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L'état de crédulité - Partie 1

Revue scientifique

En 1887, par Rochas A.

Les suggestions à l'état de veille ont été observées depuis Braid par tous ceux qui se sont occupés sérieusement d'hypnotisme, et en particulier par Philips, Charles Richet et Bernheim.
J'ai établi, par de nombreuses expériences faites à Blois sur un certain nombre de jeunes gens, les points suivants, dont il reste maintenant à vérifier la généralité.

1° Dans l'état de crédulité, une idée quelconque du sujet se transforme automatiquement en sensation ou en acte, suivant sa nature; les suggestions peuvent être à échéance. Ces phénomènes sont donc identiques à ceux qui se produisent dans l'état somnambulique, sauf, peut-être, qu'ils présentent une intensité moindre.

2° L'état de crédulité est, de toutes les phases de l'hypnose, la plus facile à provoquer; il est intermédiaire entre la veille et l'état cataleptique; il se produit par conséquent lorsque le sujet passe de l'un à l'autre, soit en s'endormant, soit en se réveillant. Il peut être déterminé même chez des sujets chez lesquels on ne peut arriver à provoquer l'état cataleptique.

3° L'état de crédulité peut être produit, suivant la sensibilité des sujets, par l'un quelconque des agents que l'on a reconnus capables de provoquer une phase quelconque de l'hypnose, pourvu qu'on dose convenablement cet agent. Il peut, comme les autres états, être provoqué dans chaque moitié du corps séparément.

4° Une hallucination ou une suggestion quelconque peuvent être détruites par tout agent qui réveille, ou, en d'autres termes, par tout agent qui rétablit l'activité cérébrale.

On voit, comme première conséquence de ces lois, qu'un sujet peut se donner à lui-même toute espèce d'hallucinations et de suggestions, en fixant sa pensée sur ce qu'il désire et en se mettant en même temps en état de crédulité par l'un quelconque des procédés propres à amener cet état, qui sont à sa disposition.
Les personnes facilement hypnotisables devraient alors être d'abord instruites du procédé qui leur permet de détruire les suggestions auxquelles elles sont exposées, puis exercées à l'employer. L'expérience prouve, en effet, que beaucoup de sujets peuvent s'habituer à surmonter l'espèce de stupeur où les plonge la suggestion, stupeur qui les empêche d'avoir des idées autres que celles qu'on leur a imposées.
Un hypnotiseur habile saura, il est vrai, formuler ses ordres de manière à déjouer toute espèce de résistance; mais presque toujours, ici comme ailleurs, c'est un détail négligé par le criminel qui le dénonce; et celui qui a des intentions coupables sera retenu par le seul fait qu'il ne sera plus sûr de l'automatisme de la victime.
Je vais maintenant étudier d'une façon plus approfondie une partie des phénomènes énoncés ci-dessus.

Les procédés qui déterminent le ralentissement de la circulation cérébrale, et par suite l'état de crédulité, peuvent se diviser en trois groupes: les premiers dérivent d'une vive surprise; les seconds, de la suspension de la pensée; et les troisièmes, d'actions mécaniques diverses.

1° L'injonction brusque réussit chez des personnes très impressionnables qui ne sont pas susceptibles d'atteindre une phase plus avancée de l'hypnose. L'ordre doit être court, prononcé nettement et en surprenant le sujet; avec un peu d'habitude, on arrive à reconnaître le petit tressaillement qui indique que la suggestion a pris. On peut ainsi, au commandement, rendre à la fois toute une assemblée de sujets aveugles, sourds, muets, boiteux, paralytiques, et les guérir; leur enlever et leur rendre la sensibilité ou la mémoire; leur faire croire qu'ils sont possédés du diable ou transformés en animaux dont ils imitent les cris et les mouvements; les faire avancer ou reculer, tomber à terre et se relever, dormir et se réveiller; les enfermer dans un espace dont ils ne peuvent plus sortir, les empêcher de pouvoir vous atteindre avec l'arme qu'ils tiennent à la main, etc., etc. Ces effets sont très dramatiques et se produisent avec une intensité d'autant plus grande qu'il y a plus de sujets réunis, soit par l'effet de l'instinct d'imitation, soit par celui de courants induits encore mal connus.
Une lumière vive et subite, comme celle du magnésium, on un rayon électrique, peuvent également dynamiser les idées que le sujet a dans l'esprit; mais presque toujours cette action est trop violente et détermine d'emblée l'état cataleptique, ainsi que je l'ai déjà signalé pour les bruits de même nature.
On a observé bien des fois que la peur donnait des hallucinations. Il y a vingt-cinq siècles, Job décrivait ainsi le phénomène (IV, 15).

