Partie : 1 - 2 - 3 - 4

Les perversions instinctives - Partie 2

Revue des sciences psychologiques. Psychologie, psychiatrie, psychologie sociale, méthodologie...

En 1913, par Tastevin J.


II. Le Rapport de M. Dupré

Le rapport de M. Dupré débute par un historique où est attribuée à Pinel « la paternité de la notion étiologique et clinique des perversions instinctives et de l'introduction du vocable perversion dans la terminologie psychiatrique ». Pinel, dans son Traité médico-psychologique sur l'aliénation mentale parle de trois malades dominés par une sorte d'instinct de fureur pouvant provenir d'un naturel pervers et indisciplinable. Telle est selon M. Dupré « la doctrine de Pinel » où des troubles psychiques « sont rapportés à la perversion des instincts ». Il traduit donc naturel pervers par perversion des instincts, il confond perversion et perversité, et la suite de cet historique le confirme. A la rigueur cette confusion pourrait être admise conventionnellement, mais il faudrait dans ce cas que ce sens abusif de perversion fût conservé dans tout le mémoire. Or il n'en est pas ainsi et perversion y prend tantôt le sens de perversité, tantôt celui de trouble, tantôt celui d'anomalie par déviation.

L'historique contenu dans ce rapport est bien celui de la perversité. Aucun doute n'est permis à cet égard. Après Pinel, Benjamin Rusch traite de « la dépravation morale innée ». Grohmann « établit un judicieux parallèle entre l'idiotie morale, l'idiotie intellectuelle et l'idiotie volontaire », Georgel parle de perversion morale et de perversité native, Esquirol d'individus faisant le mal par méchanceté, Morel d'instincts dépravés et cruels, Trélat de mauvaises actions, Marcé de perversité, Falret d'instincts pervers, de sentiments dépravés et d'absence complète de sens moral, Despine de la perversité, Maudsley de penchants pervers, etc.

« L'étude de ces textes, ajoute l'auteur, démontre donc que, grâce à une documentation de plus en plus riche et une critique de plus en plus rigoureuse, la notion des perversions instinctives se dégage avec une netteté croissante... » Plus loin, dans cet historique, il est question des « pervers instinctifs », de leur délinquance, de leur criminalité. Plus loin enfin, les criminels passionnels, « déséquilibrés émotifs et impulsifs », sont considérés comme exempts de perversions instinctives. Sans doute parce qu'ils sont exempts de perversité. Leur crime n'est-il pas cependant la manifestation d'une perversion (trouble) de tendances instinctives?

Le chapitre suivant définit et classe les perversions instinctives. Elles sont définies: « les anomalies des tendances de l'individu, considéré dans son activité morale et sociale ». Au chapitre précédent, elles étaient identifiées avec la perversité; ici, elles sont les anomalies des tendances de l'activité sociale, l'activité morale rentrant en somme dans cette dernière. La contradiction est manifeste. Le criminel passionnel, qu'on nous disait être exempt de perversions instinctives, en aurait au contraire d'après cette définition qui s'applique à son acte exactement. La pitié, la susceptibilité, l'ambition, dans leurs degrés excessifs, sont bien aussi des anomalies constitutionnelles de l'individu considéré dans son activité sociale; elles n'entrent cependant pas dans la perversité.

Cette deuxième acception de perversions instinctives est d'ordre social. Or perversion va prendre maintenant le sens d'anomalie; instinctif est défini d'une manière assez intelligible mais il semble bien qu'il signifie automatique, involontaire. Les deux mots qui composent le terme de perversions instinctives ayant, chacun un sens défini, l'ensemble devrait avoir l'acception qui en résulte: celle d'anomalies des tendances automatiques ou anomalies des inclinations. Comment perversions instinctives aurait-il alors un sens social?

Mais ce n'est pas tout; maintenant les perversions instinctives sont classées en 1° perversions de l'instinct de conservation; 2° perversions de l'instinct de reproduction; 3° perversions de l'instinct d'association. Et l'on nous dit à la page suivante que c'est par ces trois instincts que se manifeste l'activité biologique et morale de l'homme; que « ce sont là les grands instincts primitifs; et que c'est en ce sens général et profond qu'il faut entendre le mot instinct, lorsqu'on parle de perversions instinctives ». Ce dernier terme a donc de nouveau changé d'acception; il a pris maintenant un sens très général un sens qui n'est plus d'ordre sociologique, il embrasse les perversions de toutes les tendances. C'est ce sens qui va dominer dans l'étude clinique; le sens de perversité et le sens social n'y feront que de courtes apparitions. Mais dans les conclusions perversions instinctives reprendra l'acception de perversité.

