Partie : 1 - 2 - 3

Les sens de l'homme - Partie 2

Revue scientifique

En 1884, par Thomson W.

Mais je m'aperçois que je m'écarte de notre sujet. Nous comparions les changements de pression avec ceux du son émis. Lorsqu'on opère une descente dans une cloche de plongeur, la main ne perçoit pas les changements de pression atmosphérique; c'est d'une autre façon qu'elle se révèle à notre sensibilité. Derrière le tympan de notre oreille se trouve une cavité pleine d'air. Une pression plus forte sur un côté que sur l'autre produit une sensation pénible qui peut même, en cas d'une descente brusque, entraîner la rupture de la membrane du tympan.
Pour prévenir cette sensation douloureuse, il suffit de mâcher un morceau de biscuit dur; cette action permet à l'air de s'introduire à l'intérieur; une pression s'établit en sens inverse sur la membrane, contrebalance la pression extérieure et prévient la douleur. Ainsi que je l'ai dit, une très forte pression sur un organe si délicat est douloureuse, quelquefois même dangereuse; mais le moyen que j'indique est généralement efficace.
Revenons maintenant à la question. Que percevons-nous quand nous entendons? Nous percevons les changements subits de pression sur le tympan de l'oreille, pression qui s'exerce dans un espace de temps assez court et avec une force assez modérée pour ne pas entraîner de lésion ou de rupture, mais qui cependant est suffisante pour transmettre une sensation très nette au nerf auditif. Je suis obligé de passer rapidement sur ce sujet; les détails auraient sans doute un grand intérêt, mais ils me retiendraient trop longtemps. Aborder l'étude des nerfs auditifs serait dépasser les bornes de notre entretien. Je dois me borner à ce qui a trait à la physique, à ce que les Écossais nomment la philosophie naturelle.

La physique est la science qui s'occupe de la matière; nous devons laisser de côté la matière vivante, et cependant il faut en parler un peu lorsque l'on traite des sens en tant qu'agents de perceptions. C'est par eux que l'âme emprisonnée dans sa forteresse acquiert la connaissance des phénomènes extérieurs. Pour le physicien, les organes des sens jouent le rôle du microscope, et cependant la main et les yeux lui sont des auxiliaires précieux; c'est par eux qu'il comprend et apprécie sainement les phénomènes qui font l'objet de ses études.
Et maintenant quelle est la cause extérieure de cette action intérieure d'entendre, de percevoir un son? C'est un changement de pression atmosphérique. Nous semblons répondre parla question en disant que le son existe quand nous le percevons en tant que son. Et cependant il n'en est rien. Tout changement de pression assez soudain pour être perçu en tant que son doit être défini son. Je frappe dans mes mains, voilà un son. Cela ne fait aucun doute. Personne n'ira demander: Est-ce là un son? N'en est-ce pas un? C'est un son si vous l'entendez. Si vous ne l'entendez pas, ce n'en est pas un. C'est tout ce que je puis dire pour définir le son. Si nous pouvions percevoir par l'oreille une hausse barométrique de 1 millimètre en un jour, cette variation serait un son. Mais comme notre oreille n'est pas assez délicate pour cela, nous ne pouvons pas dire que ce changement est un son. Si la différence de pression survenait brusquement, si, par exemple, le baromètre venait à varier de 1 millimètre en 1 /1000 de seconde, nous l'entendrions, car cette élévation soudaine du baromètre produirait un son analogue à celui du choc de mes deux mains.
Quelle est la distinction à faire entre un phénomène sonore et le son musical? Le son musical est un changement régulier et périodique de pression. C'est une augmentation et une diminution alternatives de pression atmosphérique, assez rapides pour être perçues en tant que son, et se reproduisant par périodes avec une régularité parfaite. Quelquefois les bruits et les sons musicaux se confondent. La dureté, l'irrégularité, les périodes mal séparées ont pour effet de produire des dissonances compliquées qu'une oreille non exercée ne comprendra pas et prendra pour un bruit.

