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Le mécanisme de la mimique - Partie 3

Revue scientifique

En 1887, par Meynert T.H.

La colère ne peut se prolonger autant que la douleur et la joie; elle ne peut être sans mélange; la crainte peut en modifier l'aspect; son apparition est soudaine et de courte durée. Enfin, la pensée en interrompt le cours; il en est de même, en général, pour les autres émotions. Je n'essayerai pas de dépeindre un autre sentiment qui marque la limite entre les émotions spontanées et celles qui dépendent d'une action extérieure qui, de même que la colère, s'accompagne d'hyperesthésie et est souvent escortée d'une sensation voisine de la gêne respiratoire locale. Cette émotion est la peur.
Ce sont surtout les émotions qui mettent la physionomie en action. Aussi, de même que j'ai dénommé les émotions d'après les mouvements auxquels elles sont liées, de même il me semble naturel de diviser les mouvements mimiques accessoires en attitudes défensive ou offensive du corps ou du visage.
Chez l'enfant, la libre production des mouvements réflexes et leur propagation illimitée produisent des tableaux mimiques très prononcés, bien que, d'après Flechsig, à cette période de la vie, l'organe de l'association soit encore complètement développé. Plus tard, les mouvements des extrémités se coordonneront; mais, au début de la vie, ils ne jouent encore aucun rôle raisonné pour la défense ou l'attaque. La tête et le tronc nous fourniront le sujet d'observations plus intéressantes. Nous y verrons des orifices s'ouvrir et se dilater pour recevoir les excitations sensorielles ou pour faire communiquer les cavités du corps avec l'extérieur: ce sont là des mouvements d'attaque qui servent à la perception du non-moi. L'action extérieure de l'enfant commence avec la première inspiration, et Charles Bell a exprimé une pensée éminemment scientifique en disant que le nerf présidant aux mouvements mécaniques est le nerf respiratoire de la tête. Ce nerf provoque sans doute aussi, par voie réflexe, les mouvements de succion du nouveau-né et préside à la fois à la respiration et à la nutrition. La respiration dilate une cavité du corps; de même, le mouvement de succion en dilate une autre; les deux phénomènes ont un même effet: l'action sur le monde extérieur.

La respiration fournit aussi la première sensation objective, en présentant aux sens du nouveau-né des particules odorantes; de même, grâce à l'ouverture de la bouche, le sens du goût peut être excité, et c'est probablement cette sensation qui provoque le réflexe de la succion; car l'enfant est, au début, aveugle, sourd, et, d'après Soltman, son toucher est encore très obtus. A la succion s'oppose le réflexe défensif de l'expectoration. Avec la dentition apparaît un nouveau moyen d'action, et l'enfant cesse de téter. A ces divers modes d'activité correspond un sentiment de bien-être, indice de l'état des cellules cérébrales; car l'allaitement et la respiration concourent au renouvellement du sang et à l'oxydation plus intense de ces cellules. Aussi de légères excitations réflexes suffisent pour mettre en jeu les mouvements de respiration et de succion.
Quant à la physionomie défensive de l'enfant, elle résulte d'excitations violentes et durables qui agissent par irradiation sur le centre vaso-moteur, modifient la constitution des cellules nerveuses et créent ainsi l'état particulier du cerveau correspondant à la sensation de douleur. Dans un degré plus avancé, l'enfant est tout près de pleurer, et toutes les ouvertures de la face se ferment convulsivement. La bouche est contractée par son muscle orbiculaire, tant du moins que des cris ne s'en échappent pas; ceux-ci auraient pour conséquence le rétrécissement du thorax dans un effort d'expiration. Le constricteur du nez et l'abaisseur de la commissure des lèvres agissent en même temps que l'abaisseur de l'aile du nez. Comme, en même temps, les paupières sont violemment serrées, tous les orifices sensoriels, aussi bien que ceux des cavités respiratoires et du tube digestif sont dans une véritable attitude défensive et fermés au monde extérieur. Les paupières, contractées, appuient sur l'orbite, et, au début, c'est leur pression qui provoque la sortie des larmes; mais plus tard, toute émotion douloureuse violente entraîne, par association, la production des larmes, même sans pareille violence. Dans un âge plus avancé, l'organe de l'association réprimera ces pleurs convulsifs. Ce qui, dans un visage affligé, en reste comme la trace mimique, c'est encore l'abaissement de l'aile du nez et de la commissure, la proéminence des sourcils et les rides perpendiculaires du front. Les plis transversaux propres à l'affliction se produisent, d'après Duchenne et Darwin, par une action des faisceaux internes des muscles frontaux qui s'oppose à la contraction des paupières. Au caractère défensif de la physionomie affligée correspond aussi la cessation de la dilatation du thorax, la rareté des inspirations qui, selon Bell, aurait sa compensation dans les soupirs. Les pleurs allègent peut-être le chagrin, parce qu'ils sont accompagnés de mouvements respiratoires convulsifs et fréquents. Enfin, à la position d'expiration du thorax correspond une attitude affaissée du corps.