Les perversions de l'instinct de conservation sont divisées en:

1° Perversions de l'appétit, comprenant la voracité, l'anorexie, la polydipsie, l'adipsie, la coprophagie, la gourmandise, l'ivrognerie, la morphinomanie, la cocaïnomanie, etc.

2° Perversions de l'instinct de propriété, comprenant la prodigalité, le collectionnisme, l'avarice, les vols, les escroqueries, la passion du jeu.

3° Perversions du sentiment de la personnalité, comprenant la tendance au suicide, la timidité, la vanité.

Les perversions de l'instinct de reproduction comprennent l'érotisme, la frigidité, l'onanisme, l'inversion sexuelle, la bestialité, le sadisme, le masochisme, le fétichisme, l'exhibitionnisme; les perversions de l'instinct maternel et du sentiment filial.

Les perversions de l'instinct d'association comprennent la zoophilie, la méchanceté, la cruauté, la malignité (empoisonnements, incendie, mystification), l'instinct de destructivité, l'instinct d'opposition (indocilité des enfants, esprit de contradiction des adultes, entêtement, négativisme des déments précoces, indocilité observée dans le dressage de certains animaux).

Tels sont les éléments de l'étude clinique des perversions instinctives; nous y reviendrons plus loin. Dans le chapitre suivant: associations pathologiques, perversions instinctives reprend le sens de perversité; de même dans le chapitre: Odyssée du pervers, où l'individu atteint de perversions instinctives est dépeint comme « un fléau de famille, d'école, d'atelier », comme « un agent de corruption, d'indiscipline, de révolte et d'active contagion du vice. » Enfin vient un chapitre d'étiologie et d'anatomie pathologique, puis des conclusions thérapeutiques et médico-légales où il n'est plus question que de perversité et de pervers.

Quelque sens que l'on donne à perversions instinctives, c'est toujours d'actes qu'il est question. Dans tout acte il y a deux parties: la première se déroule dans l'individu, elle est psycho-physiologique et aboutit à des contractions de muscles, à des mouvements; la deuxième, objective et sociale, comprend ces mouvements ainsi que leur effet sur le monde extérieur. Dans un acte pathologique c'est évidemment la première partie qui contient le trouble; c'est donc elle surtout qui importe, du point de vue médical.

Un acte d'exhibitionnisme, par exemple, comprend le fait objectif de l'étalage public des parties génitales, les circonstances sociales de cette exhibition. Si l'on n'aborde pas la partie psychologique, subjective de l'acte, on ne sort pas du domaine du fait-divers; on ne fait pas œuvre médicale. La tâche importante du médecin est de pénétrer dans l'organisme troublé, et d'y rechercher la lésion. Un acte de cruauté, un vol, le mensonge habituel, prêtent aux mêmes considérations. Cruauté, vol, mensonge sont des faits sociaux; borner son étude à ces faits, en faire des éléments de classification, c'est peut-être faire de la sociologie, ce n'est point faire de la science médicale.

Dans le rapport de M. Dupré cette partie sociologique domine. Quant à la partie psycho-physiologique, elle y est traitée à l'aide d'une méthode dont le moins qu'on en puisse dire est qu'elle est d'une facilité surprenante. M. Dupré part d'un caractère social de l'acte morbide, il imagine un instinct pathologique présidant à ce caractère et lui attribue l'acte; ou bien encore l'instinct imaginé est normal, il lui suppose un trouble, une perversion, puis il en fait dériver l'acte pathologique. Ainsi, la cause de la tendance à détruire, à briser, devient l'instinct de « destructivité », celle du vol pathologique, un développement excessif de l'instinct de propriété, celle de l'avarice, un trouble portant sur l'instinct d'épargne, etc.


Partie : 1 - 2 - 3 - 4

Utilisation des cookies

carnets2psycho souhaite utiliser des cookies.

Vous pourrez à tout moment modifier votre choix en cliquant sur Gestion des cookies en bas de chaque page.