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Nouvelle théorie du plaisir et de la douleur fondée sur la physiologie - Partie 2

Revue scientifique de la France et de l'étranger

En 1874, par Védie H.

Mais, dira-t-on, puisque la force nerveuse produite par la douleur ne peut s'écouler au dehors, comme dans le plaisir, il n'y a donc pas, en réalité, de perte pour l'organisme, et, en s'appuyant sur le principe de la transformation des mouvements, on peut croire que cette force retenue peut être utilisée par l'économie. Nous avouons ne pouvoir résoudre cette question expérimentalement. Cependant, d'après l'examen des symptômes de la douleur, il semblerait que l'influx nerveux, ainsi formé, ne rencontre pas dans l'organisme des conditions propres à faciliter sa transformation en force utile. Les cris, les sanglots, les mouvements désordonnés qu'on observe dans les douleurs violentes, nous paraissent avoir pour but et pour effet de dépenser, sans danger pour l'organisme, une partie de la force nerveuse produite. Aussi les douleurs concentrées sont-elles bien plus dangereuses que les autres.

Cependant, nous inclinerions à croire qu'une partie de la force nerveuse, produite par la douleur, peut se transformer en effet utile. Nous pensons même que l'habitude a une certaine influence dans ce résultat, ou autrement dit qu'un homme familier avec la douleur s'y habitue de telle façon, que sa vie physique n'en souffre pas trop.

On avait remarqué depuis longtemps la relation étroite qui unit le plaisir et la douleur avec les penchants et les instincts. Mais la découverte du principe des transformations du mouvement et des rapports du système nerveux avec la conscience pouvait seule permettre de distinguer le plaisir et la douleur en travail utile et inutile du système nerveux.

Nous pourrions passer en revue les penchants et les instincts et les objets qui les satisfont ou les blessent. Nous aurions ainsi toutes les causes de douleur ou de plaisir. Quant à expliquer pourquoi tel objet est bon ou nuisible pour nos organes, c'est ce qu'il est impossible de faire. Nous touchons ici aux mystères des affinités organiques, dont les lois sont presque toutes inconnues. Force nous est donc de nous arrêter.

Pour mettre le principe établi par M. Dumont en rapport avec les développements qui précèdent, nous dirons donc que le plaisir augmente l'ensemble des forces qui constituent le moi, mais qu'en même temps il les dépense utilement, tandis que la douleur augmente l'ensemble des forces qui constitue le moi, mais en pure perte, soit que ces forces se trouvent dépensées inutilement (cris, pleurs, etc.), soit qu'elles restent à l'intérieur de l'organisme où elles peuvent être une cause occasionnelle des maladies les plus variées (névralgies, aliénation mentale, etc.). C'est la conscience que nous avons de ce travail utile ou inutile du système nerveux, qui constitue en définitive les sentiments de plaisir ou de douleur.

On peut s'étonner, au premier abord, que la faim et la soif augmentées au point de devenir de la douleur puissent être considérées comme un travail inutile du système nerveux. Voici l'explication que l'on peut en donner. Tous nos instincts ont un retentissement dans la conscience. Lorsque la faim et la soif demandent à être satisfaites, elles font naître immédiatement un travail du système nerveux qui se traduit dans la conscience par un désir, et dans les actes par des mouvements qui ont pour but de mettre les organes de l'odorat, du goût, de préhension, en rapport avec les objets qui peuvent satisfaire notre appétit. Si l'objet est à notre portée ou peut y être promptement, la faim et la soif ne vont pas jusqu'à la douleur, parce que la force nerveuse formée n'a pas dépassé la quantité nécessaire pour éveiller le désir et provoquer les mouvements appropriés. Mais si l'objet se fait attendre, comme la production de force nerveuse est incessante dans le but de se procurer la substance désirée, il y a une déperdition exagérée d'influx nerveux. Un autre phénomène vient compliquer celui-ci et l'augmenter. C'est que le besoin général de réparation, la nutrition, en un mot, languit, et comme tous les besoins non satisfaits, devient par là même une cause de douleur.

On pourrait s'étonner aussi que le mal physique proprement dit, les plaies, contusions, lésions des organes, puissent être considérées comme un travail inutile du système nerveux. On pourrait dire, par exemple, que ce travail sert au contraire à la cicatrisation des plaies. Cela est vrai; mais la cicatrisation d'une plaie n'est pas la satisfaction normale d'un instinct ni d'un penchant. C'est un travail anormal ou plutôt une satisfaction anormale de l'instinct de conservation qui a pour but de remettre les parties lésées, et en particulier les nerfs dont les radicules plongent dans la plaie, en état de reprendre leurs fonctions. Jusqu'à ce que la cicatrisation soit opérée, toute dépense d'influx nerveux qui se fait de ce côté, étant en dehors des prévisions de l'organisme, est une surcharge, un surcroît de dépense et par conséquent une perte réelle.

On voit par ces exemples qu'il n'est pas très difficile de ramener tous les genres de douleurs à une dépense inutile de force nerveuse, et pour une raison inverse, tous les genres de plaisir à une dépense utile.

Cette théorie du plaisir et de la douleur nous parait féconde en conséquences de toutes sortes.

Puisque dans le plaisir il y a fatigue du système nerveux, elle explique pourquoi les plaisirs exagérés mitraillent des maladies. Elle explique aussi pourquoi dans la douleur morale les mouvements auxquels on se livre ont chance de diminuer un peu la souffrance intérieure. Les personnes qui sont tristes éprouvent en effet « le besoin de prendre l'air ». Il ne faut pas croire que dans ces cas les distractions causées par une promenade aient seules une heureuse influence: la marche par elle-même diminue l'éréthisme nerveux.

