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L'état de crédulité - Partie 2

Revue scientifique

En 1887, par Rochas A.

On arrive au même résultat en chassant le sang du vertex par l'approche d'un corps froid ou bien encore en attirant le sang dans le dos par exemple, au moyen de frictions énergiques ou d'un objet chaud.
La digestion, qui fait affluer le sang vers la partie médiane du corps, peut produire un effet identique; c'est ce qui arrivait au libraire allemand Nicolaï.
M. Maury en cite un exemple qui lui est personnel:

Un jour, mes yeux avaient été frappés par un plat couvert de cerises les plus vermeilles et qui était sur ma table. Quelques instants après mon dîner, le temps étant devenu orageux et l'atmosphère fort oppressive, je sentis que le sommeil allait me gagner, mes yeux se fermaient, j'avais encore les cerises à la pensée: je vis alors dans une hallucination hypnagogique ces mêmes cerises vermeilles, et elles étaient placées dans la même assiette de faïence verte sur laquelle elles avaient paru à mon dessert. Ici, il y avait eu transformation directe de la pensée en sensation.

On a vu que la rotation est employée en Turquie par les derviches tourneurs pour donner l'extase. Il est probable qu'elle empêche le sang de pénétrer de la pie-mère dans la partie supérieure du cerveau en le refoulant sur la circonférence par suite de la force centrifuge.
Au bout de quelques tours de valse, tous mes sujets voient et entendent tout ce que je leur dis de voir et d'entendre; ils s'arrêtent cloués au sol si je leur affirme qu'ils ne peuvent plus bouger.
Un coup subit, une secousse agissent comme une injonction brusque ou une émotion en arrêtant pendant quelques instants le mouvement du cœur. Je dis à un sujet: Pensez que vous allez avoir la jambe gauche paralysée, ou bien une douleur au bras droit, ou bien encore les deux pouces contracturés; il a beau y penser, rien ne se produit; mais si, tout à coup, je détermine un choc en un point quelconque de son corps, l'effet annoncé se réalise.
Quand une mère, impatientée du manque de mémoire de son enfant, lui répète une recommandation en l'accompagnant d'un soufflet, elle lui donne par ce fait même une suggestion et elle le sent bien, car elle lui dit d'ordinaire: « Tu te le rappelleras maintenant. »
Une simple pression sur le vertex, c'est-à-dire sur la partie supérieure de la calotte du crâne, peut déterminer, suivant son intensité, tous les degrés de l'hypnose. Le point le plus sensible est à la jonction des deux os pariétaux et des deux frontaux. Les bords des os étant les derniers à se solidifier, ce point du crâne (qu'on appelle le bregma) reste tout particulièrement malléable et on conçoit qu'une pression exercée là rende momentanément exsangue une partie de la substance grise, comme lorsqu'on appuie un doigt sur le dos de la main.
Si la pression a lieu sur le bregma lui-même, par conséquent sur la partie médiane du crâne, on agit simultanément sur les deux lobes du cerveau; si au contraire on presse un peu à droite ou un peu à gauche, l'effet ne porte que sur la partie droite ou la partie gauche du corps.
Quand on a amené ainsi, par une pression de plus en plus énergique, le sujet tout entier ou l'une de ses moitiés à une phase quelconque de l'hypnose, ce qui a pu se faire graduellement si on a opéré avec des précautions suffisantes, on le ramènera au point de départ en le faisant passer par les mêmes étapes au moyen de frictions.
La sensibilité du bregma est telle chez certaines personnes qu'il suffit de l'effleurer pour déterminer l'état de crédulité.

Certaines odeurs et certaines onctions déterminent l'hypnose; on ne sait pas comment elles agissent, d'autant plus que leur action se complique d'autres effets.
Le souffle produit l'hypnose quand il a lieu sur la nuque, et le réveil quand on le dirige sur la face; il peut donc, dans le premier cas, donner l'état de crédulité; et, dans le second, enlever une infirmité ou une hallucination provenant de suggestion.
Je ne vois pas bien à quelle théorie il faut rattacher ces phénomènes; je me bornerai à faire remarquer qu'ils semblent avoir été connus dans l'antiquité.
A Bethsaïde, on amène à Jésus un aveugle; il lui impose d'abord les mains en même temps qu'il lui crache ou souille fortement sur les yeux; l'aveugle commence à voir. Jésus lui pose alors la main sur les yeux et la guérison devient complète.

