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Les moyens d'expression chez les animaux - Partie 3

Revue scientifique de la France et de l'étranger

En 1873, par Darwin C.

Un vétérinaire m'a affirmé avoir vu souvent le poil se hérisser chez les chevaux et les bœufs qui avaient déjà subi des opérations et sur lesquels il allait en pratiquer de nouvelles. Ayant montré un serpent empaillé à un pécari, je vis son poil se dresser d'une manière surprenante le long de son échine; pareil fait s'observe chez le verrat, lorsqu'il est mis en fureur. Aux États-Unis, un élan porta un jour un coup de corne mortel à un homme d'après un récit de cet épisode, il brandissait d'abord ses andouillers, en bramant avec rage et frappant le sol de ses pieds; ensuite, on vit son poil se hérisser, enfin il se précipita en avant pour attaquer. Pareille horripilation se produit chez les chèvres, et, d'après ce que j'ai entendu rapporter par M. Biyth, chez certaines antilopes des Indes. J'ai constaté le même phénomène chez l'anteater velu, et chez un rongeur, l'abouti. Une chauve-souris femelle, qui élevait ses petits dans une cage, « hérissait sa fourrure le long de son dos, quand on regardait dans la cage, et mordait avec fureur les doigts qu'on lui présentait ».

Les oiseaux appartenant à toutes les grosses espèces érigent leurs plumes lorsqu'ils sont irrités ou enrayés. Tout le monde a vu deux coqs, dès leur plus jeune âge, se préparer a fondre l'un sur l'autre, le cou hérisse l'érection de ces plumes n'est cependant pas pour eux un moyen de défense, car l'expérience a prouve aux amateurs de combat de coqs qu'il est avantageux de les couper. Le Machetes pugnax mâle dresse aussi son collier de plumes lorsqu'il se bat. Quand un chien s'approche d'une poule commune accompagnée de ses poussins, elle étend ses ailes, relève sa queue, hérisse toutes ses plumes, et, se donnant une mine aussi féroce que possible, elle se précipite sur l'importun. La queue ne se tient pas toujours exactement dans la même position elle est quelquefois si hérissée que les plumes centrales touchent presque le dos. Un cygne irrite dresse de même ses ailes et sa queue, et hérisse ses plumes; il ouvre le bec, et fait en avant de petits bonds agressifs, vers ceux qui approchent de trop près le bord de l'eau. Certains oiseaux des tropiques, lorsqu'on va les déranger sur leurs nids, ne s'envolent pas, dit-on, mais se contentent de hérisser leurs plumes en poussant des cris ». Le hibou (barn-osol), lorsqu'on l'approche, « enfle instantanément son plumage, étend les ailes et la queue, siffle et fait claquer son bec avec force et rapidité ». D'autres espèces de hiboux font de même. D'après les informations que m'a fournies M. Jenner Weir, le faucon érige aussi ses plumes et étale ses ailes et sa queue, dans des circonstances semblables. Quelques espèces de perroquets hérissent leurs plumes; j'ai vu agir de même un casoar, effrayé par la vue d'un anteater. Les jeunes coucous, dans leur nid, hérissent leurs plumes, ouvrent largement leur bec, et se font aussi effrayants que possible.

