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Le mécanisme de la mimique - Partie 1

Revue scientifique

En 1887, par Meynert T.H.

Les phénomènes qui ont pour théâtre la physionomie sont d'un intérêt captivant, grâce à la foule des images sensibles qu'ils nous présentent. C'est avec raison qu'on les a étudiés de préférence chez l'enfant et l'animal: là, en effet, le jeu de la physionomie est plus expressif et par suite plus instructif pour l'observateur que chez l'adulte civilisé, car celui-ci les réprime toujours plus ou moins par son empire sur lui-même. On a provoqué, par l'excitation électrique, le jeu le plus étendu de la musculature du visage, pour le fixer ensuite par la photographie. Duchenne, qui procéda ainsi, donna à son ouvrage le titre de Mécanisme de la Physionomie; mais il n'y traite que de l'action musculaire visible à l'extérieur, et des plissements des téguments de la face qu'elle provoque. Mon but est tout autre. Je n'oserais pas prendre la parole dans cette assemblée pour ne faire qu'une vague description de phénomènes qui s'adressent à la vue. Le mécanisme intime des mouvements de la physionomie est invisible; ce n'est au fond que le mécanisme cérébral, et le jeu physionomique n'est qu'une des fonctions tout à fait secondaires du cerveau. Darwin a cherché à faire de cet objet l'étude la plus approfondie et la plus étendue, et il aurait donné à cette connaissance un développement tout à fait scientifique, si elle pouvait vraiment trouver son fondement dans les lois de l'hérédité.

Pour moi, je crois devoir me ranger à l'opinion de du Bois-Reymond, Virchow et Weissmann; comme eux, je vois dans le développement graduel des prédispositions embryonnaires, dans la variabilité des formes et la sélection naturelle, la limite actuelle des explications vérifiables; comme eux, je ne comprends pas l'hérédité de fonctions que les ascendants auraient acquises par l'usage, alors que maintenant encore, la marche verticale est pour l'homme l'objet d'une pénible éducation individuelle. Déjà, quand Darwin admettait des instincts transmis par l'hérédité, cette hypothèse, digne à la vérité d'un penseur, était toutefois peu intelligible.
Mais on peut, plus sévèrement encore, traiter d'erreurs ou de négligences scientifiques ces idées de certains successeurs de Darwin, qualifiées déjà par du Bois-Reymond d'« extravagances puériles ». Ceux-ci, dépassant les idées du maître, étendent la transmissibilité des aptitudes acquises jusqu'à la transmissibilité des formes de la pensée. Pour bien faire sentir la différence du darwinisme modéré et de cette théorie excessive, j'emprunte un exemple à Weissmann. Quand des hommes viennent occuper des îles peuplées d'oiseaux, ils n'inspirent au début aucune peur à ces oiseaux; mais les générations suivantes deviennent craintives et fuient l'homme. On a cherché à expliquer ce phénomène en admettant que l'expérience des dangers occasionne par le chasseur s'est transmise par hérédité. Weissmann trouve cette hypothèse inutile. La fuite est un mouvement réflexe: les oiseaux les plus craintifs, pourvus d'appareils réflexes plus parfaits, ont échappé en majorité aux coups du chasseur; ils sont restés presque seuls pour la reproduction, leurs descendants ont hérité de leur sauvagerie, et, grâce à l'imitation, cette timidité s'est transmise aux autres oiseaux.

