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Impuissance et pessimisme - Partie 1

Revue Philosophique de la France et de l'Etranger

En 1886, par Féré C.

J'ai déjà essayé de montrer qu'il est possible d'établir expérimentalement que la sensation de plaisir se résout dans une sensation de puissance, tandis que la sensation de déplaisir se confond avec la sensation d'impuissance on aime et on recherche tout ce qui ajoute de la force; on hait et on évite tout ce qui en fait perdre. Les sensations visuelles ou auditives les plus agréables sont celles qui portent à leur maximum l'énergie potentielle on peut en dire autant des sensations gustatives ou olfactives. Il y a longtemps, d'ailleurs, que l'on a fait remarquer que presque toutes les substances à odeur désagréable sont en même temps nuisibles. Cela n'est pas moins vrai pour les sensations tactiles et pour les sensations de température. Les hystériques sont, en général, désagréablement impressionnées par les températures excessives: beaucoup craignent particulièrement le froid, et on peut constater que, chez elles, la chaleur joue le rôle de dynamogène et d'esthésiogène. Sur une hystérique complètement anesthésique, il suffit de chauffer une partie de la peau par l'approche d'un thermo-cautère rougi pour ramener la sensibilité dans cette partie; et si on approche un membre entier d'une source de chaleur plus intense, on peut constater, en même temps que le retour de la sensibilité, une augmentation considérable de la force dynamométrique.

Lorsque la sensation de plaisir est portée à son maximum, lorsque la tension de l'énergie potentielle est devenue excessive, il se produit une décharge, sous forme de mouvements, de sécrétion, etc., déterminant un épuisement. On comprend ainsi comment telle excitation, agréable lorsqu'elle est modérée, peut être désagréable lorsqu'elle devient excessive ou lorsqu'elle se prolonge. Il est un acte physiologique qui schématise en quelque sorte cette succession de phénomènes: Amor epilepsia brevis, disaient les anciens, non sans quelque raison.

Les sympathies et les antipathies se réduisent aux mêmes phénomènes physiologiques: nous préférons, en général, les personnes qui offrent les attributs de la bonne santé et de la vigueur, dont l'aspect extérieur trahit une provision d'énergie disponible, dont une partie pourra être utilisée à notre profit. La sympathie que nous avons pour les gens exubérants de santé s'explique par cette simple notion que lorsqu'on a trop on est plus en mesure de donner; que peut-on espérer au contraire d'un individu mal constitué au moral et au physique, incapable de se suffire à lui-même?

L'action tonique des individus bien constitués est utilisée dans quelques hôpitaux d'Angleterre, où l'on choisit pour infirmières les plus jolies filles que l'on peut trouver; l'exemple est bon à suivre.

Le penchant que l'on éprouve quelquefois pour des individus mal partagés tant au point de vue physique qu'au point de vue intellectuel, n'est pas contradictoire à ce que nous venons de dire. D'abord parce que ces individus peuvent posséder, parmi de nombreux défauts, une qualité ou une simple particularité qui nous flatte; et, en outre, parce que le contact des sujets faibles éveille en nous une sensation subjective de puissance être plus fort est agréable en soi.

Nous aimons la représentation de la force et d'autant mieux qu'elle paraît plus susceptible d'être utilisée à notre profit. Dès qu'il devient manifeste qu'elle menace notre faiblesse, notre sentiment change le maître devient l'ennemi. Le plaisir et la douleur, ne sont que la manifestation d'états dynamiques; et les phénomènes extérieurs qui les caractérisent déterminent sur ceux qui les observent les mêmes effets que la représentation de la force ou de l'épuisement le spectacle du plaisir ou de la douleur augmente ou diminue notre propre énergie. On peut dire sans aucune métaphore que nous prenons part à la joie ou à la peine des autres; et c'est justement pour cela que nous sommes capables de faire des efforts sincères pour leur bonheur ou pour leur soulagement. La pitié et la charité qui en découle ne sont pas pures d’égoïsme ce sont des phénomènes physiologiques et par conséquent nécessaires.