Certains petits oiseaux, m'a rapporté M. Weir, tels que divers pinsons, bruants et fauvettes, lorsqu'ils sont irrités, hérissent toutes leurs plumes ou seulement celles du cou, ou bien ils étalent leurs ailes et les plumes de leur queue. Dans cet état ils se lancent les uns contre les autres, le bec ouvert et avec une attitude menaçante. M. Weir conclut de sa vaste expérience que le hérissement des plumes est provoqué beaucoup plus par la colère que par la frayeur. Il cite comme exemple un chardonneret métis, de l'humeur la plus irascible, qui, approché de trop près par un domestique, prenait instantanément l'apparence d'une boule de plumes hérissées. Il pense que, en thèse générale, les oiseaux, sous l'influence de la frayeur, resserrent exactement toutes leurs plumes; la diminution de volume qui en résulte est souvent étonnante. Aussitôt revenus de leur crainte ou de leur surprise, la première chose qu'ils font est de secouer leur plumage. C'est chez la caille et chez certains perroquets que M. Weir a trouvé les meilleurs exemples de ce rapprochement des plumes et de cette diminution apparente du corps sous l'action de la frayeur. Cette habitude se comprend dans ces oiseaux, parce qu'ils ont été accoutumés, en face d'un danger, soit a se blottir sur le sol, soit a demeurer immobiles sur une branche, pour éviter d'être découverts. Assurément il est possible que la colère soit la cause principale et la plus commune du hérissement des plumes; cependant il est probable que les jeunes coucous, lorsqu'on les regarde dans leur nid, et la poule avec ses poussins lorsqu'un chien les approche, ne sont pas tout à fait exempts de frayeur. Je tiens de M. Tegetmeier que, dans les combats de coqs, le hérissement dos plumes de la tête, chez l'un des champions, est regardé depuis longtemps comme un signe avéré de couardise. Les mâles de quelques sauriens, lorsqu'ils se battent ensemble pendant leurs amours, dilatent leur poche ou sac laryngien et érigent leur crête dorsale. Toutefois le docteur Gunther ne pense pas qu'ils puissent dresser isolément leurs épines ou écailles.

Les exemples que nous venons de citer montrent combien le hérissement des appendices cutanés, sous l'influence de la colore et de la frayeur, est général chez les vertébrés des deux premières classes et même chez certains reptiles. Le mécanisme de ce phénomène nous a été révélé par une découverte intéressante due à M. Kôlliker, celle des petits muscles lisses, involontaires, qui s'attachent aux follicules des poils, des plumes, etc., et qu'on désigne souvent sous le nom de muscles arrectores pili. Par la contraction de ces muscles, les poils peuvent se redresser instantanément, comme nous le voyons chez le chien, en même temps qu'ils sont un peu attirés hors de leurs follicules; immédiatement après ils s'abaissent. Le nombre de ces petits muscles qui existent sur le corps entier d'un quadrupède velu est véritablement prodigieux. Dans certains cas, on voit s'ajouter a leur action celle des fibres striées et volontaires du pannicule charnu sous-jacent; par exemple, chez l'homme, quand les cheveux se dressent sur sa tête. C'est aussi par la contraction de cette dernière couche musculaire que le hérisson hérisse ses piquants. Il résulte en outre des recherches de Leydig et d'autres observateurs que des fibres striées se portent de ce pannicule a quelques-uns des poils les plus grands, par exemple aux vibrisses de certains quadrupèdes. La contraction des arrectores pili ne se produit pas seulement sous l'influence des émotions que nous avons indiquées, mais aussi par l'effet du refroidissement. Je me rappelle avoir observé au matin d'une nuit glaciale passée au sommet de la Cordillère que mes mulets et mes chiens, amenés d'une station inférieure et plus chaude, avaient le poil aussi hérissé sur toute la surface du corps qu'il peut l'être sous l'action de la plus profonde terreur. Nous constatons le même phénomène dans la chair de poule qui se produit chez nous pendant le frisson qui précède un accès de fièvre. Lister a remarqué que le chatouillement provoque aussi le redressement des poils dans les parties voisines du tégument. Des faits qui précèdent, il résulte évidemment que le hérissement des appendices cutanés est un acte réflexe indépendant de la volonté; lorsqu'il se produit sous l'influence de la colère ou de la frayeur, il faut le considérer non comme une faculté acquise dans un but utile, mais comme un phénomène accessoire résultant, au moins en grande partie, de l'action directe du sensorium impressionné. On peut le comparer, à cet égard, à la sueur abondante que provoquent l'angoisse de la souffrance ou la terreur Il est cependant remarquable de voir avec quelle facilité il se manifeste souvent par l'effet de la plus légère excitation; c'est ainsi que se hérisse le poil de deux chiens qui vont se jeter l'un sur l'autre en jouant. Nous avons vu d'autre part, par un grand nombre d'exemples pris dans les classes très différentes, que l'érection des poils ou des plumes s'accompagne presque toujours de mouvements volontaires variés l'animal prend une attitude menaçante, il ouvre la bouche et montre les dents chez les oiseaux, les ailes et la queue s'étalent enfin des sons sauvages sont articulés or il est impossible de méconnaître le but de ces mouvements volontaires aussi semble-t-il peu croyable que le hérissement des appendices cutanés, qui se produit en même temps et par lequel l'animal s'enfle et se donne une apparence plus formidable en face de ses ennemis ou de ses rivaux, ne soit qu'un phénomène entièrement accidentel, un résultat sans objet de la perturbation du sensorium. Il serait presque aussi vraisemblable de considérer comme autant d'actes sans but le hérissement des piquants du hérisson ou celui des épines du porc-épic, ou bien encore le redressement des plumes qui ornent divers oiseaux pendant leurs amours.

