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La sélection indirecte ou corollaire - Partie 1

Annales de l'Institut international de sociologie

En 1897, par Steinmetz S.R.

La sélection, comme force motrice de révolution, n'a plus besoin d'être défendue sur le terrain de la biologie générale. On y discute seulement le problème: si tout peut être expliqué par elle, ou si une partie plus ou moins grande doit être attribuée à l'hérédité des qualités acquises durant la vie individuelle ou bien, encore, à d'autres facteurs moins déterminés. Autant que je sais, le combat dure encore. A ce moment, le résultat qui paraît le plus probable, est peut-être la conclusion de Romanes, que certainement beaucoup, à peu près tout, peut être expliqué par la sélection, sans intervention d'aucune autre hypothèse, et que l'hérédité des qualités acquises ne fait son travail que très lentement.

Dans le domaine de l'évolution sociale et du développement humain, après la formation de son type général, tout reste à faire dans cette direction. L'anthropologie, la psychologie et la sociologie n'ont pas encore exploité à fond l'hypothèse de la sélection. On lui fait encore des objections qui peuvent être réfutées aisément. M. Wells, dans la Fortnightly Review, nous dit que l'homme de Cro-Magnon aurait l'encéphale pas beaucoup plus petit que nous autres du XIXe siècle; qu'ainsi l'évolution sociale, dès ce temps-là, ne pourrait être le résultat de sélections cérébrales; mais, pour ce raisonnement, il part de l'idée que les changements doivent se rapporter au volume total du cerveau, tandis qu'il est fort bien possible que le total des facultés psychiques n'ait ni grandi, ni diminué, mais que la distribution sur les aptitudes particulières ait changé d'une manière, qui devait influencer au plus profond toute l'histoire de l'humanité. Le total des forces intellectuelles de l'Aléüte, comme Erman le peint, et même de celles dont le sauvage mais ingénieux Australien a besoin, est peut-être le même, sinon plus grand que celui qui suffit à l'ouvrier de nos fabriques, qui tourne toujours la même manivelle; mais la distribution de ces forces doit être tout autre, vu la différence profonde de leurs caractères.

Ici, nous pouvons indiquer un des dangers auxquels nous expose l'usage exclusif de la crâniométrie dans l'étude de ces problèmes: sa méthode ne lui permet que de mesurer les plus grosses différences dans la quantité totale des organes de notre intelligence, tout le reste lui échappe inévitablement, du moins avec nos moyens actuels de recherche. Eh bien, tandis que la somme des forces psychiques reste la même, la distribution et toutes les proportions des différentes parties peuvent avoir subi de notables changements. La sélection peut opérer aussi bien par des différences de qualité que par celles de quantités intellectuelles. La crâniométrie doit être suppléée par la caractérologie.
Tous les autres arguments, comme ceux de Coolly, qu'on fait valoir contre la signification de la sélection pour l'histoire du genre humain, reposent sur des malentendus ou des préjugés.

Si nous voulons aller plus loin sur ce chemin, qui a conduit les biologues à de si fructueuses découvertes, il nous faut faire usage de toutes les méthodes que la science met à notre disposition et n'en négliger aucune; puis il faut nous affranchir de toute tendance morale ou politique, comme celle qui a fait tant de tort aux recherches anthropo-sociologiques d'Ammon.
Il y a des différences, plus grandes pourtant en apparence qu'en réalité, entre l'étude de la sélection dans le règne animal et celle du domaine humain et social. Les facteurs sur lesquels s'opère la sélection dans le premier, sont beaucoup moins nombreux et compliqués, et souvent l'oeuvre téléologique de notre intelligence obscurcit ici l'opération inconsciente de la sélection. Par exemple, quand une manière de réagir à certaines émergences est devenue ineffective ou même nuisible, il n'est pas nécessaire que tous ceux qui conservent cette réaction organique périssent, et que seulement ceux qui présentent, par hasard, une variation utile de réaction survivent, comme la théorie biologique l'exige; mais il se peut très bien qu'une méthode de réaction, tout à fait pratique et utile, se présente à l'esprit d'un certain individu original, et soit suivie par simple imitation par ceux qui, spontanément, ne seraient pas arrivés à cette idée. Ainsi, l'élimination des individus n'est plus nécessaire, comme moyen d'adaptation; elle est remplacée par l'imitation. L'un choisit une autre réaction, les autres l'imitent. Et, pourtant, tout ça n'est qu'un raisonnement superficiel.

