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Le mécanisme de la mimique - Partie 4

Revue scientifique

En 1887, par Meynert T.H.

Dans l'enfance, les mots sont employés dans un sens concret pour désigner des choses visibles; plus tard, le sens sera transposé et servira à exprimer des idées abstraites. L'enfant nomme le soleil, le jour, le feu clair ou lumineux; l'adulte emploiera ces mêmes mots pour qualifier la vérité, la science. Chez l'enfant, l'idée de clarté s'est associée avec les objets qu'il voyait, dont il s'approchait, qu'il pouvait saisir. L'idée de ces mouvements, unie à celle de clarté, de lumière, s'associera plus tard avec les termes abstraits auxquels on joint ces mots: la pensée claire semble visible, saisissable, et les mouvements mimiques concordent parfaitement avec cette idée.

Darwin montre, d'après Gratiolet, qu'un homme qui repousse une opinion étrangère ferme les yeux ou détourne le visage, comme s'il ne voulait ou ne pouvait pas voir la chose; il gesticule aussi avec la main ouverte, comme s'il ne pouvait la saisir. Si, au contraire, il approuve, il incline la tête vers son interlocuteur, ouvre les yeux comme s'il voyait quelque chose. Engel fait remarquer qu'un homme dont la pensée est lente et difficile ralentit le pas, qu'il marche au contraire plus vite si ses pensées s'enchaînent facilement.
La justesse de notre théorie du mécanisme de la mimique n'implique pas la possibilité d'interpréter exactement les différentes attitudes et expressions du visage; cependant beaucoup d'entre elles sont facilement intelligibles: par exemple, le dédain s'exprime en ayant l'air de souffler comme pour éloigner des objets légers; une expression de dégoût, un bruit analogue à celui de l'expectoration révélerait l'envie d'éloigner un objet incommode; enfin des impressions désagréables amènent une légère contorsion du visage comme pour pleurer. Dans l'assentiment tranquille, on a souvent la mine heureuse d'un enfant. L'origine du baiser se trouve dans la tendresse de l'enfant à se servir de ses lèvres comme organes de tact. Quant au rire, il me semble qu'il peut s'expliquer si on se rappelle la grande facilité des spasmes respiratoires réflexes chez l'enfant: ils ont servi à expliquer les pleurs; ne pourrait-on y voir aussi l'origine du rire? Du reste, je ne prétends ici qu'indiquer la voie à suivre pour arriver à la vérité. Dans toute disposition joyeuse ou bienveillante, on retrouvera la trace de la physionomie spéciale au rire.
Des exemples seraient faciles à citer; on en trouvera entre autres dans l'ouvrage attrayant de Piderit. Mais des interprétations aussi osées que les siennes sont à peine défendables; par exemple, il rapporte la mine ennuyée à la reproduction d'un goût amer, la physionomie sereine à celle d'un goût agréable. On peut lui objecter que les associations secondaires n'unissent aux dispositions d'humeur que des formes de mouvement. C'est être trop hardi que d'oser désigner des sensations spéciales qui leur correspondraient. Nous voyons chez un autre physiologiste un exemple frappant d'une explication fantaisiste des mouvements mimiques: observant des oiseaux aveugles depuis la naissance, il a prétendu que certains mouvements de leur cou indiquaient qu'ils cherchaient la lumière. Pour cela, il faudrait donc supposer une idée innée.

Qu'on me permette de citer encore un ordre de recherches original. Dans un ouvrage qui se distingue par une grande profondeur de pensée, Jean Müller traite du regard humain en s'imposant la difficile restriction de n'observer, au point de vue physiologique, que le mouvement du globe oculaire, en faisant abstraction de toutes les parties qui l'entourent. Je ne me permettrai guère de citations, car il serait fâcheux de ne présenter que des fragments de ce chef-d'œuvre scientifique. Müller distingue deux sortes de visions: en droite ligne ou suivant des lignes courbes. Dans la progression linéaire dans un plan horizontal, les deux yeux parcourent des longueurs inégales, pour éviter la formation des images doubles. Ceci, ajouté aux variations de la réfraction, rend cette manière de regarder pénible; on sent une tension musculaire désagréable. Par contre, si l'on parcourt du regard la voûte céleste, le mouvement de l’œil est circulaire, il est aisé et sans entraves. Müller passe alors à l'étude du regard dans ses rapports avec la physionomie, et dit: L’œil bienveillant embrasse et contemple son objet d'un seul regard; le regard malveillant est fixe, arrogant, il se dirige en ligne droite. Il fait la fine observation que, si un œil bien conformé passe d'un objet à l'autre par des lignes courbes, l’œil féminin le fait par des courbes dirigées en bas. Sans discuter le mécanisme de la physionomie, il s'exprime ensuite ainsi: les mouvements mimiques dont l’œil est capable se répartissent entre les émotions tristes et agréables. Ce partage se fait, grâce à des associations secondaires dirigées par des sensations et qui se développent depuis le jour où l’œil s'est ouvert à la lumière. En outre, il se fait de telle sorte que les mouvements unis à des sensations désagréables s'associent à des émotions tristes, les mouvements libres, agréables à des dispositions d'humeur heureuses.