L'étude du son m'amène à vous parler des mathématiques et des grandes leçons pratiques qu'on en peut tirer pour le sujet qui nous occupe. L'an dernier, devant l'Association Britannique, M. le professeur Cayley et M. Henrici ont insisté sur l'importance et l'utilité des méthodes graphiques. Pour employer le langage mathématique, nous dirons que, dans l'étude du son, nous n'avons qu'une variable indépendante et cette variable, c'est la pression atmosphérique; nous n'avons pas ici ces mouvements variés, ces directions différentes, cette complication que l'on retrouve dans l'étude du sens de force, dans l'odorat et le goût. Nous n'avons à considérer qu'un point, la variation de pression atmosphérique. C'est ce qu'en mathématiques on nomme une variable indépendante. N'allez pas croire que les mathématiques sont repoussantes, ardues, contraires au sens commun. C'est, à vrai dire, l'idéalisation du sens commun. La fonction de la variable indépendante dont vous avez à vous occuper, c'est la pression de l'air sur le tympan. Eh bien, dans des milliers de comptoirs et de maisons de commerce à Birmingham, à Londres, à Glascow, à Manchester, on se sert régulièrement, ainsi que le montre le professeur Cayley, d'une courbe pour montrer la fonction d'une variable indépendante.
La fonction de cette variable sera, par exemple, à Liverpool, le prix du coton. Le courbe qui indique le prix du coton, monte quand le prix du coton est élevé, et descend quand le prix s'abaisse. Elle montre aux yeux tous les changements compliqués de cette variable indépendante. Il en est de même dans les tables de mortalité dont les courbes vous indiquent le nombre de décès jour par jour, et redisent l'histoire d'une épidémie par une simple ligne qui s'élève ou descend, suivant que l'épidémie augmente ou se rapproche de la normale. Tout cela parle aux yeux. C'est un des pouvoirs les plus étonnants des mathématiques de montrer ainsi la loi de variation, si compliquée cependant, d'une variable indépendante. Mais voici qui me parait plus merveilleux encore. Avez-vous jamais songé à ce qu'il y a de compliqué dans l'ensemble d'un orchestre de cent instruments, accompagnant les voix qui chantent en chœur. Songez aux conditions de transmission de l'air, aux sons qui le traversent, à l'accroissement, à la diminution de pression qui se succèdent en gradations insensibles, se répètent plusieurs centaines de fois en une seconde pendant l'exécution d'un morceau d'harmonie: tantôt c'est la note délicate de la flûte, l'harmonie de deux voix chantant en chœur, tantôt un ensemble d'orchestre, les notes hautes qui dominent les voix. Tout cela, le professeur Cayley vous le représentera par une simple ligne à la craie tracée sur un tableau. Une courbe semblable à celle du prix des cotons reproduira tout ce que l'oreille peut entendre et donnera le résultat de l'exécution musicale la plus compliquée.
Pourquoi un son est-il plus compliqué qu'un autre? Simplement, parce que dans un son compliqué les variations de notre variable indépendante, c'est-à-dire la pression de l'air, sont plus heurtées, plus soudaines, moins douces, moins périodiques que dans un son plus doux, plus pur, plus simple. Mais n'est-il pas vraiment merveilleux que la superposition de ces différents effets puisse être représentée graphiquement.
Vous savez tous ce qu'est une partition musicale. Que de notations sont nécessaires pour indiquer à chaque exécutant ce qu'il doit faire, sans compter tout ce que le compositeur n'a pu exprimer! Pensez à l'expression que chaque exécutant devra donner, à la différence entre le jeu d'un grand artiste et celui d'un exécutant ordinaire; pensez aux mille nuances du chant, à toute l'expression que l'on peut mettre dans une note: ici, un petit signe indique un crescendo, un autre petit signe un diminuendo, c'est là tout ce que peut taire le compositeur pour indiquer la différence d'expression à donner. Eh bien, tout ce qui peut être représenté en une ou deux pages d'une partition d'orchestre, comme spécification du son à produire en dix secondes, tout cela est représenté d'une manière extrêmement claire par une simple courbe sur une bande de papier longue de 1 ou 2 mètres. Voilà ce qui, à mon avis, est une preuve merveilleuse de la puissance des mathématiques. Ne vous laissez donc pas effrayer en pensant que les grands mathématiciens vous conduiront sur le terrain des quatre dimensions où vous ne pourrez pas les suivre. Souvenez-vous de ce que le professeur Cayley, dans son admirable discours, disait des mathématiques qui idéalisent et complètent le sens commun, et ne vous laissez pas éloigner de cette étude. Prenez courage, au contraire, en pensant aux progrès qu'ont fait faire à cette science merveilleuse ceux qui s'y sont dévoués.


