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Les sens avant la naissance - Partie 1

Revue scientifique

En 1887, par Preyer W.

Le signe général et caractéristique de la vie de l'embryon est son isolement, sa séparation par la membrane coquillière, la coque, le sac fœtal, d'avec le milieu ambiant, qui réduisent au minimum l'effet des impressions sensorielles. Sous ce rapport, presque tous les embryons ont, avant leur maturité, une existence analogue à un sommeil sans rêve après la naissance. Mais, de même que dans le sommeil la fonction des sens et les phénomènes psychiques qui s'y rattachent font défaut, et non point la possibilité pour les organes des sens d'être mis en activité par des excitations assez intenses (au moment du réveil); de même se passent les choses chez l'embryon, qui est excitable longtemps avant sa maturité. La grande différence qui existe entre les états qui précèdent la naissance et ceux qui la suivent provient de ce que l'expérience manque à l'embryon et, qu'en conséquence, lors même que son appareil nerveux terminal serait déjà parfait à la périphérie et au centre, ce qui n'est pas le cas, la réaction produite par des excitations adéquates serait nécessairement autre qu'elle ne le sera plus tard. Au point de vue physiologique et particulièrement au point de vue psycho-génétique, il est important de rechercher à quelle époque, chez l'homme et l'animal, chaque organe des sens devient excitable.


I. La sensibilité de la peau avant la naissance

La sensibilité superficielle cutanée est faible chez l'embryon. Mais, vers la fin de son existence intra-utérine, on constate déjà facilement, chez beaucoup d'animaux, une sensibilité notable de la peau. Si, après avoir observé une fois des mouvements chez le fœtus, on pique avec une aiguille très fine l'embryon d'une femelle de cobaye en état de gestation avancée, on peut être sûr de voir se manifester un nouveau mouvement. J'ai souvent fait cette expérience, d'abord pour montrer, sans entrouvrir la cavité abdominale, les mouvements du fœtus grâce aux oscillations parfois très rapides de la tête de l'aiguille; puis dans l'intention de préciser le moment où l'excitabilité réflexe de l'embryon devient perceptible. Mais comme des piqûres répétées provoquent facilement l'avortement, j'ai dû renoncer à faire mon épreuve de cette façon.

La palpation pratiquée sur le fœtus de cobaye avec le pouce et l'index, sans lésion, fut suivie déjà de nombreux mouvements de répulsion de la part du fœtus, de telle sorte qu'une forte pression agit comme une piqûre. Toutes deux sont des excitations réflexes et toutes deux peuvent provoquer, sans nul doute, une impression douloureuse, du moins peu de temps avant la naissance et sur un animal qui arrive au jour assez développé.

Chez des embryons de lapins également, lorsqu'ils sont proches de leur terme, la sensibilité de la peau est aisément démontrable, immédiatement après leur extraction rapide de l'utérus. Parmi des cas nombreux, qu'un seul serve à la démonstration. Le 19 mars 1879, j'enlevai à une lapine cinq embryons presque à terme, dans l'espace de cinq minutes. Tandis qu'avant l'ouverture de l'utérus, ils avaient été d'abord sans mouvement, je vis déjà, à la préhension et après leur extraction complète, plusieurs d'entre eux exécuter immédiatement des mouvements avec leurs pattes. Quand le cordon fut sectionné, tous les cinq se remuèrent avec vivacité, au pincement d'une patte ou à l'excitation électrique d'un point quelconque de leur peau. L'excitation des nerfs cutanés, par une série de fortes décharges d'induction se suivant rapidement, est sans aucun doute douloureuse déjà, car les animaux poussèrent des cris si forts, pendant et peu de temps après l'excitation, qu'on dut s'étonner de la force de leur voix. Mais, bientôt après leur éloignement de la mère, ils ne crièrent plus. A la simple piqûre faite sur la peau avec la pointe d'une aiguille, au pointillage fait sur elle avec des acides minéraux énergiques et à la brûlure produite avec des baguettes de verre très chaudes, on entendit chaque fois des cris puissants; mais les autres réponses réflexes des excitations cutanées douloureuses étaient tout à fait irrégulières et sans but. Ces petits êtres aveugles ne pouvaient échapper à la pince électrique et à l'aiguille, et leurs mouvements, vigoureux en vérité, mais complètement incoordonnés, de temps à autre, comme accidentellement, bilatéraux-symétriques et rampants, révélèrent seulement qu'ils ressentaient la forte excitation cutanée, traumatique, électrique, thermique, chimique. En outre, le refroidissement provoquait une diminution des mouvements moins énergiques qui avaient lieu, dès le début, sans excitation artificielle; il semblait que les animaux s'endormaient; tandis que le réchauffement poussait leur motilité jusqu'aux convulsions, la tête en particulier se projetant de-ci de-là et l'animal entier exécutant parfois des rotations. Non garantis, les embryons se refroidissent avec une très grande rapidité.