Dans la physionomie correspondant à une activité agréable, le globe oculaire est légèrement projeté en avant et semble se diriger vers le monde extérieur, tandis que dans la douleur, il recule et semble affaissé; la fente palpébrale s'élargit, et en même temps se produisent des plis obliques sur le front. Les narines se soulèvent légèrement, les commissures suivent leur direction ascendante, et la bouche prend une forme semi-lunaire convexe en bas, opposée entièrement à l'abaissement des coins de la bouche dans la mine affligée. La stature se redresse et favorise l'inspiration. Plusieurs de ces phénomènes augmentent encore d'intensité dans le rire; la bouche s'ouvre, les dents se montrent. Le rapetissement de la fente palpébrale n'est plus ici qu'une suite mécanique de l'élévation des joues; ce n'est plus une contracture comme dans les pleurs. Aussi longtemps que l'irradiation des réflexes n'est pas réprimée chez l'enfant, la vue des choses provoque chez lui une activité exubérante et désordonnée pour s'en emparer; dans sa joie, il fait des mouvements de tout le corps, il se dresse, son haleine est précipitée, l'inspiration s'accompagne de cris, d'un rire éclatant, enfin tontes ses extrémités sont en mouvement. Les possibilités de mouvements révélées par cette ivresse de joie enfantine sont réglées et coordonnées chez l'adulte; ces mouvements serviront de base à la danse, au chant, après que l'association les aura transformés.
Quand les couche à corticales se sont complétées par l'addition de fibres blanches, et que la coordination des mouvements est devenue possible, l'attitude défensive se modifie aussi. Avec la possibilité du déplacement, la fuite prend la place des manifestations purement mimiques primitives. Chez les animaux, la fuite est un réflexe inné; chez l'homme, c'est un réflexe modifié par la coordination psychique, à cause de l'apparition tardive de la marche chez l'enfant. L'excitation réflexe apparaît ici dans des groupements formés par l'association. Cela se comprend, parce que la substance grise de la moelle sert à la fois à la conduction réflexe et à celle des impulsions motrices conscientes. La source primitive du jeu mimique était le mouvement réflexe et son irradiation; son origine secondaire est l'association.

L'irradiation lie un mouvement principal à une combinaison de mouvements secondaires; de même à un processus de conscience s'enchaînent des associations accessoires; celles-ci peuvent à leur tour être associées aux images laissées dans la mémoire par des réflexes et agissant comme des impulsions motrices. Ces associations peuvent donc se manifester sous forme de mouvements mimiques, bien que le fait, qui primitivement avait amené ce jeu de physionomie, ne se soit pas reproduit. Nous comprendrons ce phénomène si, avec Fechner, nous considérons que, même dans l'état d'activité du cerveau, beaucoup de ses parties sont encore plongées dans un état de sommeil relatif; seules sont éveillées les associations d'images cérébrales, sur lesquelles se fixe plus particulièrement l'attention du moment. La différence entre la veille partielle et le sommeil partiel ne consiste sans doute qu'en une différence du degré d'intensité de l'excitation et de la nutrition des divers organes cérébraux. Par suite, les mouvements mimiques inconscients, que provoque l'organe de l'association, viennent de parties du cerveau encore plongées dans le sommeil partiel.
Toutes les régions du cerveau dans lesquelles des impressions sensorielles et des mouvements réflexes ont laissé des traces de leur passage communiquent par des faisceaux association. Aussi nous comprenons que l'écho de nos faits de conscience se propage dans toutes les directions, surtout quand règne un certain degré d'excitation dans la conscience. Mais nous comprenons aussi que, dans cette propagation, les associations les plus favorisées seront celles qui ont déjà été le plus souvent unies dans la conscience. Si, dans les limites de l'activité du cerveau, à un moment donné, nous distinguons des associations principales et secondaires, celles qui auront été formées dans le sommeil partiel et qui produisent des mouvements mimiques obéiront aussi à un ordre déterminé et à des lois. Relativement à cette origine vraiment psychique des mouvements mimiques, il n'y a pas de différence entre l'homme et l'animal. Seulement, chez les animaux, le domaine tout entier de la fonction d'association est plus restreint; chez l'animal aussi, le mouvement mimique se produit d'une façon d'autant plus certaine que l'organe d'association a moins de puissance que chez l'homme pour réprimer ses manifestations.