Les sujets affaiblis, les dégénérés, les névropathes sont plus soumis que les autres aux effets dynamogènes ou épuisants des excitations venues du dehors; ils sont sans cesse dans un état d'équilibre instable, ressemblant à une balance folle, qu'un simple attouchement suffit à faire dévier dans un sens ou dans l'autre. Aussi les voit-on soumis à la contagion des émotions et à tous les phénomènes d'induction psycho-motrice. Chez eux, l'impression actuelle détermine une nécessité de réaction tellement urgente et intense que la représentation mentale des conséquences de l'acte se trouve complètement effacée; et il en résulte qu'ils sont capables des plus grands écarts.

Les sujets d'une constitution robuste au contraire, offrent, si on peut dire, une force statique plus considérable qui leur permet de résister aussi bien à l'excitation qu'à l'épuisement et de ne présenter, sous l'influence d'un agent quelconque, que des réactions modérées. L'impassibilité est un signe de force; et les anciens Égyptiens la symbolisaient parfaitement en représentant les puissants, dieux ou rois, assis, les membres dans une position intermédiaire à la flexion et à l'extension, le regard à l'horizon, prêts à tout et émus de rien.

Insistons un peu sur quelques phénomènes communs chez les instables qui offrent des manifestations d'excitation ou de dépression sous des influences tellement légères qu'elles échappent le plus souvent à notre observation.

Certains dégénérés, strychnisés en quelque sorte par leur hérédité morbide, offrent des phénomènes spasmodiques divers, mais que l'on a rapprochés avec raison; ce sont des mouvements spasmodiques ou tics, et des idées spasmodiques ou impulsions, suivies, lorsqu'elles sont assez intenses, d'exclamations ou d'actes impulsifs plus ou moins complexes. D'autres sujets appartenant eux aussi à la catégorie des dégénérés présentent de préférence, au lieu de ces phénomènes d'excitation, des manifestations d'un ordre tout contraire et que l'on peut rattacher à l'épuisement, se produisant comme les premiers en dehors de toute lésion organique connue du système nerveux ce sont des paralysies dites psychiques, caractérisées par l'impossibilité d'exécuter un mouvement, bien que le sujet se croie capable dans une certaine mesure de vouloir le faire, et des aboulies caractérisées par l'impossibilité absolue de vouloir exécuter un mouvement donné.

Ces aboulies et ces paralysies peuvent être rapprochées au même titre que les mouvements et les idées spasmodiques. L'aboulie est un état faible de la paralysie, tout comme l'idée spasmodique est un état faible du spasme moteur lorsque l'idée spasmodique est très intense, l'acte impulsif qui en est la conséquence est instantané, le temps de l'idée et le temps de l'acte se confondent, il devient impossible de distinguer l'un de l'autre, le sujet n'a pas conscience d'avoir eu l'idée du mouvement avant de l'accomplir; de même lorsque l'aboulie est à son maximum d'intensité, elle équivaut à une paralysie psychique systématisée, et il est impossible de l'en distinguer. Supposons un aboulique qui tout d'abord a éprouvé une certaine difficulté à vouloir prendre une plume pour écrire, et qui peu à peu en est arrivé à être incapable de le faire, même lorsqu'une voix étrangère lui affirme avec insistance que ses muscles sont parfaitement en état d'exécuter le mouvement. Par quels caractères distinguera-t-on son impotence d'une paralysie par suggestion, d'une paralysie psychique des mouvements adaptés de l'écriture? Par quels caractères même la distinguera-t-on d'une agraphie par lésion cérébrale localisée? Par la marche des accidents et les phénomènes concomitants, mais non point par la forme du trouble local.

Donc, dans les trois cas, ce trouble doit reconnaître une cause analogue par sa nature ou par son siège. L'analogie qui existe entre l'aboulie et la paralysie systématisée peut être mise en lumière par des expériences de suggestion chez des hypnotiques.

