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Les recherches expérimentales sur les rêves: les méthodes - Partie 1

Revue de psychiatrie : médecine mentale, neurologie, psychologie

En 1902, par Vaschide N.

On connaît extrêmement peu le mécanisme psycho-physiologique du sommeil et on est encore moins renseigné sur la psychologie du rêve. Les auteurs répètent généralement les quelques données classiques que les manuels rédigent plus ou moins bien, sans tenir compte du texte des observateurs et, tout en ignorant le problème qui les préoccupe sans qu'ils en aient conscience, paraissent être suffisamment renseignés sur la physiologie du sommeil et particulièrement sur l'étude des rêves.


I

Il faut arriver vers la fin du XIXme siècle pour trouver des recherches vraiment expérimentales sur le sommeil et le rêve; le sommeil, malgré la divergence assez curieuse qui règne sur les connaissances acquises, a fait pourtant l'objet d'un nombre considérable de recherches, dont beaucoup concernent l'étude histologique du sommeil, — les influences de l'insomnie expérimentale par exemple, — ou encore l'état de la circulation ou celui des échanges chimiques. L'étude du rêve au contraire est à peine commencée ; aussi croyons-nous qu'une exposition aussi détaillée que possible des recherches expérimentales serait intéressante, car en dehors de quelques rappels bibliographiques généralement sommaires, dont tous les auteurs ont fait précéder leurs travaux, il n'y a eu à notre connaissance aucune mise au point.

Employant cette expression de recherches expérimentales, il faut préciser le sens pour expliquer le but et la portée de mon analyse critique et pourquoi d'autre part j'ai laissé de côté certains travaux expérimentaux pour certains auteurs, au fond des simples remarques curieuses et intéressantes à mentionner. J'élimine d'abord les observations médicales et cliniques ; la littérature médicale est assez riche en fait de rêve. Dans cet ordre d'idées, il s'agit des observations courantes enregistrées, soit au lit des malades, soit occasionnellement et ont pour but de constater soit des rapports quelconques avec la nature des rêves et certains troubles pathologiques, parmi lesquels les troubles psychopathiques entrent pour une grande partie. On se contente généralement de préciser des rapports donnés avec des faits à l'appui, sans s'inquiéter autrement du mécanisme et de la structure du rêve. Grand nombre de ces rêves ne sont pas recueillis dans des conditions rigoureuses et rarement les auteurs paraissent tentés d'analyser le contenu des rêves; les phénomènes constatés sont d'autre part vaguement signalés et on a souvent l'expression des reconstitution à posteriori.

Il est vrai aussi que de pareilles observations réclament des examens soutenus, une attention puissante et une foule de détails, que pour mener bien au bout on a besoin de secours fortuits des circonstances. Les observations psychiatriques sont à ce point de vue encore plus difficiles à noter. En ayant nous-mêmes fait quelques-unes nous nous rendons bien compte des désavantages qu'il y a à saisir rigoureusement une observation. Je laisse de côté ces documents; quoique recherchés, ils appartiennent plutôt au domaine clinique.

Je laisse encore de côté les observations qui concernent le sommeil et qui contiennent des aperçus plus ou moins généraux sur les rêves. J'entends par conséquent faire dans cette revue générale et dans les autres qui suivront, l'analyse critique des recherches pratiquées sur l'homme normal, ou plutôt pendant le sommeil normal, sur le rêve, dans le sens d'une analyse psychologique volontairement expérimentale, soit d'une série de recherches constituées préalablement pour l'étude des rêves, soit enfin d'une analyse psychologique objective avec des expériences à l'appui. Cet ordre de recherches commence à peine avec Alfred Maury.

Je donne à la fin de l'article la liste des travaux expérimentaux que j'ai pu remarquer; disons-le encore une fois j'ai laissé de côté volontairement les travaux concernant les considérations critiques quelconques ou des hypothèses. Je ne m'occupe que de l'étude des faits enregistrés par tous ceux qui expérimentalement ont pu et voulu préciser les conditions. Il ne s'agit donc ici que d'une élimination dictée par la nécessité de l'étude, les observations cliniques malgré l'esprit critique et psychologique des auteurs, ne peuvent pas rentrer dans le cadre, elles appartiennent à une toute autre série de recherches.