Outre que ce choix est, comme l'a démontré si bien Baldwin, oeuvre de sélection mentale, il y a là, encore, une sélection sociale. Par exemple, tel individu ou telle société ne peut pas appliquer la nouvelle manière de réaction, empêchée par toute la constellation des circonstances sociales et individuelles, et ceux-ci périssent. Quand la composition devenait possible pour faire finir la vengeance de sang, et était reconnue plus utile à l'existence paisible des tribus, il y avait des gens chez qui la vengeance était trop profondément enracinée pour être remplacée: ceux-ci continuaient à être décimés par la vengeance et devenaient de plus en plus faibles envers les autres plus avancés, — comme j'ai essayé de le démontrer dans mon livre sur les Origines de la Peine. Tout ce que notre intelligence reconnaît comme meilleur, nous ne pouvons pas encore l'appliquer constamment. Notre caractère doit supporter notre choix, lui dehors du milieu et des circonstances, nos autres qualités peuvent s'opposer, ou bien le manque d'autres qualités impliquées le rend impossible.

C'est ici que nous distinguons clairement l'importance, pour la sélection, des qualités corollaires à une qualité donnée. Mais le cas peut présenter un autre aspect. La perte d'une certaine qualité peut amener la perte d'autres qualités intimement liées à la première ou bien faciliter la croissance de facultés, jusqu'ici par elles supprimées, et puis la croissance d'une qualité en cause ou en empêche d'autres. La sélection touche à d'autres qualités que celle qui est directement en jeu. Cette influence sélective peut être positive ou négative.
Il y a donc une sélection indirecte.

Il me semble provisoirement, c'est peut-être une illusion, que nous pouvons pousser plus loin dans l'étude de cette sélection indirecte en sociologie et en psychologie qu'en biologie. Nous y pouvons plus clairement distinguer les facteurs impliqués. Il n'est pas certain du tout que la sociologie doive toujours emprunter à la biologie et que cette relation ne puisse jamais être renversée. Moi, je crois à cette possibilité et ce beau rêve renforce mon courage de sociologue.
Le vrai terrain de la sélection indirecte est la vie sociale, puisque la société peut être dite une vaste constellation, compliquée au plus haut degré, de caractères qui sont eux-mêmes des constellations de facultés psychiques.

Mais, pour bien comprendre le procès de la sélection et ne pas proposer des difficultés sans fondement, il faut ne pas se faire une idée trop optimiste de cette agence. Précisément, en sociologie comme en psychologie, on est très enclin à cet optimisme; on s'imagine la sélection en harmonie avec la morale actuellement reconnue. La morale se compose d'une hygiène sociale éprouvée par l'expérience des siècles et tamisée par des sélections sans nombre, et aussi d'aspirations individuelles pressées sur nous par des fondateurs de religion comme devoirs suprêmes. A la première partie appartient, par exemple, le respect de la vérité et de la vie d'autrui; à la seconde l'amour de l'ennemi et le devoir d'être saint comme le Père Céleste. L'harmonie entre la sélection sociale et celle morale serait bien fortuite. La sélection sociale applique toute autre mesure que la morale idéaliste. La dernière aspire au martyre, la première au bien-être et à la progéniture nombreuse. En négligeant cette vérité, on parvient à tenir les riches pour les meilleurs hommes (dans le sens moral), comme étant les vainqueurs dans la sélection sociale, ou à contredire passionnément cette assertion chimérique. Ce qui fait réussir celui qui va être riche, n'a rien à faire du tout avec notre morale idéaliste: toutefois ce sont des qualités qui décident dans le combat de la vie; il ne s'agit que de les posséder à un degré plus qu'usuel. Que les descendants de ces privilégiés se maintiennent sur ce niveau, même si ces qualités originelles leur font défaut, cela doit être attribué à l'intervention de tout autres circonstances, c'est-à-dire à l'esprit de corps et au droit de succession; ces deux sont les produits de l'association, qui est elle-même le produit le plus important et en même temps un autre organe de la sélection humaine pas moins effectif qu'aucun autre.


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