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Contribution à l'étude de l'amnésie antérograde émotive - Partie 1

Revue de psychiatrie : médecine mentale, neurologie, psychologie

En 1900, par Vaschide N.


I

Les recherches psycho-physiologiques faites sur les émotions depuis que la théorie James-Longe a commencé à préoccuper les psychologues concernent particulièrement les phénomènes physiologiques concomitants et semblent trop négliger la structure, pour ainsi dire, vraiment psychologique, intellectuelle de l'émotion en elle-même. On peut dire qu'on est sur certains points assez avancé, par exemple sur les quelques rapports de la respiration et de la circulation sanguine avec les états émotifs, sans connaître au juste le contenu intellectuel de chaque phénomène psychique; et particulièrement on ignore pourtant presque complètement le « choc initial », l'état psycho-physiologique, la commotion cérébrale qui engendre l'émotion avec ses concomitants psycho-physiques immédiats.
A cet effet j'ai eu l'occasion de faire certaines remarques à propos de la « commotion cérébrale primitive » et de son influence psycho-dynamique sur notre synthèse intellectuelle, que je me propose d'exposer brièvement.

Il faut définir, avant de passer aux faits, ce que nous entendons par « émotion » et par « choc initial émotif »; car quoique ces notes semblent assez précises et semblent évoquer dans l'esprit de tous les psychologues une donnée suffisamment claire, j'oserai dire qu'elle est bien loin de synthétiser un type mental, un état psychique unique et homogène. « Les émotions », non pas seulement au point de vue de leurs coefficients qualitatifs et quantitatifs, présentent des types complexes et variables, mais aussi dans la même catégorie d'états émotifs plus ou moins semblables, il y a une diversité de formes assez considérable. Sous la même expression unique ou physiologique, quoique à ce sujet nous sachions peu de choses du rapport intime qualitatif et de l'attitude émotionnelle, on peut retrouver une foule d'états mentaux différents, vaguement ressemblants, étant chacun accompagné ou suggérant un monde de représentations ou d'images catégoriquement différentes; c'est pourquoi il serait intéressant, et je dirai même scientifique, de définir ou de décrire le plus intimement possible l'état intellectuel d'une émotion, notamment lorsqu'on fait des recherches, pour ainsi dire fixes sur les concomitants psycho-physiques. Je pense que bien des erreurs, que l'apparence trop luxueuse d'une instrumentation scientifique cache parfois, seraient évitées, et qu'une entente plus précise pourrait être faite entre les différents auteurs qui se sont occupés des émotions d'une manière expérimentale.

Dans tous mes cas «l'émotion » désigne un état complexe psychique qui qualitativement provoquait dans la synthèse intellectuelle présente une désagrégation bien définie et qui évoquait par son coefficient qualificatif toute une cérébration individuelle de souvenirs et d'associations d'ordre émotif et purement intellectuelles et logiques. Voici un exemple. On annonce à quelqu'un la mort d'une personne bien aimée ou d'un parent, le père ou la mère, et cette douloureuse nouvelle provoque dans la mentalité de l'individu en cause un éblouissement caractéristique des émotions qui bouleverse toute notre personnalité et qui à son tour s'alimente lui-même par des éléments affectifs successivement, en même temps que l'image mentale et l'idéation provoquées par la mort d'une personne aimée évoquent son casier individuel, les souvenirs et les affections qui existaient consciemment ou subconsciemment dans la pensée de la personne à laquelle on annonçait la mort. A coté de cet élément personnel il y avait toujours l'évocation de philosophie, banale mais logique, que nous avons tous et que nous cachons sous des phrases plus ou moins résonnantes, la philosophie de la vie, la doctrine métaphysique « de l'être » et du « non être », de la « vie » et de la « mort »; ces deux catégories de phénomènes constituent la structure mentale de nos émotions observées, et renferment dans un cercle presque vicieux toute la mentalité individuelle. On ne vivait que par les émotions tristes éprouvées, par la vie psychique évoquées par elles. On connaît peu la nature et la forme psychique de ces bouleversements; et on doit réclamer aux psychologues et psychiatres de pareilles analyses, toujours précieuses et notamment quand elles sont accompagnées d'une documentation scientifique quelconque.

Le « choc initial émotif » au point de vue intellectuel se caractérise par un arrêt brusque qu'il provoque dans la personnalité du sujet, dans sa vie psychique. L'attention est concentrée sur ce point; elle est presque saisie et toute la vie intellectuelle converge vers ce mobile intellectuel après un arrêt de l'activité mentale relativement long.

Il s'agit donc, comme on le voit, des grandes émotions, de ces bouleversements si rares dans notre vie, qui laissent des traces durables dans notre mentalité, heureusement oublieuse par sa manière d'être. Au point de vue qualitatif, elles sont de nature triste; je ne parlerai pas des concomitants psycho-physiologiques qualitatifs des émotions; j'ai apporté à cet effet de nombreux documents et observations dans un article publié il y a quelques mois dans la « Revue philosophique ».

Je voudrais cette fois décrire et attirer l'attention des psychologues sur un phénomène particulier de ce « choc initial émotif » et des émotions en général, phénomène que d'ailleurs on peut trouver signalé sous plusieurs formes et dans des considérations différentes dans maintes observations des psychiatres et dans un grand nombre de recherches psychologiques. Il s'agit de ce phénomène, qu'on peut à juste raison appeler « l'amnésie antéro-grade émotive normale ». Nous l'avons constaté à propos de certaines observations, que nous avons faites sur l'état du pouls radial pendant les émotions; et depuis nous l'avons retrouvé presque constamment dans toutes les émotions tristes puissantes.

Le choc initial émotif triste provoque non seulement une désagrégation mentale instantanée précédée par un brusque et court arrêt intellectuel dont les concomitants physiologiques sont parfois nets et saisissables, mais une amnésie assez constante et qui se porte sur la période antérograde, celle qui précède le choc initial émotif. Cette amnésie peut s'étendre à partir de plusieurs minutes à quelques jours, voir même à quelques semaines. L'amnésie est complète chez certains sujets; chez d'autres il reste encore quelques vagues localisations dans le passé sans aucune cohérence logique; ce sont de vagues souvenirs, données confuses, inconscientes, et qui pour la plupart sont loin d'être sûrs, même pour le sujet. La mémoire affective, les joies, les peines et les chagrins qu'on a eus dans ce laps de temps sont disparus, sans laisser aucune trace; il y a là comme un vide dans cet espace de temps, dans lequel on ne sait pas si l'on a réellement vécu.


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