II. Le sens du goût avant la naissance

La meilleure preuve qu'un fœtus a déjà, un ou deux mois avant sa naissance, la faculté d'éprouver la sensation du goût, est fournie par les expériences de Kussmaul sur des fœtus nouvellement nés de sept et de huit mois. Il trouva qu'à l'arrosement de la langue avec une solution sucrée, ils réagissent d'une tout autre façon qu'à l'arrosement avec une solution de quinine. Dans le premier cas ils relevaient les lèvres en forme de museau, serraient la langue entre les lèvres et commençaient à sucer et à déglutir avec plaisir. « Par contre, pour la solution de quinine, la figure se contractait. Aux degrés les plus légers de l'action produite par la solution de quinine, les muscles élévateurs seuls des ailes des narines et de la lèvre supérieure se contractèrent; à des degrés plus intenses, les muscles sourciliers et les muscles constricteurs des paupières se contractèrent aussi; ces dernières furent étroitement serrées et même tenues fermées un certain temps. Avec cela le pharynx éprouva des contractions convulsives, les enfants firent des efforts pour vomir, la bouche s'ouvrit largement, la langue se tira sur une longueur d'un pouce, et le liquide introduit fut le plus souvent expulsé en partie avec une grande quantité de salive. Parfois la tête fut vivement secouée comme cela se passe chez les adultes quand ils éprouvent de la répugnance. » Ces mouvements mimiques se manifestèrent chez plusieurs fœtus non à terme, de même que chez les fœtus mûrs, particulièrement chez un garçon qui était né au septième mois, et dont la peau rouge était encore couverte de duvet lanigineux, dont les mains étaient bleues et froides.

Genzmer, également, ne trouva pas la sensibilité du goût aux substances amères et acides, beaucoup plus obtuse chez les enfants nés jusqu'à huit semaines avant le terme normal, que chez les fruits à terme. En outre, on constata sous le rapport de la vivacité de la réaction de grandes différences individuelles. Mais, d'après cela, il n'est pas permis de douter que la voie réflexe du nerf du goût, du moins des fibres nerveuses sensibles à l'amer et au doux, existe et est praticable, deux mois déjà avant la naissance, jusqu'aux nerfs moteurs des muscles faciaux, linguaux, pharyngiens, masséters. Cette conclusion a d'autant plus de valeur qu'une occasion d'utiliser cette voie ou qu'une véritable sensation du goût peut difficilement survenir dans l'utérus.