Mais ici surgit une sérieuse difficulté. Comment la contraction des arrectores pili, muscles lisses et involontaires, a-t-elle pu s'associer a celle de muscles volontaires variés pour ce même objet spécial? S'il était possible d'admettre que les arrectores ont été primitivement des muscles volontaires, et ont depuis perdu leurs stries pour cesser d'être soumis à l'empire de la volonté, la question se trouverait singulièrement simplifiée. Mais il n'existe, que je sache, aucune preuve en faveur d'une pareille manière de voir. On peut croire cependant que la transformation inverse n'aurait pas présenté de bien grandes difficultés, puisque les muscles volontaires existent à l'état lisse dans les embryons des animaux les plus élevés et dans les larves de certains crustacés. On sait aussi, d'après Leydig, que dans les couches les plus profondes du derme, chez certains oiseaux adultes, le réseau musculaire est dans une sorte de condition intermédiaire les fibres n'ont que quelques rudiments de stries transversales.

Voici une autre explication qui nie paraît acceptable. On peut supposer qu'au début, sous l'influence de la rage et de la terreur, les arrectores pili ont été mis légèrement en action, d'une manière directe, par la perturbation du système nerveux, exactement comme ils le sont chez nous dans la chair de poule qui précède un accès de fièvre. Les excitations de la rage et de la terreur s'étant reproduites fréquemment pendant une longue suite de générations, cet effet direct de la perturbation du système nerveux sur les appendices dermiques a dû presque certainement s'augmenter par l'habitude et par la tendance qu'a la force nerveuse à passer facilement par les voies qui lui sont habituelles. Cette opinion sur le rôle attribué a la force de l'habitude sera bientôt confirmée par l'étude des phénomènes que présentent les aliènes; nous verrons, en effet, dans un chapitre suivant, que chez eux l'impressionnabilité du système pileux devient excessive par suite de la fréquence de leurs accès de fureur ou de terreur. Une fois cette propriété de l'horripilation ainsi accrue ou fortifiée, l'animal mâle a dû voir souvent ses rivaux furieux ériger leurs poils ou leurs plumes, et augmenter ainsi le volume de leur corps. Il est probable qu'alors il a eu lui-même le désir de se faire paraître plus gros et plus formidable pour ses ennemis, tout en prenant volontairement une attitude menaçante et poussant dos cris sauvages; au bout d'un certain temps, cette attitude et ces cris sont devenus instinctifs par l'effet de l'habitude. C'est ainsi que les actes accomplis par la contraction des muscles volontaires ont pu se combiner, pour un même but spécial, avec des actes effectués par des muscles involontaires. Il est même possible qu'un animal soumis a une excitation et plus ou moins conscient de la modification survenue dans l'état de son système pileux, puisse agir sur celui-ci par un exercice répète de son attention et de sa volonté; nous avons en effet des raisons de croire que la volonté est susceptible d'influencer d'une manière éloignée l'action de certains muscles lisses ou involontaires je citerai comme exemple les mouvements péristaltiques de l'intestin et la contraction de la vessie. N'oublions pas non plus le rôle qu'ont dû jouer la variation et la sélection naturelle les mâles qui ont réussi à se donner l'apparence la plus terrifiante en face de leurs rivaux ou de leurs autres ennemis ont dû laisser en moyenne un plus grand nombre de descendants, héritiers de leurs qualités caractéristiques, anciennes ou nouvellement acquises.