Le choix des soixante-six travaux, recherches et mémoires indiqués dans l'étude bibliographique n'pas été fait au hasard; au contraire il repose sur la préalable connaissance de la bibliographie du rêve. Comme nous l'avons dit plus haut, la littérature du rêve est nombreuse, et bien des auteurs tout en discourant vaguement sur des questions connues de l'étude du rêve, traitent des sujets avec les mêmes données répétées par tous ceux qui s'en sont occupés, notent en passant des observations personnelles et des remarques fort curieuses. Je crois pouvoir signaler bien de ces remarques oubliées, regrettant toutefois de ne pas pouvoir leur accorder une place spéciale dans mes revues générales. Ces soixante-six travaux et volumes, dont je viens de dresser la liste, ne contiennent pas tous des recherches expérimentales au sens rigoureux et scientifique du mot ; le nombre de ceux-là est extrêmement réduit. Les autres travaux contiennent pourtant des observations personnelles et des remarques qui sortent de beaucoup des considérations générales que tous les auteurs qui traitent du rêve, ont cru nécessaire d'ajouter. Il y a là une différence sur laquelle j'insiste pour préciser une fois de plus le sens de mon choix. Le domaine du rêve prête de quoi discourir à n'importe quel observateur, fût-il capable ou non de prendre une observation, et aussi les remarques abondent; dans un autre ordre d'idées les hommes de sciences, tout en traitant sérieusement les questions qui les occupent, oublient souvent de donner des détails sur les conditions dans lesquelles leurs observations sont prises et tout au plus pourrait-on ranger ces documents dans la catégorie des souvenirs rédigés ou dans celle des efforts de mémoire à propos de l'explication d'un fait ou de la connaissance d'un document quelconque. Ces catégories de travaux je les ai discernés de mon mieux et je ne crois pas m'être trompé de beaucoup dans mon jugement.

Dans la première catégorie de travaux réellement expérimentaux on pourrait citer MM. A. Maury, Hervey de Saint-Denis, Spitta, Nelson, Calkins, M. Y. Vold, de Sanctis, Clavière, Woodwortk, Weed, Hallam et Phinney, Vaschide, Pilez, Stanley, etc. Dans la seconde catégorie citons parmi les travaux des auteurs qui ont enregistré des observations précises MM. Radestock, Delbœuf, James Sully, Max Simon, Tonnini, Giessler, Grenwood, Cane, Hitschmann, Harrick, Ellis Havelock, De Sanctis Vaschide, Saint-Paul et Fenizia. Parmi ceux qui ont dirigé des enquêtes ou dressé des statistiques citons MM. Heerwagen, Jastrow, Calkins, Titchener et Child.

Et enfin parmi ceux qui entament des discussions précises avec des faits et documents à l'appui citons MM. Delbœuf, de Sarlo, Giessler, Paulhan, Weygandt, P. Tannery, Le Lorrain, Egger, Dugas, Goblot, Ladd, Scripture, Francklin, Benini, E. G. Stumpf, Andrews et Naecke. Remarquons en dernier lieu, qu'un tout petit nombre des travaux contenus dans notre liste ne nous intéresse que secondairement ; les résultats de ces auteurs se rattachent pourtant à des expériences et des recherches sur les rêves et la connaissance de leurs données nous a semblé de nature à éclaircir des faits expérimentaux qui nous préoccupent particulièrement. Je rangerai dans cette catégorie entre autres les travaux de Herrick, Gowers et Heller.

Mentionnons encore toute une série de travaux que nous mentionnerons au cours de nos expositions ; la plupart sont des travaux d'ensemble qui traitent soit du rêve soit d'autres questions de la psychologie du sommeil et des rêves. Je veux parler des travaux de Charma, Lemoine, H. Tuck, Dupuy, Dandolo, Tissié, Sergueyeff, Taine, de Manacëine et Yves Delage. Voici la bibliographie détaillée de ces mémoires.
Charma. Du sommeil. Mémoires de l'Académie de Caen, 1851 avril. p. 46-48, 92-95.
A. Lemoine. — Du sommeil au point de vue physiologique et psychologique. — Paris 1855, in-18°.
Hack-Tuck. — Le corps de l'esprit. Trad. française. Paris, 1886.
P. Dupuy. — Etude Psycho-physiologique sur le sommeil. Journal de médecine de Bordeaux, 1879. N° 31, 32, 33, 34, 35. Broch. 1879, in-8°, 48 p.
G. Dandolo. — La coscienza nel sonno. Padova 1889.
Sergueyeff. — Physiologie de la veille et du sommeil. Paris 1890. 2 vol.
H. Taine. — De l'intelligence, 3e éd. Paris 1876. 2 vol. in-16°, 419 et 496 p.
M. de Manaceïne. — Le sommeil tiers de notre vie. Pathologie, physiologie, hygiène et psychologie. Traduction française du russe, par E. Jaubert. Paris, Masson. 1896,1 vol. 358. Excellente publication, traduite dans plusieurs langues et qui continue à rendre de grands services à tous ceux qui s'occupent du sommeil et des rêves.
Y. Delage. — Une théorie du rêve. Revue Scientifique 11 juillet 1891.
On trouvera encore des observations et des remarques dans les excellents traités et travaux de MM. Ph. Tissié, Chabaneix, Brodie, Leidesdorf, Maudsley, Purkinje, Scholz, Siebeck, E. Young, Strumpell, Volkelt, Dr Laupts, etc.