III

Le sens de la vue pourrait être rapproché du sens de l'ouïe; tous les deux sont causés par de rapides variations de pression. Je vous ai dit avec quelle rapidité devaient se produire les alternatives entre la pression maxima et la pression minima, et quelle devait être la fréquence des périodes pour produire le son d'une note de musique. Si le baromètre varie une fois en une minute, nous ne percevrons pas cette variation en tant que note musicale; mais supposez que par une action mécanique de l'air la pression barométrique vienne à changer beaucoup plus rapidement; ce changement de pression que le mercure n'est pas assez rapide pour indiquer à nos yeux, l'oreille le percevra en tant que son; si la période se reproduit 20, 30, 40, 50 fois par seconde, vous entendrez une note grave; si la période s'accélère de même, la note, grave au début, s'élèvera graduellement, deviendra de plus en plus haute, de plus en plus aiguë; si elle atteint 256 périodes par seconde, nous aurons une note qui dans la notation musicale ordinaire correspond l'ut grave de la voix de ténor, l'octave le plus grave de la flûte. La note d'un orgue à deux pédales, ouvert aux deux extrémités, a 256 périodes par seconde. Allons plus haut, à 512 périodes par seconde, nous montons d'un octave et nous atteignons la clef de la voix de soprano. Montons d'un octave encore, nous arrivons à 1024 périodes, et nous remontons ainsi d'octave en octave en doublant le nombre des vibrations par seconde. Si nous atteignons 5, 6 ou 10 000 périodes par seconde, la note devient si aiguë qu'elle cesse de frapper l'oreille humaine. La note la plus élevée que puisse percevoir l'oreille paraît avoir à peu près 10 000 vibrations par seconde; je dis à peu près, car il n'y a pas de limite bien définie. Certaines personnes entendent une note à un diapason où d'autres ne l'entendent plus.
D'une façon générale, le diapason le plus élevé que puisse entendre l'oreille humaine donne environ 10 000 vibrations par seconde; nous pourrons donc définir les notes musicales, des changements de pression de l'air alternant régulièrement en périodes qui varient de 20 à 10 000 par seconde.
Existe-t-il des vibrations de 30, 40, 50, 100 000, 1 000 000 de périodes par seconde, dans l'air, dans les solides élastiques ou dans une matière quelconque affectant nos sens? Nous ne savons pas s'il existe dans la matière des vibrations de plus de 10, 20 ou 30 000 par seconde, mais nous n'avons aucune raison pour nier l'existence de ces vibrations et l'importance de leur rôle dans la nature. Toutefois lorsque nous atteignons un degré de fréquence qui ne peut être figuré et qui se mesure en millions de vibrations, ou tout au moins en centaines de mille de vibrations par seconde, nous dépassons les limites de capacité de l'oreille humaine, nous dépassons même les limites de la matière vibrante connue. Les vibrations ondulatoires de l'acier, de l'air, de l'eau, ont une fréquence que nous ne pouvons figurer ici, mais qui doit aller de cent mille à quelques millions par seconde.


IV

Étudions maintenant la lumière. La lumière est une impression sur la rétine de l’œil, et, au moyen de la rétine, sur le nerf optique; cette impression est produite par des vibrations dont la fréquence est sensiblement de 400 trillions par seconde à 800 trillions par seconde. Nous avons donc un champ assez étendu entre les 400 vibrations par seconde de la voix d'un ténor, et les 400 trillions par seconde qui représentent le nombre de vibrations correspondant au rouge sombre du spectre. Prenons le milieu du spectre, la lumière jaune, le nombre de vibrations est en chiffres ronds 500 trillions par seconde; la lumière violette nous donne 800 trillions. Au delà nous avons quelque chose que l’œil perçoit à peine; les rayons ultra-violets nous sont surtout connus par leurs effets photographiques et par plusieurs expériences remarquables qui dans ces trente dernières années ont beaucoup augmenté nos connaissances sur la lumière. Les rayons lumineux, jusqu'alors invisibles, deviennent visibles lorsqu'on les laisse tomber sur une espèce particulière de verre, un verre contenant un silicate du métal uranium. Ce verre d'urane à la propriété de rendre visibles des rayons qui ne frapperaient pas notre œil. Prenez un morceau de ce verre dans votre main, éclairez-le à l'aide de la lumière électrique, d'une bougie, d'une lampe à gaz, ou mettez-le dans le champ d'un spectre prismatique de lumière blanche et vous le verrez briller suivant la couleur de la lumière qui tombe sur lui. Éclairez-le avec des rayons ultra-violets et vous le verrez s'illuminer d'une couleur mystérieuse, qui vous révélera la présence de rayons invisibles jusqu'alors.
La découverte de cette propriété du verre d'urane a été faite par M. Stokes, on lui a donné le nom de fluorescence; depuis on a découvert que la fluorescence et la phosphorescence se touchent, et sont les points extrêmes d'un même phénomène. Vous connaissez tous ces objets lumineux fabriqués avec des sulfures de calcium, de baryum, de strontium, qui, après être restés exposés à la lumière pendant un certain temps, deviennent lumineux dans l'obscurité pendant plusieurs heures. Cette persistance dans l'émission de la lumière, propriété caractéristique de ces objets phosphorescents, existe également pour le verre d'urane, ainsi que l'a prouvé Edmond Becquerel: la découverte de la fluorescence se rattache donc au phénomène de la phosphorescence, sur lequel Robert Boyle appelait déjà l'attention il y a deux cents ans.


Partie : 1 - 2 - 3

Utilisation des cookies

carnets2psycho souhaite utiliser des cookies.

Vous pourrez à tout moment modifier votre choix en cliquant sur Gestion des cookies en bas de chaque page.