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Psychologie morbide : idiots et imbéciles - Partie 2

Revue encyclopédique

En 1891, par Sollier P.

Le sommeil est souvent troublé, et il est des idiots qui paraissent à peine dormir et ne font que crier. Le besoin d'activité musculaire se manifeste quelquefois de singulière façon, par des sortes de tics compliqués, et on a alors les idiots grimpeurs ou tourneurs, assez rares du reste. Chez les imbéciles, il y a une mobilité incessante et un besoin continuel de changer de place, tandis qu'on observe plutôt l'immobilité chez les idiots.

L'instinct sexuel, le plus développé chez l'homme sain après l'instinct de conservation, est nul ou affaibli chez les idiots: la puberté est du reste retardée ou même n'apparaît jamais. Chez l'imbécile, il est au contraire très développé, mais presque toujours perverti, et l'onanisme est une habitude constante dans cette catégorie d'individus, garçons ou filles.

L'instinct d'imitation, à l'inverse de l'opinion courante, est loin d'être développé, car, pour imiter véritablement, l'intelligence doit entrer en jeu, et elle ne le peut pas. Chez l'imbécile, l'imitation ne s'applique guère, comme toutes les facultés, qu'à ce qui est mauvais ou malfaisant.

On a beaucoup parlé des aptitudes spéciales de certains de ces malades. Tous, ou presque tous, idiots et imbéciles, en ont une remarquable pour la musique en ce sens qu'ils retiennent les airs avec une étonnante facilité; mais ils sont incapables de jamais apprendre véritablement la musique.

A l'instinct d'imitation se rattache celui du jeu. Les idiots et même les imbéciles ne savent pas jouer spontanément, même réunis ensemble. Quand les imbéciles s'y adonnent, ils manifestent vite leurs mauvaises tendances et leur caractère antisocial.

Il est une tendance qu'on observe très fréquemment: c'est celle à casser, détruire, et cela pour le plaisir de la destruction simplement.

Le chapitre des sentiments est trop vaste pour que nous puissions l'analyser ici en détail. Chez l'idiot complet les sentiments et les émotions peuvent être nuls, même les sentiments affectifs les plus élémentaires. Le plaisir et la douleur sont très peu ressentis chez les idiots simples. Chez l'imbécile, la douleur physique est ressentie beaucoup plus vivement que la douleur morale.

Dessin d'un idiot, d'après un modèle. Le reproduction est malhabile, mais consciencieuse; l'effort d'attention est manifeste.L'idiot est beaucoup plus susceptible d'affection pour les personnes que l'imbécile, toujours égoïste, indifférent ou même cruel. Chez lui, le sens moral n'est pas seulement atténué, il est perverti surtout. On observe du reste pour tous les sentiments une différence complète entre l'idiot et l'imbécile. Chez le premier, il y a absence; chez le second, il y a perversion, et au point de vue social la chose n'est pas indifférente, car l'imbécile est toujours un être nuisible, et l'idiot n'est qu'un être inutile. Où cette différence s'accuse surtout, c'est dans la sensibilité des uns et des autres aux châtiments et aux récompenses, dans leur obéissance ou leur indiscipline, leur capacité au travail ou leur paresse, dans leur véracité ou leur tendance au mensonge. Tout fait de l'idiot un être éducable, à moins d'idiotie absolue, et de l'imbécile un être inéducable; du premier, un être qui n'est pas assez développé pour vivre dans la société; du second, un être qui en est l'ennemi et contre lequel on doit se sauvegarder.

L'étude du langage chez l'idiot montre qu'il n'y a pas, à proprement parler, de différence entre son mode de développement avec celui de l'enfant normal, mais seulement dans sa rapidité d'évolution, qui est beaucoup plus lente et qui s'arrête à un degré plus ou moins avancé. En comparant les troubles du langage à ceux qu'on observe chez l'homme normal, on peut les rapprocher de l'aphasie, et distinguer des aphasiques moteurs et des aphasiques par surdité verbale. Il est à remarquer qu'on rencontre très rarement chez l'idiot le bégaiement et la blésité, que les imbéciles présentent au contraire assez souvent.

La lecture, une des formes du langage, est très difficile à apprendre aux idiots, qui ne se rendent qu'un compte très confus de la valeur abstraite des lettres. Ils ne lisent jamais convenablement, et souvent même alors ne comprennent pas ce qu'ils lisent. Au point de vue de la lecture, il n'y a entre l'imbécile et l'enfant normal d'autre différence que la différence d'attention; mais jamais l'imbécile n'arrive à lire d'une façon tout à fait correcte, et dès qu'il néglige la lecture il l'oublie rapidement.

L'écriture, autre forme du langage, est encore plus difficile à apprendre aux idiots. Comme pour la lecture, nous les avons trouvés ayant de la cécité verbale; ici nous en trouvons d'agraphiques. Ils arrivent très difficilement à former leurs lettres, et dessinent plutôt qu'ils n'écrivent, ne comprenant pas la valeur des signes. Ils oublient fréquemment des lettres, ou répètent la même un grand nombre de fois. Quelques-uns, qui arrivent à écrire, sont incapables de lire leur écriture. Ils ne peuvent guère que copier, et non écrire spontanément ou sous la dictée. Dans l'écriture de l'imbécile on remarque tous les défauts de son caractère: irrégularité, malpropreté, prétention, oubli. En outre, au lieu de se perfectionner avec l'âge, elle devient de plus en plus mauvaise.

Le dessin est une forme primitive du langage, et là encore la différence s'accuse entre l'idiot et l'imbécile. Chez le premier, nous voyons l'essai d'un dessin consciencieux et attentif. Chez le second, nous trouvons un dessin irrégulier, fantaisiste, prétentieux et souvent absurde. Le premier est certainement préférable au second.