II. La méthode subjective

Une première question qui doit préoccuper le savant qui veut entreprendre des recherches sur les rêves, doit être nécessairement la question de méthode.
L'exposition des méthodes employées, par les auteurs constituent en grande partie l'objet de cette première revue générale.

L'étude des rêves est extrêmement délicate et l'observateur le plus avisé est souvent perplexe devant la décision à prendre sur la manière dont il compte conduire ses recherches. La question de méthode intéresse généralement peu, voire même les savants et on vit de préférence dans les heureuses et peu inquiétantes données de l'empirisme le plus élémentaire. Préciser rigoureusement les conditions des observations et délimiter nettement la manière dont les remarques ont été enregistrées parait souvent besogne inutile et encore plus quand il s'agit du rêve. Il y a eu pourtant des auteurs qui ont réfléchi sérieusement à la portée réelle des méthodes dans l'étude des rêves et cela tient surtout à l'heureuse influence du premier auteur qui s'est occupé de la question Alfred Maury, un vrai expérimentateur celui-là, quoique plutôt auto-expérimentateur.

Dans toute la bibliographie du rêve, en dehors de Maury et des quelques auteurs de recherches expérimentales, je ne connais aucun travail d'ensemble qui s'occuperait d'une manière particulière de la méthode. Le premier à ma connaissance est le savant recueil de M. Santé de Sanctis, qui consacre à la méthode un chapitre. Cet auteur remarque à juste raison, que quoique les médecins furent les premiers qui s'occupèrent des rêves d'une manière scientifique, à cause de leur préocupation si intimement liée à la connaissance de la mentalité du sujet, mais les physiologistes et les expérimentateurs n'ont jamais fait grand cas des observations cliniques. Ce fait explique suffisamment le peu d'attention accordée aux documents acquis. Le domaine des études étant fragile par lui-même, dans quelle mesure pourrait-on se fier à une observation cueillie sans aucune préoccupation expérimentale préalable et sans qu'on définisse au moins les conditions élémentaires de l'expérience? La réponse est difficile, pour ne pas la donner négativement. Les méthodes quoique précises sont par elles-mêmes sujettes à bien des causes d'erreurs et ce cortège d'illusions, d'hallucinations et d'autres broderies de l'imagination et de l'esprit humain attentif devient encore plus considérable quand on ne tient compte que de quelques jalons, que les méthodes vous impliquent nécessairement. Les antiques logiciens avaient grandement raison, quand ils admettaient l'esprit de la méthode pour savoir au juste dans quelle mesure on peut circonscrire les erreurs. Et appliquant aux rêves les méthodes les plus précises nous sommes encore bien loin d'écarter toutes les erreurs ; seulement l'expérimentateur qui aura essayé de pratiquer des recherches dans ce domaine psychologique pourra se rendre compte de l'instabilité du terrain à expérimenter, de l'objet même de l'expérience. Les lois de la logique courante paraissent détruites, des théories d'images se déchaîneront comme des curieux arabesques dans la mentalité du sujet et vouloir saisir quelques fantômes de ce monde de visions, sons, actions, sentiments, angoisses on finit par détruire tout, ou par évoquer tout un autre monde plus fugace encore, plus insaisissable et qui s'estompe devant votre analyse mentale sans vous apercevoir et si vite et que vous vous trouvez parfois devant votre propre analyse comme sujet d'investigations. Murray a eu grandement raison de créer ce mot bien connu de « Psychologist's Fallecy », — en d'autres termes « erreur d'observation » — pour les observations des rêves ; il a exprimé d'une manière synthétique toute une source inépuisable d'erreurs.

Néanmoins malgré la grande difficulté de mener rigoureusement à bonne fin une observation on peut remarquer que l'analyse mentale peut nous conduire à des résultats importants surtout lorsqu'elle émane d'un sujet qui sait s'en servir.

Des règles préalables s'imposent pourtant ; la nécessité d'une méthode est donc catégorique surtout pour pouvoir obtenir des faits dans le sens scientifique du mot et dépassant la partie clinique des observations.


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