Je crois avoir prouvé maintenant que la mimique repose, primitivement, sur l'irradiation des mouvements; secondairement, sur des associations accessoires; mais chez l'homme, considéré dans son milieu social, une troisième cause joue encore un rôle dans l'acquisition indirecte des mouvements mimiques: c'est l'imitation inconsciente. Elle se produit même dans le domaine du sommeil partiel de Fechner.
Avant de conclure par quelques remarques sur la signification biologique du mouvement mimique, je dois encore ajouter que toutes les associations peuvent être interprétées dans deux sens différents, et que si la physionomie peut s'expliquer par les émotions, à leur tour celles-ci peuvent s'expliquer par la physionomie.
J'ai dit que les mouvements mimiques sont sans but, inconscients, mais identiques partout, ceci avec quelques exceptions ethnologiques montrées par Darwin. La simplicité de leur origine explique bien leur uniformité. La signification biologique de la mimique consiste en ce qu'elle est un moyen de communication. Mais cette valeur, aussi bien que sa valeur esthétique, ne lui appartient que si elle reste une communication inconsciente. Tout mouvement mimique voulu manque du cachet de causalité fatale, et, s'il est l'expression de la plaisanterie, il devient un sujet de rire; s'il doit servir au mensonge, il tombe sous le mépris.

Mais la mimique ne serait pas un moyen de communication si elle n'était pas comprise. Hommes et animaux se comprennent d'après leurs physionomies. Comment donc se fait-il que les animaux soient physionomistes? Cela vient de ce que la vue des gestes réveille en eux le souvenir des mouvements qu'il faudrait faire pour les reproduire, et que ce souvenir est à son tour associé aux émotions qui commandent la mimique perçue. Mais qu'est-ce que l'imitation? On en comprendra facilement l'origine si l'on se souvient que les animaux et les enfants, quand ils entendent un son, sont toujours plus ou moins portés à en produire un à leur tour: ceci est primitivement un réflexe. Chaque nerf sensitif peut irradier son excitation dans toute la musculature; une sensation de l'orteil provoque un cri de douleur. Mais nous savons, d'après Pflüger, que des excitations, même modérées, suffiront à produire un réflexe musculaire si les nerfs moteurs des muscles en question ont leur origine voisine de la terminaison centrale du nerf sensitif excité. Or le nerf auditif naît dans le voisinage des nerfs de l'appareil de la phonation (poumon, larynx, langue, lèvres). Aussi des sons extérieurs pourront facilement produire des cris réflexes. Ce phénomène peut déjà, d'une manière générale, être considéré comme de l'imitation; mais c'est l'association seulement qui amènera à imiter les caractères particuliers des sons entendus. Le cri réflexe primitif a, comme je l'ai expliqué pour le battement des paupières, laissé dans l'organe de l'association les traces, le souvenir des mouvements effectués par l'appareil de la phonation avec la notion de la possibilité de les reproduire. Comme lorsqu'un enfant apprend la marche verticale, l'association semble tâtonner jusqu'à ce qu'elle ait coordonné les divers mouvements grâce auxquels le son entendu sera reproduit par l'appareil de la phonation. La cause de ces mouvements conscients est la sensation de la possibilité de les reproduire.

Pratiquement, cette idée a été appliquée dans la méthode allemande pour l'éducation des sourds-muets. Comme ils n'entendent pas, ils ne peuvent que saisir le mouvement des lèvres; ils apprennent ainsi à grouper les mouvements dont ils sont capables, de manière à reproduire la parole qu'ils n'ont pas entendue.
Toute imitation provient du mouvement. Nous voyons les mouvements mimiques des autres, et nous leur associons les impulsions motrices qui nous serviront à reproduire les mêmes mouvements. Nous comprenons la mimique des autres, parce que nous associons le souvenir de nos propres mouvements mimiques avec les émotions, avec les sensations qui peuvent les produire. C'est en cela que nous sommes tous des physionomistes, c'est pour cela que la mimique est comprise et sert de moyen de communication.

Virchow montrait ici même, il y a quinze ans, que la valeur morale des sciences naturelles réside dans la poursuite de la vérité dans les faits. Quant à cet autre physionomiste, Lavater, il disait que l'étude de la physionomie porte à l'amour de l'humanité. Lichtenberg remarque en effet que si les insectes sont martyrisés par les enfants avec tant de sang-froid, c'est que leur physionomie ne nous révèle pas leurs souffrances. Si un être animé perçoit une communication mimique, l'émotion qui l'a produite éveille en lui, par association, un écho, le souvenir d'une émotion semblable; il se réjouira avec autrui, ou compatira à sa souffrance. Mais le combat pour l'existence ne permet pas aux animaux d'obéir aux impulsions de la pitié.
La compassion éveillée en nous par la mimique doit croître en raison de notre facilité à reproduire le jeu de physionomie perçu. Le grand penseur Rokitansky a exprimé d'une façon exacte et brillante à la fois toute la grandeur de la douleur humaine: « La douleur est la somme de toutes les actions que nous avons subies du monde extérieur et de toutes nos tentatives infructueuses. »
J'ai dit que l'organe de l'association peut entraver l'expression mimique; il va de soi qu'il peut aussi empêcher le souvenir des mouvements propres à reproduire un fait mimique et, avec lui, la pitié. Notre époque et notre race font certainement un usage trop fréquent de cette faculté. S'il est vrai que la société se développe suivant des lois naturelles, puissent ces considérations contribuer à montrer qu'un ordre social fondé sur un peu plus de pitié et d'amour serait plus conforme à la nature des choses; cette conviction scientifique nous fera désirer à tous de voir cet avenir où, selon l'expression de Schiller, la nécessité deviendra plus humaine.


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