Lors même, en effet, que l'eau de l'amnios ne resterait pas constamment la même, comme des auteurs antérieurs l'ont cru, et que, par conséquent, elle pourrait pour cette raison éveiller chez l'embryon quelque sensation gustative, il n'est pas permis de mettre en compte, à titre de fortes excitations du goût, les changements qualificatifs et quantitatifs de l'ensemble de l'eau de l'amnios que déglutit le fœtus, quelle que soit la grandeur du champ qu'on leur reconnaisse, parce qu'ils se produisent avec une trop grande lenteur. La condition fondamentale de toutes les excitations nerveuses et de toutes les sensations, à savoir le brusque changement du milieu où aboutissent les extrémités excitables des nerfs, n'est pas réalisée, à moins qu'on ne croie le fœtus capable de distinguer s'il a dans la bouche l'eau de l'amnios aspirée ou le liquide propre de sa bouche (du mucus buccal ou même de la salive).
Une opinion pareille ne serait déjà pas autorisée par ce fait même que ni l'eau de l'amnios ni le mucus buccal n'ont une grande saveur, et que les enfants nouveau-nés se montrent indifférents à des excitations gustatives faibles. De plus, le fœtus produit très peu de salive.

Si cette considération rend improbable la production d'une sensation du goût ou seulement d'un réflexe du goût avant la naissance, il est nullement douteux cependant que les extrémités des nerfs gustatifs sont, dans l'utérus objectivement et faiblement excités par des excitations adéquates. L'eau de l'amnios contient en dissolution des matières d'une saveur alcaline, salée, et aussi, grâce à l'addition d'un peu d'urine fœtale, douce-amère et acidule. Lorsque, comme c'est le cas, cette solution coule très fréquemment sur la face dorsale de la langue, dans l’œsophage, les extrémités des nerfs gustatifs sur la langue doivent être faiblement excitées, et la réaction du nouveau-né à ces excitations gustatives, lorsqu'elles sont fortes, en paraît plus compréhensible. Peut-être lui vient-il une vague réminiscence des excitations intra-utérines accumulées.

Par contre, la production d'une sensation du goût par des excitations internes non adéquates, avant la naissance, n'est pas admissible. Car une pareille sensation est très rare chez l'adulte en bonne santé et à l'état de veille; elle n'est pas fréquente non plus dans le rêve, et alors elle est produite par des réminiscences. Les hallucinations du goût, dans les maladies mentales et les empoisonnements (notamment par la santonine) sont relativement rares; et, bien que Magendie et moi-même ayons observé, chez des mammifères, des mouvements vigoureux de mastication, du lécher, de claquement des lèvres, de déglutition, à la suite d'une injection sous-cutanée d'une substance d'une saveur prononcée, il est probable qu'il s'agit ici d'une excitation adéquate des nerfs gustatifs par une voie insolite, c'est-à-dire qui part du sang.

L'occasion d'une semblable excitation gustative fait défaut aussi à l'embryon, quand la mère, ainsi que c'est la règle, ne l'éprouve pas elle-même.
Que, d'ailleurs, le cerveau ne soit pas indispensable à la production du réflexe du goût, chez l'individu né prématurément, cela a été démontré par une observation importante du professeur O. Küstner, qui vit l'anencéphale mentionné déjà, après qu'il lui eût badigeonné la langue avec de la glycérine, faire la bouche en pointe. En même temps la langue fut portée entre les gencives, retirée et ramenée à nouveau, et ainsi de suite. Après le lavage de la bouche, on lui mit du vinaigre sur les lèvres et la langue. Cette expérience eut pour conséquence l'ouverture de la bouche et la projection répétée de la langue. Avec cela, la face entière était cyanosée, la conjunctiva bulbi injectée des deux côtés. En effet, la fente palpébrale laissa voir le bulbe de l’œil des deux côtés jusqu'à environ la moitié de l'iris.
A cet anencéphale manquaient, d'après le rapport fait sur sa dissection par le professeur O. Binswanger, le pont de varole, les pédoncules, les tubercules quadrijumeaux et la partie postérieure de la portion moyenne du cerveau, toutes les parties de la substance grise (en dehors de petits restes des pôles antérieurs des deux lobes frontaux) et toute la région qui comprend les hémisphères.

Par conséquent, les réflexes du goût avec distinction de deux qualités du goût, la perception du doux et de l'acide, doivent pouvoir se produire sans le cerveau.
Un rapport détaillé a été donné ailleurs sur le sens du goût des nouveau-nés à terme.


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