Dessin d'un imbécile. Ce dessin, exécuté de mémoire, prétend représenter le Lion de Belfort, érigé sur la place Denfert à Paris. Il dénote la légèreté de l'attention, la prétention et le défaut du jugement.On a jugé très superficiellement l'intelligence des idiots. Les procédés d'acquisition des idées sont en réalité les mêmes que chez l'enfant normal. Ce sont les sens et le langage. Mais ces deux procédés se présentent chez l'un et chez l'autre dans l'ordre inverse, et chez l'idiot c'est l'éducation des sens qui sert le mieux et le plus longtemps au développement de l'intelligence. Une fois acquises, les notions et les idées, pour être profitables, doivent y demeurer plus ou moins longtemps. C'est là le rôle de la mémoire, qui se présente sous trois formes: héréditaire, organique et acquise. La mémoire héréditaire est très nette chez nos sujets et peut, dans certains cas, expliquer leurs aptitudes singulières. La mémoire organique est quelquefois complètement nulle chez les idiots profonds; chez les autres, elle est toujours lente. Enfin, la mémoire acquise, qui nécessite l'attention volontaire, est très faible; mais on en tire un meilleur parti chez l'idiot que chez l'imbécile. Par suite de la possibilité de fixer l'attention chez l'idiot, on obtient en effet une mémoire assez stable et la persistance des notions qu'on leur a données. Chez l'imbécile, an contraire, qui présente souvent cependant une mémoire étonnante, l'instabilité de son attention empêche d'en tirer profit. Ce qui manque surtout à ce dernier, c'est la compréhension de ce qu'il retient, tandis qu'il est rare que l'idiot se rappelle une chose qu'il ne comprend pas.

Même distinction pour le raisonnement et le jugement. L'idiot ne peut arriver qu'à des raisonnements très simples, mais qui sont justes. L'imbécile fait quelquefois des raisonnements très compliqués, mais qui sont presque toujours faux. Le jugement lui fait absolument défaut, et aussi bien pour les choses pratiques que pour les choses abstraites. Du reste, l'abstraction est l'écueil commun de ces intelligences d'idiots et d'imbéciles, et le calcul, qui est la première chose où ils aient à mettre en jeu leur pouvoir d'abstraction, reste pour eux lettre morte. C'est ce qu'on a le plus de peine à leur enseigner, et ils ne peuvent guère dépasser la soustraction, même les plus développés.

L'imagination est presque nulle chez l'idiot. Elle est déréglée chez l'imbécile, où le défaut de jugement ne vient jamais corriger les entraînements de son esprit, dont les associations d'idées se font plutôt par contiguïté que par ressemblance ou par contraste. Aussi délirent-ils très facilement et ont-ils ordinairement un délire de grandeur absurde et incohérent.

Séguin considérait la lésion de la volonté connue fondamentale chez l'idiot. Il n'est pas difficile de démontrer la fausseté de son point de vue philosophique, mais cela démontre du moins combien cette lésion de la volonté est frappante. Chez l'idiot profond il n'y a pas, à proprement parler, de volonté. Chez l'idiot léger, le fond du caractère est l'inconstance et l'obtusion du sentiment, et la faiblesse de la volonté. Le phénomène psychique où elle se manifeste le mieux est l'attention volontaire. Il suffit de se reporter à ce que nous avons dit de celle de l'idiot et de l'imbécile pour juger du développement de la volonté dans ces deux catégories d'individus. Il est à remarquer que leur pouvoir d'inhibition est toujours inférieur, et de beaucoup, à leur pouvoir d'action. Les mobiles capables de mettre en jeu cette volonté sont très variables, suivant qu'on a affaire aux idiots et aux imbéciles, ce dont il est aisé de se rendre compte d'après la différence qu'ils présentent au point de vue moral et intellectuel. Chez l'imbécile il y a, en outre, à noter une suggestibilité et une impulsivité extrême qui le rendent par suite très dangereux, quand surtout la suggestion se fait dans le sens de ses mauvais penchants.

La conscience n'étant qu'un phénomène surajouté aux faits psychiques et ne les constituant pas, et la personnalité n'étant que la coordination, la combinaison des actes psychiques, on voit combien ces deux choses doivent être rudimentaires ou perverties chez nos deux variétés de sujets.

De la comparaison des idiots et des imbéciles il ressort, en somme, que les premiers sont des êtres incomplètement développés, et les seconds des êtres anormalement développés; que les idiots sont beaucoup moins nuisibles que les imbéciles, qui sont du reste tout aussi inutiles.

Au point de vue de la responsabilité, on ne saurait évidemment leur demander compte de leurs actes, ni leur permettre, par conséquent, de faire en aucun cas oeuvre de citoyens. Mais, au point de vue de la sauvegarde sociale, si les idiots peuvent être en liberté dans les familles, il est dangereux d'y laisser les imbéciles, dont la véritable place est dans les asiles.

Reste un mot à dire sur l'évolution psychologique des uns et des autres. Chez l'idiot, une fois le summum de développement moral et intellectuel acquis, on peut observer une assez longue période stationnaire; puis la déchéance survient et se fait en général très rapidement. Chez l'imbécile, la régression s'opère lentement, mais commence dès qu'on ne s'occupe plus de lui. Il n'y a pour ainsi dire pas d'état stationnaire, et c'est ce qui décourage de les éduquer et de les instruire que cette disparition si rapide de tout ce qu'on s'est donné tant de peine à leur inculquer, dès qu'on cesse de le leur répéter.

Sous tous les rapports, on le voit, l'idiot est préférable à l'imbécile. L'idiot est un incapable qu'il faut assister; l'imbécile est un nuisible contre lequel il faut se défendre.


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