Gonflement du corps et autres moyens de produire la crainte chez un ennemi

Certains amphibies et certains reptiles qui ne possèdent ni épines a hérisser, ni muscles pour produire ce mouvement, gonflent leur corps en inspirant de l'air, sous l'influence de la crainte ou de la colère. C'est la un phénomène parfaitement connu chez les crapauds et les grenouilles. Qui ne se rappelle la chétive pécore, mise en scène par Esope dans sa fable intitulée le Bœuf la Grenouille, et qui, par envie et vanité, s'enfla si bien qu'elle creva? L'observation de ce fait doit remonter a l'époque la plus reculée, exprime, dans presque toutes les langues de l'Europe, l'habitude de se gonfler. Cette particularité a été constatée chez certaines espèces exotiques, au Jardin zoologique; le docteur Gunther pense qu'elle est générale dans tout ce groupe. En nous laissant guider par l'analogie, nous admettrons que le but primitif de ce gonflement a été probablement de donner au corps un aspect aussi imposant et aussi terrible que possible en face d'un ennemi. Toutefois il en résulte encore un autre avantage, plus important peut-être lorsqu'une grenouille est prise par un serpent, son principal ennemi, elle s'enfle d'une manière prodigieuse; et, d'après le docteur Gunther, si le serpent est de petite taille, il ne peut engloutir la grenouille, qui échappe ainsi au danger d'être dévorée. Les caméléons et quelques autres sauriens s'enflent aussi lorsqu'ils sont irrités. Je citerai, par exemple, le Tapaya Douglasii, espèce qui habite l'Orégon. Elle est lente dans ses mouvements et elle ne mord pas, mais elle a une apparence féroce « Lorsque cet animal est irrité, il s'élance d'un air menaçant sur tout objet placé devant lui; en même temps il ouvre largement la gueule, il siffle avec force, enfin il enfle son corps etmanifeste sa colère par divers autres signes. Plusieurs espèces de serpents se gonflent de même sous l'influence de la colère. Le Clotho arietans est particulièrement remarquable à ce point de vue seulement je crois, à la suite d'une observation attentive de cet animal, qu'il n'agit pas ainsi avec le dessein d'augmenter son volume apparent, mais simplement dans le but d'inspirer une provision d'air considérable, qui lui permette de produire son sifflement bruyant, aigu et prolongé. Le Cobras-de-capello, irrité, se gonfle un peu et siffle doucement; mais en même temps il lève la tête, et, au moyen de ses longues côtes antérieures, il dilate la peau de chaque coté de son cou, de manière a former une sorte de disque large et aplati, désigné sous le nom de capuchon. Il prend alors, avec sa gueule largement ouverte, un aspect effrayant. L'avantage qui en résulte pour lui doit évidemment être considérable, pour compenser la diminution sensible que cette dilatation fait éprouver à la rapidité, très grande encore il est vrai, de ses mouvements, lorsqu'il s'élance sur un ennemi ou sur une proie; c'est ainsi qu'un morceau de bois large et mince ne peut fendre l'air aussi vivement qu'un petit bâton cylindrique. Un serpent inoffensif de l'Inde, le Tropidonotus Macrophtalmus, dilate son cou de la même manière lorsqu'il est irrité, ce qui le fait prendre souvent pour son compatriote le terrible cobra. Cette ressemblance constitue peut-être une sauvegarde pour lui. Une autre espèce inoffensive, le Dasypeltis de l'Afrique méridionale, se gonfle, distend son cou, siffle et se lance sur l'importun qui le dérange. Beaucoup d'autres serpents sifflent dans des circonstances semblables. Ils dardent aussi leur langue et l'agitent avec rapidité, ce qui peut encore contribuer à leur donner une apparence formidable.


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