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Les bases psychologiques de la solidarité sociale - Partie 3

Annales de l'Institut international de sociologie

En 1911, par Baldwin J.M.

b) En ce qui concerne exclusivement l'individu, cette activité plastique avec le groupement des individus qui en résulte se résout en un accroissement de vie, en un progrès. L'individu participe à la tradition collective de la même façon que, par des actes instinctifs, d'autres individus manifestent l'existence en eux de caractères héréditaires. Mais au point de vue du groupe, cette éducation plastique est un facteur et un instrument de conformisme, de conservation, de stabilité et de solidarité. L'individu ne va pas au delà de l'acquis déjà réalisé par le groupe : son éducation est limitée par la tradition. Tous les individus apprennent les mêmes choses ; et ce qu'ils apprennent ce sont les façons traditionnelles d'agir, établies dans la vie collective du groupe.

c) Les lois de cette sorte d'activité collective sont psychologiques, et non pas simplement biologiques. Il se produit un échange direct et constant, un do ut des entre les esprits individuels: l'imitation d'un modèle, la contagion des sentiments, la satisfaction résultant de l'activité commune en sont le corollaire. Les autres individus pénètrent réellement dans l'esprit de chaque individu, et participent de sa vie psychique; ils en sont le stimulant essentiel. Les esprits des individus sont comme perméables les uns aux autres.

Ainsi il y a une solidarité psychologique, différente dans son origine et dans sa nature de la solidarité biologique résultant de l'instinct. Les processus par le moyen desquels elle se réalise sont psychologiques: ce sont l'imitation, la suggestion, la contagion, l'union spontanée dans une action ou une expérience commune. C'est seulement par la connaissance de ces mécanismes psychologiques que ce mode de la solidarité pourra être vraiment compris.

Groupe réfléchi ou proprement social. — Si nous considérons maintenant les formes les plus élevées de la vie collective, armés de notre connaissance des formes instinctives et spontanées, il apparaît comme évident que nous sommes en présence de motifs et de facteurs tout à fait sui generis. Il a été démontré qu'une grande différence existe entre le cas où l'individu, se laissant entraîner sans résistance par un courant d'opinion, joue le rôle d'une matière plastique et malléable entre les mains du groupe, et le cas où il coopère délibérément, intentionnellement avec d'autres individus à la poursuite de fins rationnelles. Dans le premier cas il s'agit d'une réaction émotionnelle répondant à une suggestion sociale; dans le second il s'agit d'un jugement réfléchi, d'une vue préalable de résultats à atteindre. C'est cette dernière forme de coopération qui constitue les groupes proprement « sociaux».
Elle présente certains caractères qui manquent aux autres formes de la solidarité, précédemment décrites.

a) Ces actions concourantes des individus, qui de leur part sont réfléchies et délibérées, ne peuvent en aucune façon être considérées comme étant dues à l'hérédité, qu'il s'agisse de l'hérédité physique ou de la tradition sociale. Ce sont vraiment des nouveautés, des modes de penser et d'agir impliquant chez l'individu une délibération, un choix. Comme telles, elles entrent souvent en conflit avec des tendances issues de l'hérédité ou de la tradition. Toute réforme sociale, par exemple, est accomplie par des individus en lutte contre les conventions et les traditions établies. Les idées de réforme sociale sont une protestation des individus contre des situations qui résultent de toute une série de rapports sociaux et qui ont pour elles l'autorité de la tradition. Le réformateur est obligé de convaincre afin de convertir; il lui faut critiquer les institutions dit passé et du présent comme irrationnelles, et chercher à établir à leur place une organisation rationnelle. Tout cela dépend de son autorité sur l'intelligence et sur le sentiment moral des individus, et les conduit à se révolter contre l'autorité du groupe, et à résister à ses suggestions. L'influence de la foule est souvent désorganisante : même si elle n'est pas nuisible, elle n'a du moins aucun effet utile. L'action des groupes réfléchis et volontaires comme les comités législatifs, les bureaux ou les chambres elles-mêmes, est au contraire progressive et organique.

