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Recherches sur la fatigue mentale - Partie 2

Revue scientifique

En 1889, par Galton F.

Disposition. — L'irritabilité est peut-être le signe le plus ordinaire de la fatigue naissante. Mes correspondants avouent franchement qu'il en est ainsi en ce qui les concerne personnellement, et ils le remarquent facilement parmi leurs élèves qui deviennent de mauvaise humeur et maussades lorsqu'ils sont fatigués. Je n'entrerai pas plus avant, car ce fait nous est familier; il est également bien connu que les nerfs des personnes sensitives deviennent tellement irritables par suite de l'excès de travail, qu'elles sont péniblement affectées par des choses auxquelles elles ne font nullement attention lorsqu'elles sont bien portantes, telles que le tic tac des pendules et les bruits de la rue. Une somme de souffrance très digne de pitié est dévoilée dans les réponses suivantes. Elles sont dues à l'irritabilité nerveuse, et l'on y parle de la façon sombre d'envisager la vie, provoquée par l'excès de travail, d'un sentiment d'incapacité, de la tendance à grossir les choses les plus insignifiantes, et de la terreur de la société. L'irritabilité est quelquefois accompagnée d'une somme considérable d'excitabilité, exprimée par des remarques telles que: 1. Je deviens nerveux et je tressaille en entendant du bruit; 2. Je tressaille quelque-fois par suite d'un bruit subit ou d'un mouvement dans la chambre.
Il est connu par des expériences, et j'ai à peine à le rappeler, que la rapidité aussi bien que l'intensité de la réaction à n'importe quelle excitation sont grandement affectées par la fatigue. Il existe une expérience qui n'est pas aussi bien connue qu'elle devrait l'être, et qui, lorsqu'une classe est habituée à la faire, peut être répétée à n'importe quel moment, en quelques secondes. C'est une expérience qui donne une excellente mesure de la durée variable du temps de réaction. La classe se dispose en cercle, chacun donnant les mains à ses deux voisins, et le professeur fait partie du cercle, ayant une montre avec aiguille à secondes sur la table devant lui. Tous les élèves ferment leurs yeux. Lorsque l'aiguille à secondes arrive à une division, le professeur serre avec sa main gauche la main droite de l'élève qui se trouve son voisin immédiat. Cet élève, de son côté, serre la main droite du prochain élève, avec sa main gauche, et ainsi de suite. Le serrement de mains voyage ainsi tout autour de la classe et finit par être reçu par la main droite du professeur, qui note alors le temps écoulé depuis le moment où il a serré la main le premier; ou bien il peut laisser faire à ce serrement plusieurs circuits avant de noter le temps. Cet intervalle, divisé par le nombre d'élèves de la classe et par le nombre des circuils, donne le temps moyen de la réaction chez chaque élève. Le serrement de main prend généralement environ une seconde pour traverser une douzaine ou une quinzaine de personnes. Nous devons nous attendre à trouver de l'uniformité dans ces expériences successives, lorsque les élèves sont frais et dispos; de l'irrégularité et des retards doivent prévaloir lorsqu'ils sont fatigués. Je voudrais voir les professeurs essayer souvent cette expérience simple, amusante et attrayante, et lorsqu'ils se seront assurés que leur crasse s'y prête avec intérêt et curiosité, ils pourront commencer à noter soigneusement le résultat obtenu à des moments différents de la journée, pour voir si l'on peut l'admettre pour servir de preuve de la fatigue naissante. Je serais extrêmement heureux de recevoir des comptes rendus de leurs expériences. Il faut, bien entendu, se garder des erreurs.