Et apprehensa manu coeci, eduxit eum extra vicum; et expuens in oculos ejus, impositis manibus suis, interrogavit eum si quid videret. Et aspiciens, ait: « Video homines sicut arbores ambulantes. » Dcinde iterum imposuit manus super oculos ejus; et coepit videre, et restitutus est, ita ut clarè videret omnis (Mare, VIII, 23-25).

Origène (contra Celsum, 1), citant une objection de Celse contre ces miracles, dit: « Vous vantez les guérisons opérées par Jésus-Christ. Mais il a cela de commun avec les faiseurs de prestiges qui ne promettent point des miracles aussi imposants; avec des charlatans instruits chez les Égyptiens qui, pour quelques oboles, pratiquent ces secrets merveilleux. Ne les voyez-vous pas chasser les démons du corps des hommes, guérir les maladies par le souffle (morbos exsufflantes)?

Les changements de personnalité ont été étudiés, il y a déjà plusieurs années, par M. Ch. Richet qui me fit assister, en 1883, à plusieurs des curieuses expériences décrites dans son livre sur l'Homme et l'intelligence.
M. Charles Richet suppose que le sujet perd tout à coup, sous l'influence d'une cause mal connue, tous ceux de ses souvenirs qui ne se rapportent point à la personnalité évoquée et que ceux-ci, régnant alors en maîtres dans son cerveau, prennent une intensité exceptionnelle. L'hypothèse me paraît absolument conforme à tout ce que j'ai vu.
Ces phénomènes sont très faciles à obtenir et je les ai produits par presque tous les procédés ci-dessus décrits. Ils ne donnent des effets intéressants que quand le sujet est observateur; on n'obtient rien si on lui demande quelque chose qu'il ne connaît pas, sur laquelle ses souvenirs ou son imagination ne lui fournissent aucune donnée.
Tel, qui a toujours vécu à la campagne, imite admirablement les animaux et reste coi si on veut en faire un personnage historique; celui-là, au contraire, qui sort du collège se mettra dans la peau d'Harpagon ou de Don Quichotte, mais se bornera à quelques gestes des bras si on le transforme en menuisier ou en maréchal ferrant.
Quelques sujets bien doués en arrivent à prendre si bien les allures et le caractère du personnage, que leur écriture se modifie en conséquence.

Benoît se met lui-même en état de crédulité en posant son index en isonome sur la partie droite du front. Je lui lis ce fragment des Lettres d'un voyageur de George Sand:

On vient d'ouvrir l’écluse de la rivière. Un bruit de cascade, qui me rappelle la continuelle harmonie des Alpes, s'élève dans le silence. Mille voix d'oiseaux s'éveillent à leur tour. Voici la cadence voluptueuse du rossignol; là, dans le buisson, le cri moqueur de la fauvette; là-haut, dans les airs, l'hymne de l'alouette ravie qui monte avec le soleil; l'astre magnifique boit les vapeurs de la vallée et plonge son rayon dans la rivière, dont il écarte le voile brumeux. Le voilà qui s'empara de moi, de ma tête humide, de mon papier. Il semble que j'écris sur une table de métal ardent... Tout s'embrase, tout chante; les coqs s'éveillent mutuellement et s'appellent d'une chaumière à l'autre; la cloche du village sonne l'Angelus; un paysan qui recèpe sa vigne au-dessous de moi pose ses outils et fait le signe de la croix...

