ouvrages de piété portèrent la même marque que les hymnes chantées au lutrin et les traités de théologie élaborés au fond des cloîtres. Toutes les métaphores furent remises en usage et en honneur. Ces âmes tourmentées de l'amour divin en inventèrent d'extraordinaires, et qui finirent bientôt par atteindre le ridicule et l'absurde. Au XIIIe siècle Saint Bonaventure, le Docteur séraphique, donnait ses pensées et ses prières sous ce titre plein de poésie: l'Itinéraire de l'âme vers Dieu. Mais deux cents ans plus tard, on n'a plus qu'une véritable déformation, une caricature de ce genre. Sainte Thérèse avait d'ailleurs montré la voie avec ses Sept châteaux de l'âme.

Il convient ici de citer des exemples sans commentaires: en voici quelques-uns choisis parmi les plus bizarres, La boutique de l'apothicaire spirituel. — Encensoirs fumants de pensées mystiques. Le brise-tête du dragon infernal. — Le faisceau de myrrhe (Angers 1525). — La chaîne d'or des vrais croyants. — Les sept trompettes pour éveiller les pécheurs. — La pieuse alouette avec son tire-lire, par le père Antoine la Chaussée (Valenciennes, 1638). — Le roman en rimes des trois pèlerinages; le premier de l'homme durant qu'est en vie; le second de l'âme séparée du corps, le tiers de N.S.J.C.; en forme de monotesseron, par Guillaume de Guilleville. — Le sucre spirituel. — Les tapisseries économiques tissues du fil de la sagesse. — Celui-ci se complique d'un calembour: la doulce moëlle et saulce friande des saints savoureux os de l'Avent (1578). C'est un recueil de pieuses réflexions sur les hymnes commençant par la lettre O et qui se chantent au temps de l'Avent. Citons enfin les Allumettes du leu divin, par le frère Pierre Doré, Cordelier.

On comprend que, au XVIIe siècle, à l'époque où le goût du gros comique allait jusqu'à travestir la Passion de Notre-Seigneur en vers burlesques (1649), on se soit moqué de ces titres ridicules chers aux dévots. Aussi, dans les ruelles précieuses, se divertissait-on fort de petites plaisanteries composées par des abbés galants et dont deux portent des noms tout à fait réussis dans ce genre: la Tabatière spirituelle pour faire éternuer les âmes dévotes vers le Seigneur, et encore la Seringue spirituelle pour les âmes constipées en dévotion. Et l'on pourrait croire que ce sont des brochures écrites sérieusement et en vue d'édifier les fidèles, si le témoignage de Pellisson n'était là pour affirmer que ce furent de simples parodies.

D'ailleurs, vers la même époque, du genre mystique et religieux, cette habitude de prendre des titres allégoriques s'étendit, sans que cela parût le moins du monde ridicule, à des livres de toute espèce. Ainsi l'on disait fort bien: le Rosier des guerres, compilé par le roy Loys unziesme de ce nom, ouvrage devenu d'une extrême rareté. Marguerite d'Angoulême, dame de haut goût et de très fine culture, écrivant un poème, où l'on releva plusieurs traces d'insigne hérésie, l'appelait: le Miroir de l'âme pécheresse (Alençon, 1531). On eut encore le Fort inexpugnable de l'honneur féminin (1555). Un poète précieux, nommé Charles Fontaine, fit, au XVIe siècle de ces poésies, Les Ruisseaux de Fontaine, mais Jacques Yver le dépasse par son recueil le Printemps d'Yver. Et l'on ne regardait pas non plus à faire de longs titres, pour mieux expliquer ses intentions. Ainsi, par curiosité, voici ce que portait la première page d'un poème d'un humaniste au XVIe siècle; L'éperon de discipline, pour inciter les humains aux bonnes lettres, stimuler à doctrine, animer à science, inviter à toutes bonnes œuvres vertueuses et morales, par conséquent pour les faire cohéritiers de Jésus-Christ, expressément les nobles et généreux. Lourdement forgé et rudement limé par noble homme Fraire Antoine du Saix, commandeur de Saint-Antoine de Bourg-en-Bresse (1532). Et le titre de la seconde partie sur l'Education, n'est pas moins long ni moins diffus.

Du même esprit participent encore les ouvrages pédagogiques du XVIIe siècle qui s'intitulent par exemple le Thésaurus ou Gradus ad Parnassum, avec lequel plusieurs générations ont composé des vers latins; ou bien c'est le Jardin des Racines Grecques, que cultivaient ces Messieurs de Port-Royal.

De nos jours même, la littérature religieuse a gardé quelque chose de ses habitudes d'autrefois. Avec moins d'exagération pourtant, on retrouve des titres à peu près semblables sur ces petits livrets à couverture pistache ou noisette qu'abomine M. J.-K. Huysmans, bon catholique, mais artiste. Et la meilleure preuve de cette survivance, on la trouverait chez le mystique Ernest Hello que, certes, on ne peut accuser de platitude. Un jour, cependant, Barbey d'Aurevilly, qui professait pour lui une grande admiration littéraire et une vive sympathie intellectuelle, ne put se tenir de le tancer vertement pour avoir présenté un de ses livres sous ce titre: les Plateaux de la Balance, image usée, vulgaire et jetée au rebut des allocutions de comices agricoles.

Une plus grande variété des titres s'introduisit dans la littérature lorsque, au XVIIIe siècle, un genre qui, jusque-là, n'avait eu qu'un développement médiocre, le roman, prit tout à coup une extension considérable, et destinée à devenir plus vaste encore de notre temps.

On s'était contenté, à l'origine, d'intituler les romans du nom du héros principal. Pour l'ordinaire, ces titres étaient rédigés comme il suit: Très élégante et délicieuse histoire du très noble et victorieux et excellentissime roy Perceforest, roy de la Grande-Bretagne (1528). Ou bien Très plaisante et récréative histoire du très preulx et vaillant chevalier Perceval le Gallois (1530). Et enfin la réimpression par Rabelais d'un antique ouvrage, très célèbre dans la vieille France, et schéma du chef-d'œuvre futur: les Grandes et Inestimables Chroniques du grand et énorme géant Gargantua (Lyon, 1532).

Au XVIIe siècle encore, les romanciers donnèrent à leurs livres le nom du héros: la Princesse de Clèves, Cyrus, Clélie, etc. Et au XVIIIe siècle même, les trois romans demeurés les plus célèbres et le plus lus, sont intitulés de la sorte: Gil Blas, Manon Lescaut, Paul et Virginie. Remarquons que c'est une coutume qui, de nos jours, tend à disparaître de plus en plus. Et c'est fort bien fait. A part quelques noms frappés justes, expressifs, caractéristiques de tout le personnage, rien n'est plus fastidieux que ces combinaisons de syllabes, faites le plus souvent au hasard. Nous demandons au titre une indication: l'auteur ne devrait jamais l'oublier. Et quand il n'est pas de force à faire des trouvailles de noms, comme le Tartuffe, Gobseck, ou Monsieur Alphonse, qui ont fini par rester attachés à des classes d'individus tout entières, il fera mieux de renoncer à ce procédé.


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