Les sens. — La fréquence avec laquelle on mentionne une altération sérieuse de la faculté d'entendre et de voir, et les sensations quelquefois intenses d'hyperesthésie ou encore d'engourdissement, démontrent que la délicatesse des sens est affectée d'une façon marquée par la fatigue. L'ouïe augmente quelquefois de finesse, parfois elle diminue. Cette finesse est augmentée dans les nombreux cas d'irritabilité dont j'ai parlé, lorsque le cerveau, fatigué, devient à moitié fou à entendre un orgue de Barbarie. Elle est temporairement paralysée chez d'autres. Voici un cas mixte: 1. « Mon ouïe n'avait jamais été très fine, et il me semble que le premier symptôme de fatigue est le sentiment que je deviens sourd; mais, en même temps que je ne puis entendre les voix que je désire ouïr, les bruits du dehors, le va-et-vient, les cloches, etc., deviennent intolérables pour moi. » Voici d'autres cas de surdité par suite de fatigue: 2. Incapacité d'écouter à l'école sans un effort douloureux. 3. Augmentation de surdité.
La vue est très affectée par l'excès de fatigue, non seulement à cause de la tension des yeux, causée par des lectures fréquentes avec une lumière insuffisante, mais apparemment tout autant par des raisons d'un ordre plus profond. Autrement, il serait difficile de se rendre compte du cas intéressant qui va suivre, dans lequel la cécité des couleurs fut causée par la fatigue et disparut après un temps de repos. Ce cas a un grand intérêt physiologique et vaut bien la peine d'être noté. La dame en question me permet de citer son nom, afin d'en garantir l'authenticité. C'est Mlle, J. Beckett, de l'école des filles, à Ripon.
« Après plusieurs heures de travail dur et assidu, j'ai été sujette à des accès de cécité des couleurs, qui me quittent après que je suis un peu reposée. La première fois que je m'aperçus que je n'étais pas capable de distinguer une couleur d'une autre fut lorsque je préparais, il y a un certain nombre d'années, mon examen de la London matriculation. Je faisais en même temps de la gravure à l'eau-forte pour un périodique américain et j'enseignais pendant la plus grande partie de la journée. Cela dura de Noël jusqu'en juillet, époque à laquelle je commençai à me sentir extrêmement fatiguée.
« Un jour, je m'en allai passer quelques heures chez une amie, et, pendant que je m'y trouvais, je me mis à peindre quelques feuilles de lierre sur une plaque en terre cuite. Imaginez quel fut mon désespoir lorsque mon amie me dit que mes feuilles étaient oranges au lieu de vertes. A mon retour, j'entrai dans mon cabinet de travail, et je fus étonnée de voir que mes rideaux, qui étaient bleus, me semblaient être d'une espèce de jaune sale. Cependant, au bout de quelques heures, je fus entièrement bien. Vers la fin de l'année, je fus obligée de renoncer au travail pour cause de santé. Je me rétablis et je repris mon travail, toujours encore sujette à la cécité des couleurs lorsque j'étais fatiguée. » Répondant à de nouvelles questions, elle ajoute: « Je ne me rappelle pas si j'éprouve de la difficulté à me rappeler les couleurs lorsque je suis fatiguée. Dès ma tendre enfance, je les ai tout particulièrement aimées, et je puis aisément peindre des fleurs, des feuillages et des teintes neutres, de mémoire. »
La fréquence et la force avec laquelle la vue se trouve affectée par la fatigue ressortent suffisamment des extraits suivants:
1. D'abord les yeux défaillent quelquefois après que j'ai couru pour une leçon; je ne pouvais, pendant plusieurs minutes après mon arrivée, voir une seule note sur une page de musique. Après avoir écrit ou joué longtemps, tout devient noir devant mes yeux, et des taches noires dansent devant moi, montant et descendant.
2. Une période de grande excitation ou d'ennui affectera ma vue à ce point que, pendant environ une demi-heure, je ne pourrais rien voir clairement. Les contours de toutes choses sont imparfaits à certaines places, de sorte que je ne vois au même moment que la moitié d'une chose. Il me semble qu'une roue lumineuse, brillante, tourne dans le coin d'un œil ou de l'autre.
3. Les lignes d'une page commencent à devenir indistinctes, ensuite elles paraissent vibrer par intervalles; finalement, elles se noient en une seule masse.
4. Les mots ont l'air de faire saillie sur le papier, et fréquemment il apparaît une double rangée de mots.
5. Des lumières, et après cela des images, sont très distinctes devant mes yeux.
6. La confusion dans la façon de placer les lettres dans des diagrammes mathématiques sont souvent des symptômes avancés de fatigue parmi mes élèves.
En ce qui concerne les sensations dans l’œil lui-même, on peut remarquer encore:
7. Une sensation d'éblouissement et de brûlure dans le cas suivant témoigne d'une affection de l’œil subordonnée à une affection du cerveau, plutôt que vice versa.
8. Une sensation nerveuse dans les prunelles des yeux, comme si ceux-ci ne tenaient pas dans ma tête et tombaient du côté où ma tête est inclinée. La sensation est pire lorsque je me couche. J'ai la vue un peu basse et je porte des lunettes, cependant je n'éprouve cette sensation désagréable que lorsque j'ai l'esprit fatigué, mais pas nécessairement par un excès de lecture.

Mémoire. — Un symptôme très commun et très précoce de la fatigue est le manque de mémoire, en ce sens qu'on ne peut se rappeler les idées à volonté ou établir une association avec des idées antérieures, ou encore associer sûrement des mouvements musculaires employés dans l'élocution avec l'idée des mots que l'on désire prononcer.
J'ai pris des notes relatives à plus de vingt-cinq cas de manque de mémoire, parmi lesquels je choisirai une demi-douzaine d'exemples:
1. Ma première indication de manque de mémoire est l'incapacité d'épeler des mots ordinaires; la seconde, l'omission de mots en écrivant ; la troisième, oubli subit des mots que je suis en train de prononcer.
2. Tendance à oublier la signification de mots d'une langue étrangère qui sont généralement bien connus ou que j'ai rencontrés tout récemment. Tendance à commettre des erreurs stupides à propos de sujets dans lesquels l'esprit, lorsqu'il jouit d'une vigueur complète, voit juste sans effort. Des erreurs simples et fréquentes deviennent deux fois plus fréquentes dans une classe tout entière.
3. L'énonciation, pendant des jours et des semaines entières, de mois ou de phrases qu'on ne désirait pas prononcer, ainsi que le fait d'écrire des mots erronés.
4. Tendance aux faux pas dans l'élocution et à mal placer les lettres en écrivant, les plaçant généralement trop tôt: Wesday au lieu de Wednesday.
5. Absence de la faculté de pouvoir se rappeler à volonté des noms et de petits faits se rattachant à la vie de tous les jours.
6. Certains élèves ne mettent jamais la bonne orthographe lorsqu'ils sont fatigués.


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