A mesure que je lis, Benoît suit dans l'espace les visions que j'évoque; il voit tout, il entend tout et, la figure rayonnante, il s'écrie: « Mon Dieu! que c'est beau! »
Je lui fais lire à lui-même une autre description; mais, son attention étant concentrée sur l'acte même de la lecture, il ne voit et n'entend qu'à la condition d'interrompre cette lecture et de regarder dans l'espace.
Je dis à Benoît de bien regarder dans la glace son oreille droite, qu'il va la voir s'allonger et qu'il aura tout à l'heure des oreilles d'âne.
Au bout de quelques secondes il voit ses oreilles, il les prend au-dessus de sa tête; habitué à mes expériences, il sait très bien que c'est une hallucination et en rit; mais il affirme qu'il ne peut distinguer le vrai du faux.
Je fais la même expérience avec Marie et lui dis qu'elle va se voir avec une couronne de mariée; la suggestion se réalise très rapidement, mais la jeune fille a les yeux fixes et peut à peine répondre. Cet état de torpeur se produit, du reste, chez elle, dès que l'état de crédulité est un peu accentué.
Benoît et Gabrielle sont extrêmement sensibles à l'action de l'éther. Il suffit d'approcher de leurs narines une pilule qui en contient, percée par une épingle, pour déterminer d'abord l'état de crédulité, puis l'hypnose.
Voici deux expériences basées sur cette propriété.
J'écris sur une feuille de papier: Ce papier brûle, et je le donne à Benoît en même temps que je lui fais respirer un peu d'éther. Aussitôt qu'il a lu, il jette vivement le papier à terre et l'écrase avec le pied. Il ne peut croire que le papier n'a pas flambé avant de l'avoir ramassé et constaté qu'il ne portait aucune trace de brûlure.
J'écris sur une autre feuille: Vous êtes aveugle, et je place cette feuille pliée dans une enveloppe cachetée avec un peu de coton imbibé d'éther. Je vais dans une pièce voisine et, quelque temps après, je fais remettre la lettre à Gabrielle. Elle ouvre l'enveloppe, respire l'éther pendant qu'elle tire la feuille de papier et la déplie; elle lit la phrase et cesse de voir.
Au bout de cinq minutes la cécité par suggestion durait encore. Je l'enlève en soufflant sur ses yeux.

Plusieurs personnes étaient réunies chez moi; je fais venir quatre sujets et, après quelques expériences de polarité, j'annonce que je vais essayer de reproduire une ascension de table comme on l'a fait chez M. de Gasparin et à la société psychique de Londres.
Pour préparer l'esprit des spectateurs, je donne quelques détails sur ces expériences et je montre la réalité du courant déterminé par une chaîne humaine.
Je place alors un crayon sur une petite table; nous nous mettons autour en nous tenant par la main; je dis que je vais concentrer ma volonté pour que la table s'élève jusqu'au plafond, s'y colle, et que le crayon y écrive en grosses lettres: « Êtes-vous convaincus. »
Au bout d'un instant, j'affirme que je sens un courant passer et que je vois la table vaciller; puis je m'écrie: « La voilà qui s'enlève, elle est collée au plafond. »
Tous les sujets la virent ainsi et lurent l'inscription; je crois bien, à en juger par l'expression de leur figure, que certaines spectatrices qui n'étaient point dans le secret en firent autant, mais je ne voulus point leur faire avouer leur état.
Quant aux quatre sensitifs, je les fis causer entre eux de manière à confirmer, par leurs témoignages réciproques, la réalité du phénomène, au sujet duquel je ne les édifiai que plus tard.
J'ai déjà dit que Marie voit des esprits quand elle est dans le sommeil magnétique et que l'un de ceux avec lesquels elle se trouve habituellement en rapport est un ancien habitant de son quartier, M. V.
Ayant mené Benoît voir une de ces séances de spiritisme, je lui demande s'il a connu M. V.; il me répond que non. — « Eh bien, je vais vous le montrer. Tenez le voilà. » Il le voit; il lève la tête pour lui parler. — « il est donc bien grand? — Oh! oui. — Comment est-il habillé? — Tout en noir. — En habit ou en redingote? — Je ne vois pas bien. Tendez-lui la main et dites-lui de vous contracturer. »
Il tend la main et la main se contracture. « Dites-lui de vous décontracturer. » La main se décontracture. « Demandez-lui s'il a connu votre père. » Et le dialogue s'engage entre Benoît et l'esprit.
Marie suit cette scène avec un profond étonnement. Je lui ordonne tout à coup de le voir aussi; elle le voit. « Est-il grand? — Non. » Suit alors un signalement assez vague et différent de celui qu'avait précédemment donné Benoît, lequel continue à parler au vide.
Je fais également contracturer et décontracturer la main de Marie.
Même phénomène avec Rose qui était aussi là et qui se moquait des deux hallucinés.
J'appris le lendemain qu'après mon départ on avait interrogé, au moyen de la table, M. V., qui naturellement a répondu que tout avait été pure illusion.


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