Je dois encore faire remarquer que les mouvements mécaniques provenant d'associations secondaires se lient aussi bien à des émotions qu'à des faits de conscience sans élément affectif; du reste, je ne prétends pas que, au sens étroit du mot, il en existe de semblables, et d'ailleurs, c'est chez l'homme seul qu'on pourrait les observer.
Le nombre des exemples que j'ai pu citer est très restreint. Pour l'expression mimique des associations secondaires dans la colère, je renverrai aux descriptions classiques que Darwin a données des animaux féroces en présence de l'ennemi. Du reste, pour le combat sérieux, les animaux ont dans le jeu un exercice préalable, qui développe le mécanisme des associations servant à l'attaque. En traitant de la colère, j'ai parlé du sentiment de force provenant de l'exagération des impulsions volontaires. A la force s'est associée l'idée de grandeur. Darwin fait remarquer comment l'animal se redresse pour l'attaque et, en hérissant ses poils ou ses plumes, augmente sensiblement sa taille. Une association secondaire chez l'animal qui attaque est le soin de sa propre protection. L'animal, que le jeu a rendu avisé, couchera dans l'attaque ses oreilles en arrière. Enfin les canines se découvrent et l'attaque réelle commence.
La mimique de la colère humaine consiste en une attitude arrogante; des plis perpendiculaires du front protègent les yeux, bien qu'en même temps l’œil se porte en avant d'une manière provocante; les dents se découvrent comme pour mordre; les bras se préparent à l'attaque; les pieds frappent le sol. Si l'homme conserve assez d'empire sur lui-même, le mouvement des poings fermés sera réduit à un geste menaçant du doigt.

Nous avons vu d'anciens mouvements réflexes reparaître à la suite d'associations émotives secondaires. Darwin nous en présente en exemple frappant qu'il a observé sur lui-même: effrayé par le bond d'une loutre dans le jardin zoologique, il fit un saut inutile en arrière pour se mettre à l'abri, bien qu'il dût se sentir parfaitement protégé par la vitre épaisse de la cage.
Je reviens maintenant aux associations secondaires appartenant au domaine de la faible activité du sommeil partiel; elles compliquent notre façon d'agir par un jeu mimique inconscient qui n'est pas lié aux impulsions irrésistibles de l'émotion. On ne voit pas bien pourquoi des excitations aussi faibles sont irrésistibles ni comment ces faits de mimique peuvent concorder régulièrement avec des phénomènes tout à fait indépendants du mouvement. S'ils ne peuvent être réprimés, c'est probablement qu'il s'agit ici de formes d'activité primitives qui, depuis la première enfance, ont laissé leur empreinte dans le cerveau, et de leurs dérivés immédiats, nés déjà à l'époque où la vie réflexe était encore sans entraves. Comme ce sont les restes d'impulsions commencées peut-être avant la vie vraiment consciente, on ne saurait facilement en calculer l'intensité, comme on l'a fait pour les mouvements qui ont si visiblement une origine réflexe dans les causes physiques agissant sous nos yeux. Le nombre de ces jeux de physionomie est très limité. Pour la répulsion, citons l'occlusion des paupières, l'expression affligée, l'expectoration de corps étrangers; on fait le geste de chasser avec le souffle des particules aériennes gênantes; l'extrémité supérieure semble éloigner un obstacle, l'inférieure se dispose à fuir. Pour l'agression, l'enfant a le mouvement de succion; il ouvre les yeux, rit, s'approche d'un objet, le saisit, le touche avec les lèvres.

Je crois avoir suffisamment montré que le jeu de la physionomie naît, sous l'influence de l'imitation, de l'action simultanée de la première période de l'existence pour ainsi dire inconsciente, bien qu'extra-utérine, et d'une phase secondaire concernant l'organe cérébral de l'association. Je voudrais encore éclaircir comment les associations secondaires et les mouvements provenant de l'enfance, où les seules causes d'excitation étaient les sens, peuvent s'associer régulièrement avec le produit d'actes purement intellectuels et étrangers à l'enfance. Mais je me bornerai à quelques remarques sur le langage, qui peut servir à caractériser symboliquement toute vie sensible et intellectuelle. Je ne m'arrêterai pas au rôle que jouent les premiers sons émis par l'enfant comme communication mimique. Je rappellerai seulement à ce propos que les sons, tels que A, qui correspondent à une ouverture plus large de la bouche, expriment la satisfaction, tandis que la bouche presque fermée, pour prononcer 0, par exemple, est le signe d'un sentiment de tristesse ou de mécontentement.


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