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Le mécanisme de la mimique - Partie 2

Revue scientifique

En 1887, par Meynert T.H.

Éclaircissons le mécanisme d'un mouvement réflexe et prenons pour exemple le clignement des paupières. Une irritation extérieure blesse la conjonctive de l'enfant et, par voie réflexe, avant la formation de toute impulsion volontaire, les paupières s'abaissent. En même temps, ce mouvement réflexe a laissé sa trace spéciale dans l'écorce du cerveau, le corps dangereux a été vu et son image s'est fixée dans les couches corticales. Occlusion des paupières et image du corps vulnérant, par exemple, celle d'une aiguille, seront désormais associées. Que maintenant l'objet vulnérant s'approche encore de l’œil et l'excitation primitive, la blessure, n'a pas besoin de se reproduire; la vue de l'aiguille suffira pour ramener l'occlusion des paupières par voie d'association.
L'organe de l'association se trouve dans le crâne, immédiatement au-dessous de la voûte. Les organes réflexes se trouvent à la base du crâne, et la moelle en fait partie. Excise-t-on l'organe de l'association, toutes les formes du mouvement pourront encore être produites par voie réflexe. Pour tous les mouvements il y a donc deux foyers d'excitation ou de production. D'une manière primitive, inconsciente, naissent des réflexes; d'une manière secondaire, des mouvements conscients. Tous les mouvements ont des effets; les mouvements conscients sont en relation avec des fins, seuls les mouvements mimiques sont sans effet et semblent n'être qu'un luxe inutile de mouvements inconscients et sans but. Pourtant ils sont soumis à des lois, puisqu'ils sont souvent concordants et peuvent servir de moyens de communication compris d'homme à homme, d'animal à animal. On verra que beaucoup d'entre eux, même inconscients, sont en rapport avec les associations.

Mais si tout mouvement naissant dans l'organe de l'association est secondaire, alors ces mouvements mimiques eux-mêmes doivent avoir aussi leur racine dans les réflexes.
Les organes des réflexes sont très bien appropriés à leur fonction: les cellules de leurs ganglions sont reliées contre elles par des prolongements, et chaque excitation, selon son intensité et sa durée, s'irradie, comme l'a montré Pflüger, plus ou moins loin, pour produire des mouvements. Une douleur à l'orteil provoque le réflexe du cri, tout aussi bien que pourrait le faire une excitation au visage, plus rapproché cependant du centre de ces mouvements. Les mouvements accessoires sont primitifs et d'origine réflexe; ils comprennent surtout le jeu mimique réflexe, la contraction du visage, les pleurs. Ces mouvements rayonnent dans toutes les directions et laissent leurs traces dans l'organe d'association; ces images s'intercalent dans le réseau de l'association, et consécutivement aux mouvements conscients correspondra une surabondance de mouvements accessoires. Qu'on observe un orateur qui ne se surveille pas attentivement, et l'on verra sa surexcitation s'accompagner d'un luxe de gestes inutiles, absolument sans expression. Le jeu mimique est toutefois soumis à un certain ordre et à une certaine uniformité; de plus, il a des rapports intimes avec les émotions.

Qu'est-ce que les émotions? Je donne ce nom à une forme de sensation spéciale existant en dehors des cinq sens et du sens du mouvement: c'est la perception de l'état de nutrition de notre cerveau. Nous ne pouvons étudier les sensations que par les mouvements correspondants; il nous faut donc chercher dans les mouvements une variété qui corresponde à la variété infinie des émotions.
La nutrition se fait par les vaisseaux artériels; ceux-ci peuvent être rétrécis par des fibres musculaires circulaires. Le mouvement de ces muscles des vaisseaux peut provoquer les différences de nutrition perceptibles pour les cellules cérébrales sous forme d'émotions et correspondant aux différences du mode de mouvements que nous devons étudier. Distinguons d'abord les émotions dont la cause est extérieure et les émotions spontanées ou, pour les nommer d'après les mouvements qui leur correspondent, les émotions défensives et offensives. L'occlusion des paupières en présence d'une excitation de l’œil pourra recevoir le nom de mouvement défensif; de même on pourra qualifier d'offensive l'action d'ouvrir les yeux pour percevoir l'image du monde extérieur. Nos mouvements ont un double caractère, de réaction au monde extérieur, et d'action sur celui-ci. Sont-ils accompagnés d'émotions, nous pouvons diviser celles-ci selon qu'elles ont leur cause ou leur but dans le monde extérieur: les premières seront les émotions défensives, et les secondes, les émotions offensives; mais parmi ces dernières, il convient de distinguer les émotions ayant un caractère purement agressif. Bornons-nous à étudier, parmi les premières, la douleur et la stupeur, et parmi les secondes, la joie et la colère.
Je remarque ici en principe que la science ne doit pas se laisser abuser par la richesse de la langue et ne pas croire à l'existence d'un fait déterminé partout où existe un mot spécial. Ainsi, au terme fondamental de la psychologie classique, au mot idée ne correspond aucun fait positif. Comme je ne puis ici parcourir tout le domaine des actions mimiques, je me contenterai, dans cette foule de faits, de choisir quelques exemples.
La douleur et la joie, comme sensations accompagnées de mouvements défensifs ou offensifs, ont pour cortège deux séries de phénomènes physiologiquement différents. Étudions ces phénomènes d'abord dans le domaine des réflexes.