Les principes que Darwin a donnés pour base à l'étude de la physionomie n'ont été développés par lui qu'avec une réserve raisonnée. Pourtant ils ne sont pas soutenables, même en se plaçant sur le terrain des faits que lui-même a interprétés. Il assigne pour origine aux mouvements de la physionomie des mouvements habituellement associés chez les ascendants dans un but déterminé; ces mouvements reparaîtraient chez les descendants, même alors que le but en a disparu. Il décrit, par exemple, les attitudes des chiens domestiqués quand ils se préparent à l'attaque et quand ils caressent leur maître; il montre comment, dans ce dernier cas, ils veulent paraître désarmés et cherchent à se placer dans la position la plus inoffensive en se couchant sur le dos.
Mais il ajoute que les animaux sauvages voisins du chien, loups, chacals, renards, une fois apprivoisés, expriment de la même manière leur soumission. Est-ce à dire que leurs ancêtres se soient de même autrefois soumis à un maître et qu'ils aient hérité d'eux l'humilité de cette attitude?

Darwin est dans le vrai quand il parle d'un principe des contraires, d'après lequel les attitudes employées par les animaux pour exprimer la menace et l'hostilité sont bien différentes de celles qui leur servent à manifester l'amour et la soumission. Mais dans chaque cas particulier l'inspiration individuelle suffit pour expliquer le fait, et nous ne sommes pas forcés pour cela d'avoir recours à l'instinct. D'ailleurs, je n'oserais placer quelque chose d'analogue à l'instinct entre le mouvement réflexe et le mouvement conscient. Le même phénomène se retrouve chez l'homme et sert encore d'argument contre l'instinct. Chez lui aussi, entre l'expression de la menace ou de la colère et celle de la soumission ou de la douceur, règne une opposition absolue. L'habitude de joindre les mains en priant eut pour origine l'habitude de lier les mains en signe d'assujettissement; les Orientaux, au contraire, croisent les mains sur la poitrine, comme pour se rendre inoffensifs. Chez l'homme, nous ne faisons pas dériver ces coutumes de l'instinct: pourquoi donc, dans des circonstances analogues refuserions-nous aux animaux des idées semblables? Nos savants n'ont pas, pour juger l'intelligence des animaux, la sagesse populaire des Indous.
Darwin parle de l'activité directe du système nerveux; d'après lui, un excès de force nerveuse se précipiterait dans les voies que l'habitude a rendues plus perméables, et ce serait là l'origine des mouvements de la physionomie. Mais aussitôt se présente cette objection, que l'état de santé du système nerveux chez les adultes est moins favorable au mouvement mimique que son état de faiblesse et de maladie. Cette hypothèse est moins acceptable encore, si l'on songe à la vivacité des mouvements mimiques chez les enfants: les émotions se traduisent chez eux par des mouvements de tous les membres et cependant, comme l'a si bien montré Flechsig, leur système nerveux central est encore incomplet. En outre, il ne peut être question ici de la manifestation d'habitudes associées primitivement pour un but et transmises par l'hérédité. La mimique de l'enfant est très différente de celle de l'adulte; c'est surtout par l'imitation qu'elle se développe et se transforme. L'imitation peut même faire croire à une ressemblance des traits du visage, qui naturellement est étrangère à l'étude des mouvements de la physionomie.

L'idée de Lavater n'était pas assez mûrie, et Lichtenberg l'a réfutée par cette question: l'âme remplit-elle donc le corps comme un liquide qui prend toujours la forme du vase qui le contient? On reconnaît dans une société les frères inconnus de gens qu'on a déjà vu, on s'imagine que les traits de leurs visages se ressemblent, alors que c'est seulement leur mimique et leur manière de parler qui, grâce à une imitation inconsciente, ont acquis un certain air de famille.
Enfin Darwin pose ce principe que les mouvements coordonnés et conscients chez les ancêtres, et parmi eux les mouvements mimiques, se sont transformés dans leur descendance en une combinaison de mouvements réflexes. Il cherche en quelque sorte ici à poser le pied sur le terrain physiologique, mais il n'y parvient pas. Il suffit d'étudier au point de vue morphologique le développement progressif du cerveau dans l'échelle animale, développement auquel l'embryologie attache avec raison une si grande valeur; nous y verrons aux degrés les plus inférieurs de l'échelle la prédominance des organes réflexes, tandis que l'organe de l'association, le cerveau antérieur, foyer fonctionnel du mouvement conscient, ne forme qu'un appendice de mince importance. Dans le développement du cerveau humain se voit au début la même prépondérance des organes réflexes et le développement lent et tardif de l'organe cortical, dans lequel se forment les associations. Si les mouvements laissaient pour résidus des mouvements réflexes, alors les organes qui président à ces mouvements devraient être d'autant plus développés que les ascendants auraient produit plus de faits de conscience; enfin, si des mouvements primitivement conscients, si des associations habituelles et conformes à un but se transforment dans la postérité en mouvements instinctifs, alors la phase la plus élevée du développement des fonctions du système nerveux serait donc une vie entièrement réflexe? Le rôle des actions instinctives prendrait une importance toujours plus grande; l'organe cortical, de moins en moins nécessaire, s'atrophierait, et finalement, d'après ces disciples trop audacieux de Darwin, notre conscience ne serait plus qu'une accumulation de pensées innées au milieu de laquelle la pensée personnelle pourrait finalement disparaître, comme un instrument désormais inutile.