Une autre conséquence, c'est qu'au point de vue physiologique, la vie apparaît d'après cette théorie du plaisir et de la douleur, comme un mouvement qui, ayant reçu du Créateur un sens déterminé, jouit, grâce à la conscience, du pouvoir de se régler, de se diriger lui-même en quelque sorte pour obéir à sa nature, et par conséquent éviter les obstacles qui peuvent arrêter son évolution.

La douleur lui fait éviter l'écueil qui le détruirait; le plaisir l'avertit, si l'on veut nous passer cette expression, que la voie est libre. Quelle différence avec les mouvements qu'étudie la physique? Ceux-ci se détruisent mutuellement, c'est-à-dire se transforment les uns dans les autres, mais en perdant leurs caractères propres. Le mouvement vital au contraire jouit de la propriété de sentir en quelque sorte les mouvements ennemis qui viendraient l'arrêter; ou s'il n'a pu les éviter, s'il s'est heurté contre eux, la sensation de douleur, c'est-à-dire de travail inutile, que perçoit la conscience permet au mouvement vital d'apprécier l'obstacle et de le tourner s'il ne peut le vaincre.

Une troisième conséquence est l'explication du rôle considérable que joue la douleur dans la pathologie.

Ne pourrait-on pas envisager presque toutes les maladies comme des dépenses de forces, utiles quant à la réparation des organes malades, mais inutiles en ce sens qu'elles sont perdues pour la satisfaction des besoins normaux de la vie.

A ce point de vue, on pourrait appeler la fièvre elle-même la douleur du grand sympathique. Que la fièvre soit symptomatique ou essentielle, intermittente ou continue, elle s'accompagne d'un cortège de symptômes que l'on retrouve dans tous ces genres. Un homme se fait une plaie, l'impression en est transmise aux centres nerveux où la conscience la perçoit et est émue douloureusement. L'ébranlement nerveux se propage par la moelle au grand sympathique, d'où partent les vaso-moteurs. De là un trouble générai de la circulation; de là par conséquent les troubles généraux de la nutrition, de la température, des sécrétions, troubles que l'on pourrait appeler un dérangement dans la chimie organique normale du corps humain. Nous ne faisons que décrire l’enchaînement des phénomènes. Mais si l'on se rappelle en même temps le principe de la transformation des mouvements, cet enchaînement ne suffit-il pas à légitimer notre expression?

En effet, la suractivité du grand sympathique dans la fièvre peut être considérée comme la continuation de l'ébranlement douloureux du système nerveux cérébro-spinal. Rien n'est plus naturel. Dans la douleur, il y a un excès d'influx nerveux qui ne peut se transformer en travail utile des muscles. Mais alors le système nerveux est comme une pile trop chargée. Il faut que le fluide en excès (qu'on l'appelle influx nerveux, mouvement, force nerveuse, peu importe), il faut, dis-je, que le fluide en excès trouve un écoulement quelque part, et alors celui qui ne peut s'épancher sous forme de plaintes, de cris et de pleurs va ébranler le grand sympathique, dernière issue qui lui reste. Ce dernier arrive bientôt à un degré d'activité correspondant à celle du système cérébro-spinal. Cet excès de travail de sa part, quoique utile au point de vue de l'organe blessé, qui guérira par ce moyen, est en somme une dépense inutile, quant à la satisfaction générale des besoins normaux de l'économie.

La fièvre semble donc être au système du grand sympathique ce qu'est la douleur au cérebro-spinal. Nous l'exprimions en disant que la fièvre était en quelque sorte la douleur du grand sympathique.

Nous ne pouvons passer en revue tous les genres de fièvre; cela nous entraînerait beaucoup trop loin. Mais nous croyons que la théorie précédente est applicable à toutes, même aux fièvres essentielles. On sait en effet que dans ces maladies le sang est altéré. Cette altération est pour le sang comme une plaie pour les solides. Elle produit un état de souffrance du système nerveux qui réagit sur le grand sympathique, et ainsi de suite. Le rôle considérable que joue la douleur dans la production des maladies pourrait donc être expliquée par le principe des transformations du mouvement.

Les douleurs morales rentrent-elles dans le même cas? Elles y rentrent parce qu'elles occasionnent aussi une suractivité considérable du système nerveux. Il y a plus: quelques praticiens ont décrit une fièvre nerveuse, véritable état fébrile causé par de fortes émotions morales, des chagrins, des passions, etc. Il est impossible de trouver une preuve plus forte de l'influence de la douleur morale sur l'organisme que l'existence de ces fièvres nerveuses.

On pourrait nous reprocher d'avoir émis dans les développements de pathologie qui précèdent des idées qui ne sont que des hypothèses. Nous le reconnaissons, et nous ne prétendons pas les donner comme des démonstrations. Cependant il nous semble qu'elles fournissent une explication si naturelle des phénomènes morbides produits sous l'action de la douleur qu'on peut, sans danger, les admettre pour vraies jusqu'à ce que l'expérience vienne les confirmer ou les contredire.

L'heure est arrivée où la physiologie fournira à la philosophie de nouveaux sujets de réflexions, tout en contribuant puissamment à lui donner la fixité qui lui a manqué jusqu'ici, parce qu'elle a presque toujours isolé l'esprit du corps, et qu'elle aurait dû au contraire étudier conjointement le corps et l'esprit. En n'étudiant que l'esprit, les philosophes faisaient réellement une abstraction. L'isoler, c'est lui enlever sa réalité; c'est l'étudier comme si l'âme était destinée à passer son existence sur cette terre sans jouir ou souffrir de ce qui blesse ou favorise la vie du corps.


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