En pinçant une grenouille décapitée, on provoque chez elle des mouvements défensifs. Cette excitation intense trouve dans le réseau des fibres unissant entre elles les cellules de la moelle, une grande résistance à son passage. Les cellules innervent d'abord les muscles du squelette effectuant les mouvements de protection, ensuite la musculature des artères; celles-ci se contractent par voie réflexe et l'apport d'oxygène aux cellules est diminué; leur état chimique se modifie, elles éprouvent une gêne respiratoire. Si maintenant nous observons ces phénomènes sur une grenouille entière, elle ressentira de la douleur, et en même temps le phénomène sera transporté du domaine des réflexes dans celui des associations. Les centres vaso-moteurs du cerveau sont à leur tour excités par voie réflexe, ses vaisseaux se contractent et les cellules dont dépend la vie consciente éprouvent aussi ce trouble de nutrition, cette difficulté de la respiration dont nous avons déjà parlé. Mais, chez elles, ce changement de constitution se traduit sous la forme d'une émotion dépendante d'une cause extérieure et qui coïncide avec les mouvements défensifs. Laissons de côté maintenant la douleur physique elle-même, et ne présentons à notre sujet que des objets liés ordinairement à cette douleur et à la mort.
Chez les hommes, ce seront, par exemple, des lames de couteau, des armes, des animaux féroces, des cadavres. Ces perceptions suffiront pour agir par voie d’association sur les vaso-moteurs,pour provoquer la pâleur, chez certains même la syncope. Et, comme tout à l'heure, le spasme artériel provoquera, en même temps qu'un changement de constitution dans les tissus, une émotion liée à un état défensif. Cette disposition défensive pourra se présenter sous l'aspect d'une résistance véritable ou sous la forme de la fuite. Mais l'état physique du cerveau que nous percevons sous forme de douleur psychique peut limiter le jeu de l'association, entraver même les impulsions motrices qu'il produit, et l'émotion se traduira alors par l'immobilité, l'engourdissement de la stupeur.
Golz nous a fait connaître expérimentalement certaines formes de mouvement ayant à la fois le caractère agressif et celui d'actions réflexes, c'est-à-dire inconscientes. On les observe chez les grenouilles aux-quelles on a enlevé le cerveau entier ou bien seulement l'organe de l'association. Ce sont les réflexes du coassement et des mouvements de préhension. On peut provoquer le premier par un chatouillement entre les omoplates; le second, en caressant la peau des régions brachiale et sternale. Golz dit que le coassement des grenouilles exprime le bien-être; un danger, une pierre tombant dans l'eau du marais le fait cesser. D'après cela, on peut lui attribuer un caractère offensif. C'est l'envie de faire entendre sa voix dans la nature, c'est une émotion spontanée que le sentiment pénible de la crainte arrête en même temps que cesse sa démonstration bruyante. L'état chimique perçu par les cellules corticales pendant un acte offensif est nécessairement opposé à celui qui correspond à une action défensive. Dans le premier cas, le mouvement est provoqué par une excitation légère qui jamais ne pourrait vaincre la résistance qu'elle rencontre à l'irradiation dans les fibres de la substance grise; il n'y a donc pas d'irradiation, et l'excitation ne se propage pas aux centres vasculaires. Les artères ne se contractent pas; au contraire, elles sont dilatées parce que, dans l'état d'activité, chaque organe reçoit un afflux de sang plus considérable.

