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Les sensations et les représentations - Partie 5

Revue des sciences psychologiques. Psychologie, psychiatrie, psychologie sociale, méthodologie...

En 1913, par Tastevin J.

Comme l'intensité, la tonalité de la sensation se retrouve à l'état de connaissance dans le souvenir; le timbre d'une voix, les tonalités d'une saveur, d'une odeur, la couleur d'un objet réapparaissent dans les représentations correspondantes. D'ailleurs, l'intensité d'une sensation et sa tonalité sont des phénomènes complètement inséparables; il n'y a pas d'opération de l'esprit où une sensation se dépouille de sa tonalité, et les accroissements de l'intensité sont également des accroissements de la tonalité. Il semble donc très probable que les modifications que celle-ci subit dans le souvenir sont liées à la modalité particulière qu'y prend l'intensité.

Ces faits sont très nettement mis en évidence par l'étude des représentations affectives. Provoquons sur nous-même des sensations douloureuses variées: piqûre, pression douloureuse, brûlure, ou profitons de l'occasion que nous fournira par exemple la production spontanée d'une douleur viscérale. Attendons que la sensation ait cessé, puis éveillons-en le souvenir. Un fait est frappant: les représentations que nous obtenons ont exactement la tonalité de la douleur originelle, l'intensité y est à l'état de notion, mais nous constatons qu'il nous est possible de garder notre souvenir douloureux un temps pour ainsi dire indéfini sans en être en quoi que ce soit incommodé. Alors que nous tendons à éviter la douleur, qu'une douleur, même très faible, devient à la longue insupportable, un souvenir de douleur même très intense nous laisse indifférent; nous pouvons l'éprouver sans déplaisir pendant un temps très long. Le souvenir d'une douleur n'est donc pas douloureux, il ne renferme la douleur qu'à l'état de connaissance. L'examen des souvenirs de sensations agréables nous conduirait à des conclusions analogues.

Cette notion de l'indifférence des souvenirs affectifs n'a sans doute pas été mise en évidence à cause de l'ambiguïté apparente qu'apporte, dans les phénomènes affectifs, la propriété de certains souvenirs de déterminer des émotions. Lorsqu'un souvenir produit une émotion, un phénomène affectif paraît se fusionner avec lui; des souvenirs peuvent ainsi être douloureux. Avec les conceptions intellectualistes des émotions, dans lesquelles l'affectivité naîtrait du « choc » des souvenirs, les phénomènes émotionnels apporteraient des exceptions nombreuses à la loi de l'inaffectivité des représentations. En réalité, les souvenirs ne déterminent de la douleur ou du plaisir que par voie réflexe; certains peuvent, en effet, produire par réflexe des contractions de fibres lisses dans divers organes; ces contractions irritant les filets sensitifs environnants, donnent lieu à des sensations affectives localisées à la périphérie corporelle. Mais lorsque l'attention reste fixée sur les souvenirs, lorsqu'elle ne se porte pas sur les phénomènes affectifs périphériques, ces derniers prennent de fausses localisations et paraissent plus ou moins fusionnés avec les souvenirs. Ces fausses localisations sont analogues à celles que l'on découvre dans l'expérience de Ferrier ou dans le plaisir de manger. Dans ce dernier cas, un même aliment apparaît exquis d'abord lorsqu'on a faim, indifférent ensuite, finalement mauvais lorsque le sentiment de la faim a fait place à des sensations nauséeuses; cependant, les sensations gustatives produites par l'aliment n'ont pas changé. Sur l'aliment, outre la saveur qu'il donne par contact, se localisent, faute d'attention suffisante, toutes les sensations agréables ou pénibles qu'il produit successivement par voie réflexe dans la bouche, le pharynx, l’œsophage et l'estomac; ce n'est qu'en y portant notre attention que nous découvrons les localisations véritables des phénomènes affectifs surajoutés à la saveur de l'aliment.

Comme la tonalité et l'intensité, la projection et la localisation des sensations subsistent à l'état de notion dans les souvenirs. Les représentations visuelles sont très instructives à cet égard; en effet, la notion du relief des corps, celle, par exemple, des divers plans d'un paysage, existe nettement dans le souvenir. Malgré cela, les représentations nous paraissent avoir une localisation propre à elles-mêmes; elles nous semblent être des faits intérieurs; elles nous apparaissent comme localisées, mais d'une manière assez vague, dans la boite crânienne.

Les souvenirs peuvent être remémorés comme les sensations; mais la remémoration d'un souvenir n'est pas un élément de conscience nouveau; c'est ce même souvenir qui reparaît une deuxième fois. Les représentations ne laissent donc pas dans le cerveau des impressions d'un ordre spécial comme le font les sensations; néanmoins, par leur reproduction répétée, elles rendent plus longtemps persistantes les impressions engendrées par les sensations originelles. En effet, le temps paraît effacer graduellement ces impressions, en sorte que la remémoration d'une sensation ne donne plus lieu, à la longue, qu'à une image confuse.

Les souvenirs ont une intensité très spéciale, propre à eux-mêmes et qui n'a rien de commun avec l'intensité-notion qu'ils renferment et qui exprime l'intensité de la sensation; cette intensité spéciale décroit à mesure que l'évocation du souvenir s'éloigne du moment où la sensation a eu lieu. Si, quelques secondes après avoir vu un objet, on en évoque le souvenir, celui-ci apparaît très vif, il semble que nous revoyons l'objet, disons-nous. Mais des remémorations nouvelles, à des intervalles plus ou moins longs, donnent lieu à des images dont la netteté est décroissante; il arrive même un moment où l'évocation n'est plus possible, l'impression cérébrale semble avoir disparu et tout se passe alors comme si la sensation n'avait jamais eu lieu. Cependant, par des remémorations suffisamment fréquentes, une sensation peut être sauvée de l'oubli; c'est que l'évocation des souvenirs retarde la disparition des impressions cérébrales produites par les sensations originelles.


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