Si à un sujet de ce genre nous inculquons l'idée de faire des mouvements alternatifs de flexion et d'extension du pouce droit, nous le voyons effectuer cet acte automatiquement et sans interruption, jusqu'à ce que survienne une excitation périphérique capable de produire ce qu'on appelle l'inhibition, une forte constriction du bras gauche par exemple. Si nous lui demandons alors de faire le mouvement qu'il exécutait tout à l'heure, le sujet déclare qu'il sent qu'il est capable de faire ce mouvement, qu'il voudrait bien le faire, mais que quelque chose l'en empêche; le fait est que l'on ne peut obtenir ce mouvement, bien que l'on puisse faire saisir un objet quelconque avec force, bien que l'on puisse obtenir un mouvement complexe, comprenant le mouvement impossible à exécuter isolément.

Si au lieu d'inhiber cette impulsion on provoque directement par suggestion la paralysie du même mouvement, le sujet se trouve dans un état très analogue; il répond qu'il ne sait pas qu'il ne peut pas faire ce mouvement. L'ordre se rétablit lorsqu'on a répété un certain nombre de fois que le mouvement est possible. On peut dire que le même phénomène se produit chez tel aboulique, qui est incapable de vouloir passer une porte, mais qui arrive à le faire lorsqu'une personne étrangère lui a affirmé avec autorité qu'il est capable de passer. Dans les deux cas, il est nécessaire de renforcer l'image motrice pour obtenir le mouvement. Dans l'impulsion et dans le spasme au contraire, l'image motrice est tellement intense que l'acte s'accomplit d'une manière explosive, sans que le sujet ait le temps de se sentir vouloir.

Je rappellerai ici quelques expériences qui peuvent servir à établir la relation qui existe entre la paralysie dite psychique et la soi-disant inhibition. Sur certains sujets il est possible de déterminer des paralysies de ce genre en appliquant un diapason en vibration sur une zone dynamogène, céphalique ou autre. On pourrait croire que la vibration du diapason a ce qu'on est convenu d'appeler une action d'arrêt; mais si on y regarde de plus près, on s'aperçoit qu'il s'agit d'un phénomène plus complexe, en apparence du moins. En effet, si avant de pratiquer l'excitation avec le diapason on place dans la main du sujet le récepteur d'un dynamographe, et qu'on lui fasse serrer l'instrument au moment de l'excitation, on voit qu'il y a une exagération très considérable de l'énergie de la contraction volontaire. On enregistre une secousse très haute, beaucoup plus haute que les contractions normales, et immédiatement après les contractions s'affaiblissent dans des proportions considérables; et l'expérience est complète au bout de quelques secondes, c'est-à-dire qu'on a une paralysie absolue. Par conséquent, il y a un phénomène qui précède la paralysie, et c'est une exagération de la puissance motrice, ce qui peut faire présumer que cette paralysie est en somme une paralysie par épuisement. Lorsque l'excitation est très forte, l'épuisement est très rapide et la dépression seule peut être constatée; ce qui ne modifie pas, il me semble, la nature du phénomène. On voit bien sur les figures 2 et 3 que l'effort, soutenu dont la durée normale a été déterminée (fig. 1) devient d'autant plus considérable et d'autant moins prolongé qu'il a été produit sous l'influence de l'excitation déterminée par des vibrations plus étendues.

Ces expériences, susceptibles d'être variées, peuvent jeter un certain jour sur la nature des soi-disant phénomènes d'arrêt; elles nous montrent que l'épuisement arrive d'autant plus rapidement que l'excitation a été plus forte et la dynamogénie plus intense. Elles nous font encore constater que les différentes excitations qui déterminent le sommeil hypnotique provoquent tout d'abord une décharge musculaire générale (fig. 4) qui permet de rapprocher ce sommeil du sommeil naturel en faisant intervenir la fatigue dans sa production. Elles nous conduisent enfin, à interpréter aussi par l'épuisement tous les phénomènes dits d'arrêt qui se manifestent à la suite du choc nerveux, soit physique, soit moral.


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