Dans les pensées issues des visions de la nuit, lorsqu'un sommeil profond est tombé sur les hommes, la peur vint sur moi, et un tremblement qui faisait craquer tous mes os. Alors un esprit passa devant ma face. Le poil de ma chair se hérissa. Je m'arrêtai, mais je ne pus distinguer sa forme: une image était devant mes yeux, et au milieu du silence j'entendis une voix me disant: « L'homme mortel sera-t-il plus juste que Dieu? »

Au moment on la peur a mis une masse d'hommes dans l'état de crédulité, il suffit du moindre son, du moindre jeu de lumière déterminant chez l'un d'eux une illusion pour que cette illusion se propage avec la rapidité de l'éclair et entraîne la troupe tout entière dans une fuite désordonnée. Inversement, qu'un chef, saisissant le moment psychologique, commande l'attaque: la suggestion aura son effet et on verra se produire ce que, dans l'armée, on appelle une panique en avant.
Une émotion vive produit le même effet que la peur.

Je me trouvais à Paris, rapporte Wigan, à une soirée de M. Bellart, quelques jours après l'exécution du prince de la Moscowa. L'huissier, entendant le nom de Maréchal aîné, annonça M. le Maréchal Ney. Un frisson électrique parcourut l'assemblée et j'avoue, pour ma part, que la ressemblance du prince fut, pendant un instant, aussi parfaite à mes yeux que la réalité.

Je dis à Benoît (sujet sur lequel j'ai fait la plupart de mes expériences) de penser à un objet quelconque, à mon chien, par exemple, puis de se donner à lui-même une secousse comme s'il avait peur; il voit alors apparaître, comme un éclair, la tête ou une partie plus considérable du corps du chien, suivant l'intensité de la secousse. L'effet est naturellement plus complet, si c'est moi qui lui fais peur.

2° Le procédé le plus connu pour suspendre la pensée consiste à fixer un point brillant. Il a été employé par les sorciers et les devins de tous les temps et a été le point de départ de plusieurs branches des sciences occultes au sujet desquelles je reviendrai dans un chapitre suivant.
Maintes fois j'ai fait apparaître dans un diamant, sur mon ongle imbibé d'huile, dans une carafe, sur un flot de la Loire, dans une étoile, la chose que le sujet désirait, sans que je susse moi-même quelle était cette chose.
Si, quand le sujet est en état de crédulité, je porte son esprit sur une scène, même compliquée, en évoquant ses souvenirs ou son imagination à propos du caractère des personnages, il les voit agir, il les entend parler. Ainsi, j'ai fait assister Benoit à une séance du conseil municipal de Blois, et Gabrielle à l'expulsion des religieuses d'un couvent. Un spectateur aurait certainement pu croire à des phénomènes de vue à distance ou de prévision.
Il n'est même pas besoin, pour un sujet très sensible, que l'objet fixé soit brillant; il suffit de concentrer son attention sur la vue d'un objet déterminé, de produire ce que M. Ochorowicz appelle la monoidéie. On connaît l'expérience de l'Y de Pythagore; du Potet indique toute une série de phénomènes fort extraordinaires, mais complètement analogues, qu'il attribue à des puissances occultes.
Il ne faut pas confondre l'état passif de l'esprit qui reste fixé sur une seule idée avec le travail de l'esprit qui cherche à grouper autour de cette même idée une foule d'idées connexes. M. Alfred Maury en avait déjà fait la remarque.

