Parenté simienne de l'Homme

Revue encyclopédique

En 1892, par Bruno, G.

Un médecin d'outre-Manche, le Dr L. Robinson, vient de publier dans un périodique anglais un intéressant article sur les analogies physiologiques qui existent entre les jeunes enfants (nouveau-nés) et les singes. Dans cet écrit, il fait part aux anthropologistes des résultats curieux qu'il a obtenus dans une série de soixante expériences ayant duré environ deux années. Darwin n'avait point pensé au parti qu'il y avait à tirer d'observations de cette nature, qui cependant apportent des arguments imprévus en faveur de la théorie de l'évolution. Le Dr Robinson déclare avoir institué ces expériences sans but préconçu, en toute liberté d'esprit, bien décidé à étudier les faits en eux-mêmes, à les suivre jusque dans leurs ultimes conséquences, et à les enregistrer simplement en témoin consciencieux. Une anecdote racontée par A.-R. Wallace dans l'Archipel malais lui suggéra l'idée d'étudier le singe dans le nourrisson.

Les recherches déjà faites en embryogénie ont projeté une vive lumière sur le même sujet, mais il importait de prolonger les investigations au delà de la naissance, car l'enfant, tant qu'il n'a pas atteint l'âge adulte, peut et doit être considéré comme un embryon parvenu seulement à sa seconde phase de développement. Et si les études embryologiques présentent un intérêt si puissant, c'est que l'individu résume dans l'évolution intégrale de son être, depuis la fécondation de la vésicule germinative jusqu'au plein épanouissement de son organisme, le développement de l'espèce elle-même entre son point de départ et son stade actuel. De même, l'histoire de la race est la synthèse de la vie des millions d'individus dont l'ensemble constitue cette même race. Cette conception anthropogénique paraît avoir été entrevue au surplus par certains historiens, Florus entre autres, qui compare le peuple romain à un individu dont il suit les progrès depuis l'enfance jusqu'à l'âge mûr. Ainsi, en soumettant à ses patientes observations les nouveau-nés, le Dr Robinson s'est placé au point de vue le plus favorable pour reconnaître les origines et les traits primitifs de la race.

Nouveau-né suspendu par les mains. Expérience du Dr Robinson.Tous les anthropologistes admettent sans conteste que le caractère le plus marqué chez toutes les espèces de singes est leur aptitude à se suspendre à un objet par les mains: cette faculté, leur plus sûre sauvegarde en cas de danger, existe à un haut degré chez les jeunes comme chez les adultes quadrumanes; c'est ainsi que le petit orang-outang, accroché de ses mains à la fourrure de sa mère, l'accompagne dans ses élans les plus périlleux. Cette faculté si remarquable de préhension et de suspension se retrouverait-elle chez le nouveau-né?... Si l'expérimentation confirmait une telle hypothèse, il y avait lieu de conclure à la parenté physiologique de l'homme et du singe, car des attributs si caractéristiques attestent clairement chez l'homme et chez le quadrumane l'empreinte identique d'un type ancestral commun à l'ordre des Quadrumanes et à l'espèce humaine.

Les soixante expériences entreprises par le Dr Robinson, en présence de la mère de chaque enfant et avec l'assistance d'un médecin (plus un photographe), ont porté sur des bébés âgés de moins d'un mois, et dès la première heure consécutive à la naissance pour la plupart. Toutes ces expériences lui ont permis de constater, — l'encontre d'un préjugé vulgaire qui voit en tout nouveau-né un être chétif qu'un souffle peut emporter, — toutes lui ont démontré que tout nouveau-né, sain et bien constitué, possède une force surprenante dans les muscles fléchisseurs de l'avant-bras. Pendant les premières heures consécutives à la naissance, un enfant suspendu par ses mains à une baguette ou à l'index de l'opérateur (au-dessus d'un berceau ou d'une couverture) supporte le poids de son corps pendant dix secondes, et ce tour de force peut se prolonger, selon la vigueur des sujets, pendant deux minutes et demie.

Précisons les faits: sauf deux cas, la suspension par la « poigne » a duré dix secondes au moins; en douze cas (bébés âgés d'une heure), une demi-minute; en trois cas, près d'une minute. En un laps de quatre jours, la force s'étant accrue, le pouvoir « suspensif » dure une demi-minute. Mais, vers le quinzième jour, ce pouvoir atteint le maximum: la plupart des nourrissons ne dépassent pas dans cet exercice de « barre fixe » une minute et demie; deux bébés ont pu résister à leur poids plus de deux minutes et un petit Samson l'a soutenu pendant deux minutes trente-cinq secondes. Dans un cas, on a vu le jeune sujet lâcher prise, de la main droite, à la dixième seconde, et rester suspendu par la main gauche cinq secondes de plus.

Une remarque à faire, est celle-ci: le développement considérable des bras par rapport à celui des membres inférieurs. Les attitudes saisies par la photographie ne sont pas moins curieuses à étudier: le visage des nourrissons varie d'expression. Sur telle photographie, on perçoit une stoïque indifférence; sur telle autre, se décèle une énergie au repos; sur d'autres on lit un sentiment d'épouvante exprimé par la largeur de la bouche, grande ouverte. Dans ces diverses postures les bébés ressemblent réellement à de jeunes singes sans queue. Ainsi que chez les singes, dont les pieds ne sont que des mains additionnelles, leur gros orteil est tourné en dehors, comme un Pouce. Quand le De Robinson plaçait une baguette ou son doigt tout contre le pied du petit enfant, celui-ci étant encore suspendu par ses mains, l'expérimentateur constatait une tentative pour saisir la baguette avec les pieds.

Ce dernier trait, ce mouvement instinctif, est évidemment un caractère dérivé des habitudes de l'homme primitif: c'est un vestige ancestral; ce caractère spécifique étant l'attribut prédominant des quadrumanes, on est amené à conclure que l'analogie embryogénique la plus remarquable relie deux êtres également organisés dans le principe: l'homme et le singe.


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