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La langue universelle - Partie 1

Causeries scientifiques : découvertes et inventions, progrès de la science et de l'industrie

En 1866, par Parville H.

M. Sudre s'est éteint dernièrement sans avoir eu la consolation de voir enfin ses nombreux travaux couronnés de succès, malgré son indomptable persévérance, malgré l'importance de son œuvre. C'est pour nous une dette de cœur, puisque l'occasion s'en trouve, de lui consacrer ici un dernier souvenir; non pas qu'aucun de nous puisse l'oublier, la France le réclamera parmi les siens, mais parce qu'il y a un enseignement moral à montrer encore dans nos jours de progrès un homme de génie se débattant contre l'indifférence de son temps sans parvenir à faire triompher des idées qui ont été le malheur de son passé et qui resteront dans l'avenir son plus beau Titre de gloire.

M. Sudre la imaginée simple, élémentaire, accessible à tous, cette langue universelle que chaque philosophe recherche, que chaque savant rêve, que tout le monde désire: Académie des beaux-arts, Académie des sciences, Académies étrangères, toutes ont examiné, admiré, approuvé sans réserves.

A l'Exposition de 1855, le jury international, présidé par S.A.I. le Prince Napoléon, accorda à l'inventeur une récompense de 10000 fr. Le jury de l'Exposition de 1862 lui décernait encore une récompense qui devait être la dernière!

Et cependant, l'application où la trouvez-vous?

Nulle part! Si bonne qu'elle soit, une idée ne s'impose jamais. N'y a-t-il pas derrière elle l'inertie qui s'applique aussi bien à la nature humaine qu'à la matière gravitant dans l'espace? Il faut changer le courant, et le temps seul peut y parvenir.

A une époque où l'on déjeune à Paris, où l'on dîne à Londres, quand on s'endort en France et qu'on se réveille en Italie, la nécessité d'un langage universel se fait sentir à chaque instant. Que chaque contrée ait sa langue propre, soit! Il le faut pour la poésie, la littérature, les arts; il faut une langue caractéristique et nationale; mais, pour les rapports continuels, pour les besoins de la civilisation, la langue universelle devient indispensable.

On compte dans les quatre parties du monde 3014 langues ou dialectes ainsi subdivisés: 587 langues ou dialectes européens; 957 langues ou dialectes asiatiques; 226 langues ou dialectes africains; 1264 langues ou dialectes américains. On conçoit qu'un voyageur, si bien doué qu'il soit, finisse par être condamné au silence par la force des choses. Il lui faudra fatalement devenir sourd et muet en mettant le pied sur certaines régions du globe.

Ces difficultés, trop universellement reconnues pour qu'il ne soit pas superflu d'y insister, M. Sudre les a fait disparaître comme par enchantement; il ne s'agit plus d'études longues, arides, qu'un peuple acceptera, qu'un autre ne voudra jamais subir. Non. Quelques semaines de travail, et chaque idée sera exprimée par tout le monde par le même signe.

La conception de M. Sudre est d'une généralité absolue. La nouvelle langue est non-seulement parlée, mais encore, s'il le faut, écrite, muette, occulte; elle s'adresse en un mot à tous sans exception, à l'homme qui voit, qui entend, au sourd et au muet.

Quelques lignes feront facilement comprendre la simplicité et toute l'excellence de la méthode conçue par M. Sudre. Il fallait d'abord n'avoir recours qu'à des signes universellement connus. Or, comme l'a si bien dit Berton: « Il fallait une langue universelle, Dieu créa la musique, » — « Des langues se partagent le monde, la musique est une pour toute la terre, » disait aussi l'abbé d'Olivet. Descartes, Leibnitz, Rousseau, Chabanon, Nodier ont indiqué la musique comme l'élément certain d'une langue universelle.

M. Sudre, en méditant ces préceptes, s'arrêta naturellement aux sept notes de la gamme: do, ré, mi, fa, sol, la, si. Tels sont les signes de la nouvelle langue: les notes sont-elles exprimées par un instrument, la langue est musicale; sont-elles prononcées, elle devient parlée; sont-elles tracées sur le papier, elle est écrite; au contraire, quand la main les exprime conventionnellement, elle est muette; enfin, quand une légère pression les fait reconnaître à l'aveugle, elle devient occulte. Il est impossible de mieux plier une langue aux exigences de la question.

Maintenant, ces signes caractéristiques admis, il s'agissait de les grouper convenablement pour que de chaque association pût jaillir une idée. C'est dans ce problème, admirablement résolu par M. Sudre, que consiste toute la langue qui porte son nom.


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