Nous venons d'analyser les phénomènes intimes accompagnant le coassement, soit conscient, soit réflexe, chez la grenouille, et nous voyons qu'ils consistent en une respiration plus active des cellules cérébrales. Une autre preuve à l'appui de l'alliance d'émotions spontanées avec une hyperémie cérébrale, c'est le sentiment de bien-être qui accompagne l'activité de l'esprit et le cours ininterrompu des associations, tandis qu'a l'inactivité se joint un certain malaise psychique.
Je me représente cet afflux fonctionnel, dans le sens de Golz, comme un mécanisme d'arrêt. Golz a montré que le réflexe du coassement cesse quand on provoque en même temps par d'autres excitations la substance grise présidant aux mouvements réflexes. Il interprète ce fait en disant qu'une fonction s'accomplit d'autant mieux que l'appareil correspondant a moins de taches simultanées à remplir. Que l'on se rappelle que les couches corticales du cerveau antérieur remplissent en même temps deux fonctions; qu'elles président d'abord à la contraction des vaisseaux, ensuite aux associations, à la liaison des pensées, et l'on verra que l'une de ces fonctions sera préjudiciable à l'autre. Si dans un travail d'esprit les pensées se suivent et s’enchaînent sans difficulté, aussitôt le rôle vasoconstricteur de l'écorce est interrompu, les parois artérielles se relâchent, le sang afflue au cerveau, et de cette hyperémie résultent à la fois une assimilation plus active des cellules corticales et le sentiment de bien-être du travail. Mais cet afflux fonctionnel n'atteint jamais l'intensité de ces hyperémies cérébrales liées à la compression du cerveau.

Je rattache à l'afflux fonctionnel l'explication d'un autre phénomène physionomique: la rougeur. Elle est liée à la contusion. Quand une jeune fille doit déclamer une poésie devant un grand personnage, toutes les traditions se rattachant à ce personnage éveillent en elle une foule d'associations qui marchent de pair avec l’hyperémie cérébrale; les pensées qui lui reviennent à l'esprit troublent sa déclamation; elle s'intimide, et en même temps la dilatation de ses vaisseaux se révèle à l'extérieur par la rougeur.
De même l'esprit de la femme est toujours tellement occupé de l'idée de l'homme que, soit désir, soit crainte, la confusion et la rougeur sont facilement produites chez une jeune fille par la vue d'un jeune homme. Mais toujours la rougeur reste l'expression visible de l’hyperémie cérébrale amenée par un afflux fonctionnel et transmise collatéralement aux vaisseaux tégumentaires. Le sentiment de bonheur provoqué chez un homme grossier par le gain d'une forte somme d'argent repose aussi sur une hyperémie fonctionnelle produite par une série d'associations de sa personne avec des choses ou des événements heureux que la vue de l'argent lui représente.

La joie était une émotion spontanée agréable; la colère sera l'émotion spontanée pénible; son action sur le monde extérieur a un caractère hostile. Cette disposition se distingue par une extrême excitabilité. La vue de l'objet de la colère agit comme une cause d'irritation qui provoque le mouvement et réclame l'anéantissement de l'ennemi. Si, à la vue de l'ennemi à combattre, viennent s'ajouter certaines associations, comme celles de danger et de mort, cette émotion arrivera au plus haut degré d'acuité. Un des phénomènes les plus importants de cette excitabilité générale est le sentiment exagéré de notre puissance, l'impulsion irrésistible de la volonté, que les succès ou les obstacles semblent rendre plus violente encore; ce sentiment devient la cause d'une audace sans bornes dans l'attaque.
Cette émotion consiste, elle aussi, dans la sensation d'une phase spéciale de la nutrition des cellules cérébrales. On ne saurait l'établir d'une manière aussi concluante au point de vue physiologique que pour la douleur et la joie; pourtant, il est vraisemblable qu'à cette émotion correspond aussi une modification spéciale, un changement dans le calibre des vaisseaux. Cette modification pourrait consister en une suite de constrictions et de dilatations alternatives des artères, agissant comme excitations. On peut étudier, par la méthode graphique, les mouvements de l'encéphale. Burghardt a étudié ce qu'il nomme l'onde vasculaire: c'est une sorte de mouvement péristaltique des artères indépendant des battements du cœur, pendant lequel la contraction et le relâchement des parois artérielles alternent de trois à sept fois par minute. Il trouva dans cette onde des modifications en rapport avec les émotions, ce qui se comprend facilement d'après ce que nous avons dit. Nous savons aussi que l'excitabilité des hystériques marche de pair avec un changement d'humeur; là aussi une modification clonique de l'onde vasculaire pourrait fort bien être ressentie comme cause d'excitation.


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