Mais je ne me permettrai pas de conclure que la théorie des pensées innées marque déjà en quelque sorte le début de cette ère anthropologique. Les principes que nous venons d'exposer entraînent, comme on voit, des conséquences que Darwin n'avait pas prévues et qui sont en opposition absolue avec les faits anatomiques et physiologiques. Il n'a donc pas su donner l'explication définitive de l'expression des émotions chez l'homme et chez les animaux. Il reste à expliquer pourquoi un observateur tel que lui a ici manqué le but. La raison en est que, partant uniquement de la description extérieure, il n'a pas assez tenu compte ni fait une étude assez approfondie de l'organe caché produisant ces phénomènes: du cerveau. Cela se comprend aisément, car ses premières études sur l'Expression, en 1838, contenaient déjà prématurément ces principes.
On jugera si le mécanisme du jeu de la physionomie ne peut pas être interprété d'une façon à la fois plus simple et plus vraie, lorsqu'on ne le considère que comme la manifestation de l'activité inconsciente du cerveau et si c'est sans dommage pour la science qu'on peut se passer des mobiles transmis par l'hérédité. Darwin, partant des mouvements conscients, devait donner pour origine à chaque fait mimique une invention personnelle. Pourtant la possibilité de mouvoir notre corps ne résulte pas d'une invention, mais c'est une expérience qui nous la révèle, puisqu'il se meut déjà sans l'aide de notre conscience. Le nouveau-né possède à peine des fibres conductrices dans son cerveau antérieur, quand déjà ses organes réflexes sont très développés.

Le mouvement réflexe primitif est simplement la transmission d'excitations sensitives à travers les cellules jusqu'aux nerfs moteurs des muscles; il développe encore un effet secondaire important. Dans le cerveau, il reste une empreinte, un souvenir du mouvement réflexe ou, selon l'expression de Wundt, un signe de rappel, accompagné de la notion de la possibilité de reproduire chacun de ces mouvements réflexes. Ces signes de rappel ont leur siège dans les couches corticales des hémisphères; à leur tour celles-ci sont reliées par des nerfs moteurs aux muscles dont la contraction réflexe primitive a laissé cette trace dans le cerveau.
Secondairement, le même muscle est mis en mouvement avec conscience par des cellules motrices. La force qui, sous forme de volonté, est la cause des impulsions conscientes, réside dans ces traces laissées par le réflexe dans les couches corticales; traces qui subsistent comme un souvenir durable du mouvement primitivement produit. Mais ces foyers de mouvements volontaires n'ont plus besoin d'être excités par les sensations extérieures; ils sont mis en relation par les fibres arciformes du cerveau antérieur avec tout le contenu de la conscience; de sorte que les impulsions volontaires sont intercalées dans le jeu d'associations presque infini qui constitue le phénomène apparent de la liberté.


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