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La folie dans ses rapports avec la responsabilité - Partie 2

Revue de psychiatrie : médecine mentale, neurologie, psychologie

En 1899, par Sutherland J.F.

Au même temps l'attention du public fut attirée sur ce problème à cause de certains verdicts, qui effrayaient alternativement le public et la profession médicale suivant que les dits verdicts enlevaient de la sécurité pour les premiers ou ignoraient la valeur de l'opinion scientifique, produisant ainsi un avortement de la justice. Mais il y a deux époques qui se distinguent bien nettement des autres: celle de 1843, lorsque la Commission des Juges établit les preuves de la folie dont on a déjà parlé, et celle de 1895, lorsque la Medico-Psychological Association de la Grande-Bretagne, en réponse à une demande fondée sur les connaissances défectueuses démontrait la nécessité de trouver une série de questions abstraites plus récentes et plus justes qui comportaient un désaccord encore plus grand et probablement encore plus de discrédit pour le spécialiste. Mais un bon résultat est sorti de ce mouvement. Un comité de savants a délibéré avec beaucoup d'attention, a compulsé tout document pouvant éclairer la question et a fait un rapport en faveur de la loi telle qu'elle existe actuellement. Ainsi, le juriste et l'aliéniste sont au fond d'accord sur la doctrine vitale de la responsabilité. J'ose avancer que si le criminel rencontre de l'injustice, ce qui est rare, cela dépend de deux choses: primo, la pauvreté ou l'ignorance de lui-même, de ses parents ou des deux à la fois, et assez souvent l'illogisme de l'aliéniste expert, dont la conception de la folie et de ce qui constitue la responsabilité est aussi répréhensible que celle des juges anciens et modernes qu'ils blâment librement.
Je vais essayer de démontrer ce que je crois être l'attitude erronée, pour ne pas dire illogique — et la vérité m'oblige de le dire des aliénistes plus encore que des juges — au sujet de la grande majorité des auteurs de crimes de violence contre l'individu, qui se présentent devant les cours criminelles pour être juge.

