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L'évolution de la pudeur - Partie 4

L'humanité nouvelle : revue internationale : science, lettres et arts

En 1899, par Havelock Ellis H.

Vaitz, suivi par Schurtz et Letourneau, ont insisté sur ce point que la jalousie des maris a été la cause primitive de l'origine du vêtement et indirectement de la pudeur. On sait que chez plusieurs peuples sauvages les femmes mariées sont souvent les seules qui soient plus ou moins vêtues et que les femmes non mariées, quoique arrivées à la puberté, sont absolument nues. Dans plusieurs parties du monde, ainsi que l'ont fait remarquer Mantegazza et d'autres, où l'homme est nu et la femme plus ou moins vêtue, le vêtement est regardé comme une sorte de disgrâce et c'est avec beaucoup de difficulté que les hommes peuvent être persuadés d'en porter. Avant le mariage une femme est souvent libre, elle va nue et n'est pas tenue de rester chaste. Dans l'esprit du mari le vêtement semble être, illogiquement mais naturellement, un moyen moral et physique de protection contre toute attaque à sa propriété.

C'est ainsi que fut fourni un moyen nouveau, mais artificiel, de taire objection à la nudité de la femme. Comme la conception du droit de propriété s'étendait également au droit du père sur ses filles et que l'appréciation de la valeur de la chasteté féminine se développait chez l'homme, l'objection de la nudité s'étendit de la femme mariée à la femme non mariée. L'étude des degrés de barbarie par lesquels a passé l'humanité, nous permet de dire que ce motif constitue probablement le principal élément de l'émotion si complexe de pudeur.

Ce facteur économique entraîne nécessairement l'introduction d'un nouvel élément moral, dans l'étude de la pudeur. Si la chasteté d'une femme est la propriété d'une autre personne, il est essentiel qu'une femme soit pudique, de façon que les hommes ne soient pas tentés d'encourir les pénalités qu'entraîne toute infraction aux droits de propriété. C'est ainsi que la pudeur est strictement inculquée aux femmes, de façon que les hommes puissent être sauvegardés de tentation.

L'impudicité étant sur ce terrain désapprouvé par les hommes, il en résulte qu'un nouveau motif de pudeur est fourni aux femmes. Dans le livre que le chevalier de la Tour Landry écrivit au XIVème siècle pour l'instruction de ses filles, ce facteur de pudeur y est naïvement révélé. Il raconte à ses filles les ennuis qu'eut le pauvre roi David, par suite de l'inadvertance de Bethsabée et leur dit que toute femme doit religieusement se cacher pour se laver et s'habiller et ne doit pas, soit par vanité, ou pour attirer l'attention, montrer ses cheveux, son cou, sa poitrine ou toute autre partie du corps qui doit être couverte.

Hinton, étudiant plus intimement la question, va plus loin que les autres écrivains sur ce sujet: il prétend que la pudeur corporelle est une coutume imposée aux femmes par les hommes dans le but de préserver leur propre vertu. Mais ce motif est loin d'être la seule source de la pudeur; il doit être rappelé seulement comme un résultat inévitable du facteur économique précité.

Le nouveau trait principal, c'est à peine un nouvel élément, à ajouter à l'étude de la pudeur, quand une civilisation plus avancée émerge doucement de l'état barbare, est l'élaboration de sa réglementation sociale. La civilisation exagère le rôle de la pudeur, la met plus en évidence et la rend plus changeable.

Le XVIIème siècle en France et le XVIIIème en Angleterre représentent la période d'éclosion, pour ainsi dire, de la civilisation européenne moderne et tous deux donnèrent une attention spéciale à l'élaboration des détails minutieux réglementant la pudeur.

Les habituées de l'hôtel Rambouillet, les précieuses satirisées par Molière, n'étaient pas seulement occupées à raffiner le langage, mais aussi les sentiments, les idées et élargissaient les frontières de la pudeur.

En Angleterre, des auteurs comme Swift et Sterne donne la preuve d'une nouvelle ardeur pour la réglementation de la pudeur par le ton maniéré, plein de réticences, de déconcertements, d'exagération du sentiment de décence que l'on trouve dans tous leurs livres.

Cette nouvelle littérature, immodérée par son ton affecté et peu naturel dont les ouvrages de Sterne sont encore l'exemple classique, pouvait seulement se produire à cette époque comme une conséquence des nouvelles idées sur la pudeur, qui envahissaient alors la société et la littérature. Les personnes inoccupées et en majorité les femmes de salons, gens qui, pour la plupart, étaient plus familiers avec les livres qu'avec les réalités de la vie, posèrent les règles de la pudeur et les compliquèrent à l'extrême, inventant toujours de nouvelles subtilités de geste et de parole qu'il devait être impudique de négliger et qui furent vulgarisées par l'habitude.

Mais ce serait une erreur de supposer que cette exagération d'idées ait produit l'intensification de la pudeur. C'en est, au contraire, une atténuation.

L'observance des rites de la pudeur devint simplement une partie du code compliqué de l'étiquette sociale, mais une partie rigoureusement réglementée en raison de l'idée persistante bien que vague que la pudeur avait une base naturelle et innée. La pudeur parvint ainsi à posséder la puissance d'une tradition et à en avoir la vague mais massive force, pesant avec un pouvoir spécial sur ceux qui ne raisonnent pas. Elle s'est principalement fondue avec l'émotion de décence qui lui est alliée et qui a été décrite comme de la pudeur transformée en habitudes sociales. Mais les sentiments de décence et de pudeur sont mimés et résistent plus difficilement que dans leur état primitif alors qu'ils étaient moins raffinés.

La mode, dans les contrées les plus civilisées, peut facilement annihiler l'idée de pudeur anatomique et autoriser l'exhibition ou l'accentuation, à tour de rôle, de presque toutes les parties du corps. Mais les Indiennes sauvages de l'Amérique et les femmes à l'état barbare de plusieurs contrées mahométanes peuvent à peine enfreindre les règles de la pudeur pendant les douleurs de l'accouchement. Il en est de même parmi certaines races civilisées, même quand la partie du corps qu'on est convenu de considérer comme centre de pudeur est arbitraire, excentrique, absurde, la réglementation n'en reste pas moins rigide.

Dans les Philippines le nombril est le centre de pudeur et ne doit jamais être découvert; en Chine il n'est pas convenable de parler du pied et dans les peintures décentes il est toujours couvert par les vêtements; les femmes sont méprisées si elles laissent voir leurs jambes du genou au pied par les hommes.

En des contrées sauvages et barbares de ce genre, la pudeur possède la force d'un instinct véritable et irrésistible. Dans les contrées civilisées, quiconque place les considérations de pudeur avant le droit à la satisfaction des besoins humains réels, excite le ridicule et la moquerie.

Il est cependant impossible de contempler ces séries de phénomènes, si radicalement persistants malgré leurs changements de forme, et si constants à travers tous les degrés de civilisation, sans ressentir que, bien que la pudeur ne puisse être considérée comme un instinct, elle doit néanmoins avoir une base physiologique.

Cette base est incontestablement formée par le mécanisme vasomoteur dont le signe le plus évident dans l'espèce humaine est la rougeur. En outre des formes d'émotion de la peur qui lui sont alliées comme la timidité, la honte, etc., et qui sont plus ou moins soutenues par ce mécanisme, dans le cas spécial dont nous nous occupons, on peut dire que la rougeur est la sanction de la pudeur.


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