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Psychologie morbide : idiots et imbéciles - Partie 1

Revue encyclopédique

En 1891, par Sollier P.

L'étude de l'idiotie et de l'imbécillité, qui est en Angleterre, en Amérique et en Allemagne l'objet de nombreux travaux, est au contraire singulièrement négligée en France. A part les mémoires de Dubois d'Amiens, de Félix Voisin, le chapitre d'Esquirol, dans son Traité des maladies mentales, on ne trouve guère que l'ouvrage si remarquable de Séguin sur le traitement moral et l'éducation des idiots, lequel date de 1846. Depuis cette époque un seul homme s'est occupé d'une façon suivie de la question des idiots, non plus seulement au point de vue du traitement, mais aussi sous les rapports si intéressants de l'étiologie et de l'anatomie pathologique. C'est le Dr Bourneville, médecin de la section des Enfants idiots, arriérés et épileptiques à l'hospice de Bicètre, qui a consacré tous ses efforts à la création d'un service, remarquable à tous égards, le seul du reste de ce genre en France, service dans lequel il a mis en pratique et a perfectionné encore les principes d'éducation établis et appliqués déjà par Séguin. Les seuls travaux importants sur l'idiotie sont pour ainsi dire tous sortis de son service, signés de lui ou de ses élèves. A l'étranger, les mémoires sur l'idiotie sont, au contraire, très nombreux, et il y existe plusieurs traités didactiques sur cette question de pathologie nerveuse. Mais c'est une chose assez singulière que de voir combien le côté psychique, qui cependant devrait avoir le pas dans une affection où la lésion de l'intelligence est prédominante, combien le côté psychique, dis-je, est négligé et traité d'une façon rudimentaire. C'est cette lacune que nous avons cherché à combler en publiant la Psychologie de l'Idiot et de l'Imbécile, dont nous donnons ici le résumé succinct.

Fragment d'un devoir scolaire d'idiot. (La page est coupée à droite). L'attention peu puissante est pourtant soutenue jusqu'au bout; mais elle a rapidement fatiguée le sujet, ainsi que le montre la déformation graduelle des lettresLe sujet, quelque attrayant qu'il puisse paraître pour qui veut élucider la psychologie normale, qui commence à sortir un peu des brouillards spiritualistes grâce à l'appui de la psychologie expérimentale et de la pathologie du cerveau, est, quand on y regarde de plus près, assez difficile à traiter. Et la grande raison, c'est qu'on n'a pas affaire à un groupe naturel, à une affection d'évolution régulière, quoique d'intensité diverse, mais que chaque idiot, pour ainsi dire, forme un être à part, un monstre dans l'ordre psychologique, et que ce n'est que sur un très grand nombre de ces êtres qu'on peut saisir les points caractéristiques de leur état. Qu'on tente de prendre pour décrire cette affection une méthode comparative avec des enfants normaux, ou avec certains mammifères supérieurs, on n'obtient rien, car on s'aperçoit vite que l'idiot est un individu spécial, à allures particulières, et ne ressemblant que de loin à tout ce à quoi on essaye de le comparer. Cela tient à ce que l'idiot n'est pas seulement un être arrêté dans son développement, mais encore et par-dessus tout un cerveau altéré et lésé anatomiquement.

Aussi non seulement les auteurs ne s'entendent-ils pas sur les classifications à faire des idiots et des imbéciles, mais chaque auteur en donne une définition particulière. Les uns, et c'est la majorité, prennent le langage pour base de classification; les autres, l'intelligence et le moral. Pour nous, pensant que la clef de voûte du développement intellectuel réside dans l'attention, nous distinguons trois catégories: 1° Idiotie absolue: absence complète et impossibilité de l'attention; 2° Idiotie simple : faiblesse et difficulté de l'attention; 3° Imbécillité: instabilité de l'attention.

Nous ne nous attarderons pas à rappeler ici les différentes méthodes d'analyse psychologique proposées par les auteurs. Deux plans de ce genre nous ont été laissés par Félix Voisin et par Séguin. Ce sont de très beaux cadres auxquels il ne manque que le tableau. Nous avons pensé que l'étude de l'idiotie, en suivant un ordre parallèle au développement psychologique normal serait préférable, et comme c'est la sensation qui est la première condition de la connaissance, c'est par la perception des sensations que nous commençons.