Ce qui porte à croire qu'il y a du vrai dans l'affirmation que la justice peut faire fausse route parfois en n'admettant pas ou plutôt en ne découvrant pas l'existence de la folie, c'est le nombre de personnes qui deviennent folles après avoir été condamnées. Pendant l'année 1895, on a admis 219 aliénés (168 hommes et 51 femmes) dans les 49 asiles en Angleterre, en y comprenant Broadmoor criminal lunatic asylum. De ce nombre 143, c'est-à-dire pas moins de 55%, ont été certifiés comme étant fous pendant qu'ils expiaient leurs peines pour leurs crimes. La proportion de femmes aux hommes n'est pas moins remarquable dans ce total de 219, soit 100 à 1330. En prenant la moyenne des fous ordinaires du pays, c'est tout le contraire, la proportion des femmes aux hommes étant de 100 contre 88.
Il est évident que les obsessions et dispositions à faire le mal parmi les hommes dépassent de trois fois celles des femmes. Encore est-il intéressant de se renseigner sur la nature des crimes des 2102 aliénés qui sont entrés dans l'asile de Broadmoor, depuis que l'asile a été ouvert jusqu'au mois de décembre 1893. Il paraît que 50% des crimes représentaient des attaques contre des personnes et 3,7% des attentats contre la pudeur. Dans la première classe, 12% sont devenus fous après avoir été condamnés et dans la dernière pas moins de 44%. Les chiffres se rapportant à la seconde classe démontrent clairement le défaut mental de ceux qui pèchent contre la pudeur, lequel, s'il n'est pas démontré pendant l'enquête, se manifeste bientôt.
Les seuls chiffres que je soumettrai en outre, comme se rapportant directement à cette discussion, sont les statistiques de crimes graves en Angleterre et en Ecosse pour la période quinquennale se terminant en 1895. Dans chacun de ces pays 3300 personnes en moyenne par an étaient accusées de crimes de violence, de meurtres, d'homicide intentionnel, coups et blessures. Ce n'est pas une exagération de dire que 95% de ces crimes ont été commis par des personnes plus ou moins ivres. On comprendra maintenant pourquoi je n'ai pas désapprouvé, au contraire, le critérium actuel de la responsabilité reconnue par la loi Anglo-Saxonne et démontrée dans les Cours de la Justice en posant deux questions principales aux témoins médicaux: 1° L'accusé comprenait-il la nature et la qualité de l'acte; 2° savait-il que l'acte était coupable? On pose non seulement la question si une personne ivre est un fou, malgré l'état transitoire de la manie; mais cette autre que si les réponses à ces deux questions décidaient si l'accusé devait être tenu comme entièrement responsable ou le contraire, probablement on le traiterait comme un fou, ou bien sa peine serait modifiée.
Peut-être vaudrait-il mieux qu'on ne pose pas de questions abstraites aux témoins, mais si celles-ci doivent faire toujours partie d'un système légal, alors, aussi longtemps qu'elles s'appliquent à plus de 90% des accusations les plus graves de voies de fait contre l'individu, elles ne méritent pas les critiques qu'on leur adresse couramment. Et ces crimes imputables à l'alcoolisme vont en augmentant en France, en Russie, en Allemagne et dans la Grande-Bretagne, ou la vente des boissons alcooliques falsifiées par des bouquets artificiels se trouve augmentée. Ces alcools produisent une toxicité nerveuse spéciale, des attaques convulsives, et une dégénérescence particulière, mentale et physique. Il est donc important de considérer très attentivement la question de la responsabilité dans ses rapports avec la grande majorité de criminels vis-à-vis de la loi criminelle, c'est-à-dire, les alcooliques, les juges et les aliénistes, qui acceptent et insistent sur la nature « coupable » du crime et l'état d'esprit « volontairement » déséquilibré, ont manqué d'apprécier des faits évidents. Qu'il n'y a pas de place pour un dogmatisme pareil serait l'opinion de la plupart des aliénistes en France, où le code criminel a reconnu deux degrés de meurtre. C'est avec satisfaction que je mentionne les opinions de Legrand du Saulle en 1879, l'aliéniste perspicace et expérimenté de Paris, qui a eu maintes fois devant lui toutes les variétés de dégénérés moraux et physiques, le dipsomane, le sadique, des adolescents déséquilibrés de la classe riche auxquels la nature avait refusé le pouvoir de se contrôler et le buveur qui commettait des crimes pendant son état d'ivresse. Beaucoup de ces personnes, au lieu d'être remises aux mains de la Police correctionnelle, étaient mises en observation ou reléguées à Sainte-Anne.
Les opinions que j'ai essayé de combattre, quoi qu'elles sortent des sources les plus autorisées, présentent plusieurs points à discussion. Il serait excusable de poser la question de savoir si de tels cas peuvent être interprétés autrement. Ne pouvait-on pas raisonner justement et se demander: 1° Si une personne en état d'ivresse peut légalement commettre un acte coupable? 2° Si à un moment quelconque de ses habitudes un alcoolique chronique buvait volontairement, car ceci impliquerait la certitude d'une absence latente ou patente de dégénérescence physique ou mentale, et 3° Si, en admettant, comme dans le cas d'une personne qui s'enivre occasionnellement, que l'acte de boire une quantité modérée était volontaire — au moment où les facultés sont suffisamment altérées ce qui arrive plus tôt chez l'un que chez l'autre suivant le tempérament et les habitudes, — par une paralysie partielle des centres nerveux élevés — l'envie de boire davantage devient involontaire et amène l'état paroxysmal et de démence.
La manière la plus juste pour traiter ces cas serait d'accepter le prétexte de folie au moment du crime, et dans un cas d'homicide en réduisant le crime au second degré, comme cela existe dans le Code criminel de France. Ceci est l'opinion de Clark Bell, de New-York.
Brouardel, l'éminent médecin légiste de Paris, ne voit pas précisément de cette manière si on peut en juger d'après l'extrait succinct pris d'un ouvrage traduit. Il dit : « Je ne peux admettre l'irresponsabilité des personnes sous l'influence d'un accès alcoolique. Ce n'est pas la même chose que la folie. Il est devenu enragé à cause de ses habitudes vicieuses et au moins il est responsable pour les actes préliminaires qui conduisaient à la perpétration du crime. » Il y a du vrai dans cette opinion, mais elle conduit bien plutôt à la responsabilité partielle qu'à la responsabilité entière. C'est là une affirmation qui fait plaisir. Plus loin cet auteur dit: « Un homme sous la domination de l'alcool, qui sait que ses habitudes le mettront peu à peu dans une telle condition qu'il pourrait tuer ses semblables est responsable pour l'action. » Sauf dans les cas excessivement rares où l'individu boit de l'alcool, pour commettre un crime, cette dernière opinion de l'éminent aliéniste nous conduit sur un terrain plein de doute et d'hypothèse. Dans l'état d'ivresse, il y a un désordre tellement complet et profond des facultés spéciales qu'on peut admettre que la reconnaissance du bien et du mal manque invariablement. Et encore on peut accepter que de boire à l'excès est une habitude ou coutume qu'aucune peine n'empêchera, et non pas entreprise dans le but de commettre un crime.


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