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Etat mental des aphasiques - Partie 3

Revue de psychiatrie : médecine mentale, neurologie, psychologie

En 1902, par Vigouroux A.

C'est ainsi que le malade H. P., observé par Charcot et dont l'observation est détaillée dans la thèse de Bernard, atteint de cécité verbale et d'hemianopsie, ne semble pas touché au point de vue intellectuel, puisqu'il put continuer à gérer ses affaires. Il ne s'aperçut de sa cécité verbale qu'en voulant relire une lettre qu'il avait écrite, de même qu'il ne se rendit compte de son hemianopsie qu'en voulant jouer au billard: il ne voyait que la moitié de la bille et la moitié du tapis vert.
Une malade de Giraudeau, atteinte de surdité verbale pure, écrivait et parlait correctement, dans ce cas « l'image visuelle du mot suffit pour que le langage parlé et écrit soit correct et en rapport avec l'idée alors que l'image auditive fait défaut ». (Charéot cité par Ballet).
Bernard donne également l'observation d'un malade ne présentant que de l'agraphie (obs. XV de sa thèse) et dont l'intelligence parait intacte. La parole est facile, il peut lire à haute voix, il comprend ce qu'il lit et ce qu'on lui dit.
Enfin, en 1877, Pitres dans sa thèse, établit que les aphasies motrices pures, non accompagnées d'agraphie, mais dans lesquelles l'intelligence est intacte, parce que le langage intérieur est tout entier respecté, est due, non à une lésion du centre d'articulation, mais à une lésion sous corticale du faisceau pediculo-frontale. Dans ce cas, les images motrices d'articulation persistant, les malades se représentent le mot tel qu'il doit être articulé, mais ils ne peuvent le prononcer. Suivant la comparaison de Charcot, ils jouent sur un piano muet.
En résumé pour Charcot et son école, une même lésion devra entraîner des syndromes cliniques différents suivant le type psychique du malade; si elle atteint le centre dont l'action est prépondérante, tout le langage sera troublé, si elle frappe un centre secondaire, seul, le mode de langage relevant de ce centre sera lésé. Une suppléance entre ces différents centres est possible.