La première question qui se pose en face d'un idiot, c'est de savoir à quelle époque remonte le début. L'idiotie est beaucoup plus souvent congénitale qu'on ne le pense, et les premiers signes d'idiotie se montrent de bonne heure. Ces signes consistent dans un regard spécial incapable de se fixer nulle part, des cris sans motifs et d'une persistance quelquefois extraordinaire, l'absence de sourire, parfois de la difficulté à téter malgré la puissance de cet instinct.

Pour la sensation, il faut considérer l'organe sensoriel et l'organe sensible, le cerveau. Chez l'idiot, les deux appareils sont souvent lésés, mais plus fréquemment le cerveau que l'organe sensoriel. Il y a cécité ou surdité. Mais quelquefois elles ne sont qu'apparentes et ne tiennent qu'au défaut d'attention du sujet. La surdi-mutité est même peut-être plus rare que chez les enfants ordinaires. Les imbéciles ne présentent pas, an contraire, d'anomalies marquées des sens.

Les perversions du goût et de l'odorat sont presque constantes, et la sensibilité générale et surtout organique est extrêmement atteinte. Aussi les idiots et même les imbéciles renseignent-ils très mal lorsqu'ils tombent malades, et meurent même quelquefois sans qu'on ait pu se douter de leur maladie.

Les tics sont des plus nombreux et consistent surtout en balancements, cris, rires. Ils vont parfois jusqu'à l'automutilation. Chez les imbéciles on n'en observe pas, ou rarement.

Tout dans l'étude de la sensibilité chez ces individus montre que son état, et celui de la motilité par contre-coup, est intimement lié à celui de l'intelligence, d'où le précepte de commencer par développer la sensibilité et le mouvement pour développer l'intelligence.

Voyons maintenant l'attention, que nous avons prise pour base de classification. Chez l'idiot profond elle est réduite à sa plus simple expression, et il n'y a guère que la vue des aliments qui puisse l'attirer. Chez les idiots simples on peut rencontrer une attention spontanée capable d'être développée et transformée en attention volontaire. Sous le rapport de cette dernière on peut distinguer trois variétés de cas: ceux où elle se produit par intermittences; ceux où elle se produit facilement, mais est peu tenace; d'autres enfin où elle est devenue une habitude quand des circonstances semblables se représentent. Ces trois variétés se manifestent de deux façons: la discipline ou l'indiscipline, qui vont de pair avec le travail ou la paresse.

Fragment d'un devoir scolaire d'imbécile. L'attention est subitement dérobée et après une véritable absence s'est fixée de nouveau pour quelques instants.L'opinion de M. Ribot, que l'attention volontaire est un phénomène sociologique, une adaptation aux conditions d'une vie sociale supérieure, se confirme par l'examen des idiots et des imbéciles, et, au point de vue social, on peut dire des idiots qu'ils sont des extra-sociaux, tandis que les imbéciles sont des anti-sociaux, à cause de leur instabilité d'attention, de travail et de discipline.

La réflexion et la préoccupation, qui se rattachent à l'attention; sont nulles ou faibles chez les idiots et les imbéciles. En somme, au point de vue pratique, les imbéciles sont presque aussi difficiles à éduquer que les idiots simples: chez les idiots on arrive à déterminer un automatisme utilisable; chez les imbéciles on n'a même pas cette ressource.

Les instincts qu'on s'attendrait à trouver prédominants sont diminués comme tout le reste, et non seulement les instincts sociaux, mais même les instincts personnels. On voit, en effet, l'instinct de nutrition, le plus puissant de tous, être quelquefois si rudimentaire qu'on peut se demander s'il existe. C'est de tous celui qui survit le plus à l'effondrement de l'intelligence chez les idiots profonds. A cet instinct se rattachent la voracité, qu'on rencontre surtout chez les idiots, et la gourmandise chez les imbéciles. Le sentiment de préservation est inconnu aux idiots profonds, faible chez les autres. Il est exagéré chez l'imbécile, très soucieux de son bien-être.


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