C'est une contemplation prolongée et intense d'un objet ou d'une idée qui produit l'extase, je dis contemplation et non réflexion, choses tout à fait distinctes. L'esprit, occupé sans cesse de la vue du même objet, fait accomplir sans cesse au cerveau les mêmes mouvements. Or l'on sait quel est l'effet de la répétition des mêmes actes imposés aux organes: il produit l'habitude; l'esprit alors agit, fonctionne, sans conscience presque de son action; il opère automatiquement et comme par un mouvement réflexe.

La même observation s'applique aux impressions de l'ouïe.
Les charmes des anciens n'étaient autre chose, dans l'origine, que des vers (carmina) récités de façon à endormir la pensée par le retour périodique et monotone de certains sons.
M. Charles Bichet a vu, dans les cafés du Caire et de Damas, l'effet de ces incantations combinées avec la fumée de haschisch, qui procure une sorte de somnolence, même à ceux qui en sont entourés, sans fumer eux-mêmes.

La musique monotone et nasillarde berce doucement dans ce sommeil. Aux murs sont figurés grossièrement des formes bizarres, bleues ou rouges, de chameaux, de bonshommes grotesques, de Karagheus, ou même simplement des lignes, des carrés, des triangles entre-croisés. Pour les fumeurs, ces dessins rudimentaires éveillent des illusions délicieuses et ils se croient transportés dans le paradis de Mahomet; cependant, pour charmer par des contes l'oisiveté des assistants, un chanteur psalmodie un long récit moitié religieux, moitié héroïque; ce récit est composé de couplets et entre chaque couplet la musique recommence non rythme interminable. Parfois un des fumeurs se lève tout titubant; en hurlant, il s'extasie sur un objet fantastique qu'il vient d'apercevoir dans son délire, et exalte le bonheur de l'ivresse par le haschisch. Tous les autres se mettent alors à rire bruyamment: « Qu'Allah soit avec toi! Louange à Allah! » disent-ils à celui qui a parlé.

Le P. de l'Ancre cite, parmi les différents genres de divination, celle qui se faisait au bruit des vagues.
Si je prie l'une ou l'autre de mes sujets d'écouter avec attention le tic tac d'une montre on d'une horloge, je puis faire entendre ou voir, au bout de quelques secondes, tout ce que je désire.
Je joue, devant Benoît, un air quelconque sur le piano; il le perçoit exactement. Au bout de quelques notes, je lui dis que je vais jouer un autre air déterminé: aussitôt il croit entendre celui-là: si je continue, il tombe en extase. Jusqu'ici, c'est un phénomène purement physique dans lequel le talent de l'artiste n'entre pour rien; mais les impressions morales interviennent quand le morceau de musique exprime des sentiments bien déterminés qui se reflètent dans sa physionomie et son attitude, comme on l'a vu dans le paragraphe 4 du présent chapitre.
Si je lui fais répéter avec moi, d'un ton bien rythmé : Ora pro nobis, Ora pro nobis, il ne tarde pas à tomber en extase. — J'obtiens le sommeil, avec physionomie souriante ou triste, en répétant de la même manière: Je suis bien content, je suis bien content, ou Que je suis triste! que je suis triste!
Chez les autres, je ne parviens pas à produire le sommeil, mais je détermine les hallucinations de tous les sens. Des frictions douces et régulières, effectuées sur une partie quelconque du corps, ont amené chez tous mes sujets soit l'état de crédulité, soit le sommeil, suivant leur sensibilité.

3° Ce qui prouve bien l'influence de la circulation cérébrale dans la production de l'hypnose, c'est qu'il suffit d'éveiller une pensée chez un sujet et de ralentir ensuite l'arrivée du sang artériel dans le cerveau, par la compression de la gorge, pour provoquer chez lui, instantanément, l'hallucination correspondante qui cesse dès que la gorge redevient libre.


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