Mais divers auteurs et notamment M. Déjerine n'admirent pas cette indépendance relative des centres, pour lui, il existe entre eux une intime union et une subordination suivant un ordre toujours le même de tous les individus.
Le langage intérieur s'effectue à l'aide des trois sortes d'images, auditives, motrices et visuelles: mais au premier plan apparaissent les images auditives et motrices dont l'union constitue ce qu'on appelle la notion du mot; les images visuelles ne jouent qu'un rôle effacé et secondaire. Et ceci est vrai pour tous les individus, tous sont des auditivo-moteurs. Les mémoires partielles, auditives, visuelles, tactiles, gustatives, etc., pourront être prédominantes chez certaines personnes cette prépondérance se manifestera lorsqu'ils penseront d'une façon abstraite avec des images d'objet, mais dès qu'ils penseront avec des images de mots, ils deviendront des auditivo-moteurs.
« J'ai, pour ma part, écrit Déjerine étudié le langage intérieur chez un grand nombre de personnes appartenant à toutes les classes de la société et il ne m'a pas encore été donné de rencontrer un sujet qui pensât en lisant sa pensée. Tous pensaient avec leurs images auditivo-motrices, et, cependant, il s'en trouvait plus d'un qui, pour la mémoire générale, appartenaient à la catégorie des visuels. »
Pour M. Déjerine, une lésion d'une partie quelconque de la zone du langage entraînera fatalement une altération de toutes les images du mot.
Il divise les aphasies en deux grandes classes: celles où le langage intérieur n'est pas atteint (aphasie motrice pure, cécité verbale pure, surdité verbale pure) provoquée par des lésions siégeant en dehors de la zone du langage; et celles où le langage intérieur est atteint (aphasie motrice corticale, aphasie sensorielle corticale), produites par l'altération d'un centre. Il n'admet pas l'hypothèse d'un centre graphique, l'agraphie constituant un symptôme banal de certaines formes d'aphasies.
Ainsi donc, dans l'aphasie motrice corticale non seulement le malade a perdu la possibilité de traduire sa pensée par la parole, mais chez lui l'écriture spontanée ou sous dictée est nulle ou très altérée, la lecture mentale présente toujours de grandes altérations et le fonctionnement des images auditives est loin d'être parfait.
Si dans certains cas les altérations du centre des images auditives et visuelles sont très nettes, dans d'autres cas, et surtout quand la maladie est en voie d'amélioration, elles sont plus difficiles à mettre en évidence. Ce sont les troubles latents qui sont décelés par certaines expériences (Déjerine, Thomas et Roux). Le malade, qui reconnaît le dessin du mot, est incapable de le comprendre si on l'écrit en lettres ou en syllabes séparées, verticalement ou horizontalement; ce qui indique un certain degré de cécité verbale. Il ne reconnaît pas la première syllabe du nom d'un objet qu'on lui montre si on prononce devant lui plusieurs syllabes parmi lesquelles elles se trouvent intercalées; ce qui indique un certain trouble dans l'audition verbale. M. Pitres (Progrès Médical mars-juin 1898) attribue ces altérations de la lecture ou de l'audition mentale à un simple trouble de la fonction des images amnésiques (apenie verbale); chez ces malades, les sensations visuelles ou auditives ne laissent pas de traces persistantes, et, quand ils lisent ou entendent un mot ils ne se souviennent plus du mot précédent.
L'aphasie sensorielle corticale comprend à la fois les troubles de la compréhension de la parole parlée et de la parole écrite; suivant la localisation de la lésion l'altération de l'une ou l'autre de ces images sera plus marquée, mais les deux seront touchées. Le malade ne comprend plus les mots prononcés devant lui, ne distingue plus les airs de musique qui lui étaient familiers, ne reconnait plus le sens des mots écrits, ne peut plus reconnaître les lettres et ne comprend plus le sens du dessins qu'il voit ; en plus de ces troubles des images auditives et visuelles, il présente des altérations de l'écriture et de la parole: il a de l'agraphie ou de la paragraphie, spontanément il ne peut que copier servilement le modèle qu'on lui propose, et il présente, bien qu'il soit un verbeux et un loquace, de la paraphasie ou de la jargonophasie. Chez lui, les images motrices sont intactes mais elles ne sont plus réglées par le centre auditif, leur régulateur normal.
M. Grasset décrit à côté des aphasies corticales et sous cortiales qu'il désigne sous le nom de polygonales et sous-polygonales, les groupes des aphasies sus-polygogonales et des aphasies transpolygonales. Dans l'aphasie sus-polygonale ou idéopolygonale (psychonucléaire de M. Pitres ou transcorticale des auteurs allemands), le centre de l'idéation est séparé du centre moteur de la parole, du centre graphique, auditif ou visuel. C'est ainsi que, dans l'aphasie idéo-motrice, la parole volontaire, est seule supprimée, tout le reste est conservé même la parole automatique; dans l'aphasie idéo-visuelle, le malade lit à haute voix correctement mais sans comprendre ce qu'il lit, à la façon d'un distrait.
Le siège de l'idéation étant inconnu, le siège de l'altération de ce groupe d'aphasies est également inconnu encore. M. Déjerine considère ces variétés comme des stades d'amélioration des autres aphasies.
Dans les aphasies transpolygonales (internucléaires de Pitres), la lésion siège sur les fibres d'association qui unissent les différents centres: le langage volontaire est conservé et le langage automatique est compromis. Dans l'aphasie visuelle, tout est possible, sauf la lecture à haute voix ou la copie d'un texte lu etc. Dans ce groupe, peut entrer l'aphasie optique de Freund dans laquelle le sujet ne peut prononcer le nom d'un objet qu'il voit et qu'il reconnaît, mais qui prononce ce nom s'il touche ou flaire cet objet.
Ces variétés dont l'existence ne repose encore sur aucune base anatomo-pathologique, semblent devoir rentrer dans les aphasies sous corticales de M. Déjerine.
L'aphasie amnésique de M. Pitres, produite non par la destruction « d'un centre spécialisé exclusivement affecté à l'évocation, mais des fibres commissurales qui réunissent les centres différenciés des images verbales aux parties de l'écorce dans lesquelles s'opèrent les actes psychiques supérieurs », est caractérisée par des troubles variables de l'évocation de certains mots. Le malade ne peut trouver spontanément le nom d'un objet, il le prononce si on le lui souffle ou même si on lui en dit la première syllabe, alors que l'aphasique moteur ne pourrait le prononcer. Il n'y a donc pas lésion du centre des images motrices, mais perte de communication entre les centres psychiques supérieurs et les centres du langage.
Pour M. Déjerine, l'aphasie amnésique de Pitres n'existe pas en tant que forme spéciale d'aphasie, elle n'est qu'une variété atténuée d'aphasie motrice ou sensorielle avec lesquelles elle se confond.
En nous plaçant au point de vue de l'état des facultés intellectuelles des aphasiques, nous retrouvons les deux grandes variétés d'aphasies.
Dans les unes, aphasies pures, il n'y a pas de trouble du langage intérieur et partant pas de trouble intellectuel; dans les autres, aphasies corticales motrices et sensorielles, le langage intérieur et l'intelligence sont troublés. Ces troubles sont plus exactement appréciés dans les différents cas d'aphasie, chacun d'eux pouvant être plus minutieusement analysé, grâce aux notions précises que nous fournissent la psychologie et l'anatomie pathologie.


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