b) Du point de vue du groupe, une solidarité fondée sur l'intelligence et la conviction commune et résultant des sentiments les plus élevés, prend la place d'une solidarité purement instinctive et aveugle; une organisation proprement « sociale » se constitue. C'est ce qui caractérise les faits sociaux par opposition aux groupements des animaux et aux foules humaines. Car c'est seulement dans les associations de ce genre, dans les sociétés, qu'existe véritablement une organisation interne. L'instinct grégaire ne réalise aucune organisation ; chaque individu agit ainsi que l'y contraint sa structure nerveuse. La foule hypnotisée par un démagogue, suggestionnée et soulevée par un individu, ne constitue non plus aucune organisation. Un groupe ne peut être, vraiment organisé que par des mécanismes d'ordre psychologique, par lesquels chaque individu est rendu conscient de sa place et de sa fonction dans l'ensemble, et a la volonté de s'y maintenir par l'exercice de son jugement.

c) J'ai montré ailleurs en détail, que le développement de la conscience qu'a l'individu de sa personnalité se fait par une organisation semblable des éléments psychiques de la vie sociale : à mesure que les individus deviennent plus développés et voient s'accroître leur personnalité, leur organisation interne est mieux adaptée à la vie commune. Le développement du moi individuel implique la reconnaissance de l'autre social, et établit entre les individus un rapport conscient. La solidarité qui en résulte est ainsi l'effet de l'intention consciente et de la coopération volontaire.
Ce point de vue est maintenant généralement adopté. Il concilie en les unifiant l'individuel et le social et fonde la solidarité sur le plan élevé de l'intelligence et de la volonté commune.

d) En conséquence, on peut dire que ce mode de vie collective réfléchi et vraiment social n'a point de déterminants d'ordre biologique; il n'est point déterminé non plus par des mouvements psychologiques généraux, des sentiments et des impulsions, mais il l'est par des mouvements psychologiques spéciaux de l'intelligence; il implique la coopération consciente des individus vers une fin commune.


IV

Si nous considérons maintenant ces trois grands modes de groupement au point de vue de la méthode comparative, nous pourrons les hiérarchiser et établir entre eux des liens de filiation. Le mode biologique donne naissance au mode plastique ou psychologique, lequel à son tour se transforme au cours de l'évolution en un groupement vraiment social et réfléchi. En tant que ces formes de vie et de conduite dépendent de conditions chimiques et physiques, il ne faut pas méconnaître le caractère essentiel de telles conditions ; mais elles n'expliquent à elles seules aucun des modes de la solidarité abstraitement considérés, et elles ne rendent même pas compte des modes de vie présentement réalisés.
Tout ceci peut être illustré par un diagramme qui met en lumière le lien d'ordre génétique qui relie entre eux les divers modes de la solidarité. L'élargissement du cône rend visible l'accroissement des facteurs impliqué par la solidarité plastique par rapport à la solidarité biologique, et par la solidarité proprement sociale relativement à la solidarité plastique.
Diagramme proposé par baldwin, illustrant les différents facteurs impliqués dans la solidarité.
Dans la société humaine, ces trois motifs de solidarité coexistent. Nous ne pouvons nous libérer complètement ni des tendances instinctives, ni des pressions collectives. Mais ce qui est spécifique de la société humaine, c'est la présence de l'association réfléchie.


V

A la lumière de ces faits, établis par la biologie et la psychologie, nous pouvons maintenant formuler quelques interprétations générales:

1° Il apparaît d'abord avec évidence qu'aucune explication strictement biologique ne peut rendre compte de tous les modes de la vie collective et des formes de solidarité correspondantes. Le mode biologique résulte de l'hérédité physique de la puissance de l'instinct. Comment de tels principes pourraient-ils valoir pour les traditions sociales et les caprices individuels d'où résultent les activités d'ordre plastique du groupe? Et surtout comment une telle explication pourrait-elle atteindre le mode de solidarité fondé sur la coopération intelligente? Si l'on veut faire intervenir les facteurs biologiques, il faut en restreindre l'application aux phénomènes sociaux qui sont indépendants de l'action des forces psychologiques, et qui, relevant de l'instinct, n'impliquent de la part de l'individu aucune contrainte sur soi même, aucun choix intelligent et réfléchi. Tel est par exemple le cas des manifestations sociales de l'instinct sexuel, ou des luttes entre familles et clans, dans lesquelles les instincts familiaux et ethniques se déchaînent sans contrôle. Mais même dans ces cas où sont à l’œuvre des forces purement biologiques, l'influence des conventions sociales, comme celle du self-control raisonné de l'individu, est rarement tout à fait absente. Si ces influences complémentaires, psychologiques et morales, font complètement défaut, nous considérons l'individu comme une victime de l'hérédité; au lieu de regarder cet individu purement physique comme réalisant l'idéal de la santé sociale, nous cherchons au contraire à l'isoler du reste de la société pour le mettre hors d'état de causer à celle-ci aucun dommage.


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