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Le cerveau social et le cerveau individuel - Partie 2

Annales de l'Institut international de sociologie

En 1897, par Garofalo R.

Les cellules nerveuses ne sont pas des éléments détachés par les différentes parties du corps; elles se forment et s'agrègent d'elles-mêmes; ce sont des cellules différentes des autres, ayant une aptitude spéciale pour les fonctions psychiques qui leur sont réservées exclusivement. Ce qu'on appelle la substance grise et la substance blanche des nerfs ne se trouve pas ailleurs. Les éléments anatomiques des nerfs et du cerveau n'ont pas la même constitution chimique que les autres tissus. Les cellules nerveuses sont encore différentes par leur forme. Elles contiennent souvent autour du noyau des amas de granulations graisseuses. Elles ont quelquefois plusieurs pôles d'où partent des prolongements qui se continuent avec les ramifications d'autres cellules voisines. « Les cellules de l'âme — dit Haeckel — qui constituent le gouvernement central de tout animal polycellulaire, sont anastamosées entre elles et forment un tissu réticulaire ».

Les cellules du sang, des poumons, du foie, celles qui forment les muscles et tous les autres tissus de l'organisme, ne pourront jamais aspirer à devenir des cellules psychiques. S'il est vrai — comme l'a dit Virchow — que omnis cellula oritur a celluia, on pourrait affirmer également que la cellule nerveuse ne peut naître que d'une cellule nerveuse. Le sang n'arrive au cerveau que pour le nourrir: les globules rouges subissent une décomposition, mais pas un de ces globules ne prendra la place d'une cellule nerveuse. « Les cellules plus volumineuses ou plus importantes que les autres ne s'allient pas entre elles de système à système ou d'appareil à appareil. Les cellules nerveuses du cerveau sont assurément plus élevées que celles des ganglions et de la moelle ». Dans le cerveau comme dans tous les autres organes, les éléments anatomiques sont constitués de telle sorte qu'il y a « adéquation parfaite entre la nature et la fonction, celle-ci n'étant que la conséquence de celle-à ».

Cela suffit pour montrer l'infériorité du mode de constitution du cerveau social.

Qu'il s'agisse d'une monarchie constitutionnelle, d'une république centralisée ou d'une fédération républicaine, la conduite de l'Etat est toujours entre les mains de ceux qui sont censés être les représentants du peuple, parce qu'ils ont été élus par le majorité des citoyens de toutes les classes, dans les pays à suffrage universel, ou par la majorité des citoyens appartenant à quelques classes seulement, dans les pays à suffrage restreint.

Je dis que la conduite de l'Etat est entre leurs mains, parce que c'est dans les assemblées électives que tous les pouvoirs sont concentrés. On a beau distinguer le pouvoir exécutif du pouvoir législatif: on voit partout que si les ministères ne sont pas nommés directement par les chambres, ils en sont toujours l'émanation, et n'ont que la vie qui leur est accordée par les majorités parlementaires. Un ministère n'est donc que le reflet de cette majorité, qui elle-même n'est que le reflet de la majorité des électeurs, ou d'une minorité ayant réussi à s'imposer. Et si les théoriciens du droit constitutionnel se plaignent de quelque chose, c'est que la représentation n'est pas assez fidèle, qu'elle n'est pas tout à fait le miroir de la nation et de ses différents intérêts; et c'est pour qu'elle le devienne de plus en plus qu'on élargit le suffrage, qu'on l'accorde aux prolétaires et aux illettrés, et qu'on propose la représentation non seulement des individus, mais des différents groupes sociaux, des classes et des professions.

Il n'y a qu'un souci qu'on s'épargne; celui d'étudier la manière de faire en sorte que le gouvernement soit aux mains de ceux qui ont les aptitudes nécessaires pour diriger la conduite de l'État. Les cellules de la pensée sociale ne sont pas naturellement agrégées comme les cellules psychiques de l'individu; elles flottent au contraire au milieu des cohues qui souvent les refoulent au pied de la pyramide sociale lorsqu'elles essaient de grimper au faîte, et elles ne trouvent que rarement le moyen de monter et de prendre la place qui leur est due.

Cette place est prise par la violence pendant les révolutions, par les intrigues et la faveur des masses populaires dans les périodes pacifiques; ce sont le plus souvent des gens hardis et sans scrupules qui aspirent à la vie politique pour se créer de hautes situations financières, ou, s'ils sont déjà riches, pour satisfaire leur vanité personnelle et voir s'étendre leur pouvoir. Parmi ces gens, il y en a de très ignorants; très peu d'entre eux en tous cas possèdent un haut degré de culture; il y en a qui ont exercé des professions libérales, mais on n'est pas sûr que, dans ces professions, ils se soient élevés au-dessus du niveau ordinaire; ils ont pu ne pas même atteindre la médiocrité; à la Chambre pourtant ils sont considérés comme des compétences, comme des spécialistes, et c'est à eux qu'on s'adresse pour examiner des projets qui exigent des connaissances techniques, et pour en être les rapporteurs; cependant les vraies compétences qu'une nation possède se trouvent peut-être en dehors des assemblées; eux, ils sont censés l'être parce qu'ils sont les seuls dans l'assemblée qui entendent quelque chose à la matière spéciale dont il s'agit.

Il s'ensuit de tout cela que l'organe de direction de l'Etat, constitué sur la base de la représentation populaire, doit nécessairement être privé des qualités les plus précieuses de l'intelligence humaine. C'est surtout la mémoire, la condition principale de la vie intellectuelle, qui fait défaut dans un cerveau ainsi constitué; la mémoire qui nous donne véritablement notre personnalité, et d'où dépend le perfectionnement de notre conduite. Car ce qu'on pourrait appeler la « mémoire sociale » n'est que la connaissance de l'histoire. Sans cette connaissance, la politique n'aurait aucune base scientifique. Seuls les faits historiques remplacent, dans la science politique, ce qui dans les autres sciences est l'expérimentation.

Car on ne peut pas expérimenter des faits politiques pour l'enseignement des hommes d'Etat, on ne peut pas renouveler ces faits à volonté; il faut se contenter de ceux qui sont enregistrés par l'histoire et que nous apprenons à comparer et à classer, et à en distinguer les causes et les effets. La culture politique ne peut pas avoir d'autre source; ôtez-lui la base historique, et elle deviendra de suite une métaphysique. On se forgera un système, on prétendra l'imposer, tout paraîtra à refaire, et tout paraîtra possible, et on répétera sans cesse les mêmes fautes qui ont déjà fait verser tant de larmes à l'humanité; on n'en épargnera pas une seule, parce qu'il n'y a que le souvenir qui peut enfanter la prévoyance.


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