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Le sens du toucher et le sens du magnétisme - Partie 2

Revue scientifique

En 1884, par Ochorowicz J.

Les sensations du chaud et du froid ne sont qu'une subdivision du tact, n'étant perçues que par les mêmes nerfs et par les mêmes pupilles que les attouchements de toutes sortes.

La perception de la chaleur par la vue, qui paraît si mystérieuse à notre auteur, n'a pas non plus besoin d'être expliquée par l'admission d'un sens spécial, pour cette simple raison qu'elle n'existe pas.

Si nous éprouvons l'illusion de percevoir la chaleur d'une barre de fer, chauffée au rouge, c'est parce que l'habitude a créé une association inséparable (d'après l'expression exacte de John Stuart Mill), entre l'image visuelle du fer chauffe et la sensation tactile de chaleur.

A moins qu'on ne découvre des nerfs thermiques avec leurs terminaisons spéciales, il n'y a donc pas de raison suffisante pour créer un sens à part, tout en reconnaissant le caractère indubitablement original de cette classe des sensations tactiles.

Et comme dans d'autres groupes des sensations, à savoir dans les sixième et septième, qui cependant sont encore plus distincts anatomiquement que le sens thermique de sir W. Thomson, ou va retrouver la même difficulté et la même incertitude, n'est-il pas préférable de ne pas se tourmenter du tout de la question des « sens » et, au lieu de perdre son temps à discuter s'il y a un sens thermique, un sens génésique et un sens musculaire, n'est-il pas préférable, dis-je, de se borner tout simplement à une clasification nette des sensations?

On n'y perdra rien et on évitera des disputes inutiles, ce qui vaut déjà quelque chose.

Passons au sixième sens.

Si le cinquième ne fut qu'une abstraction d'un certain groupe des sensations tactiles, celui-ci est au contraire une combinaison des sensations tactiles et musculaires.

L'honorable physicien le nomme : « sens de force ».

De quelle force? Est-ce d'une force extérieure ou de notre force à nous?

Dans ce dernier cas ce serait le sens musculaire de quelques physiologistes, pris dans ces attributs les plus intimes, comme la faculté de percevoir et de mesurer notre énergie musculaire. Ce serait une thèse soutenable, quoique destinée a rester indécise quant à la dénomination d'un « sens » à part.

Mais telle n'est pas l'idée de l'auteur. Les exemples qu'il cite se rapportent exclusivement à des stimulants mécaniques extérieurs. C'est donc tout simplement le toucher pris dans son sens ancien, c'est-à-dire mêlé à des sensations musculaire, moins le « sens de chaleur ».

« Le sens du toucher, séparé du sens de la chaleur, est toujours le même; c'est un sens de force. »

Voyons s'il est réellement toujours le même, et s'il peut, sans inconvénient, être nommé sens de force.

Quelles sont ses attributions?

Il nous révèle « la dureté ou la mollesse ». Mais « dureté et mollesse » veut dire : « une force extérieure à moi », la direction est l'application de cette force ».

Exemples:

« J'appuie ma main sur cette table. »

« En marchant dans l'obscurité je rencontre un obstacle et j'éprouve une résistance, qui me révèle une force extérieure à moi. »

« Je prends un morceau de sucre entre le pouce et l'index, puis un morceau de verre poli, et j'éprouve immédiatement une différence de sensation. » Ce sont là les fonctions du « sens de dureté et de mollesse » qu'on nomme d'ordinaire « sens du tact », mais que l'auteur préfère appeler : « sens de force ». C'est encore le même sens que d'autres ont nommé « musculaire ».

Il y a là une confusion.

En séparant le sens musculaire du toucher, on a voulu exprimer une distinction nette en théorie et quelquefois même en pratique. Chez certains malades, les sensations musculaires peuvent être supprimées, tandis que les sensations du toucher persistent. Le malade sent les attouchements, mais il ne perçoit pas ses propres mouvements. Plongé dans un bain, il sent l'humidité et la température de l'eau; mais cette eau ne lui présente pas de résistance au mouvement. En prenant un objet entre ses mains, il distingue bien l'attouchement des surfaces, la configuration de l'objet; mais il n'est pas en état d'ajuster l'effort musculaire de ses propres muscles au poids de l'objet, car la perception exacte du poids lui fait défaut; il presse donc trop l'objet et l'écrase, ou bien le tient à peine et le laisse tomber. Étant couché dans un lit, il sait bien qu'il touche le lit, mais il ne sait pas quelle est la position qu'occupent ses membres, quel est l'état de contraction de ses muscles.

Voilà la vraie signification du mot sens musculaire. Peu importe s'il est un « sens » on non; ce qui est certain, c'est que cette catégorie des sensations doit être considérée à part.

Si dans les exemples cités par Sir W. Thomson elles sont étroitement mêlées à des sensations tactiles, il n'en est pas toujours de même. Mon honorable compatriote et maître, le docteur Zzokalski, avait démontré déjà en 1855 toute l'importance des sensations musculaires pour les perceptions visuelles. Il n'est pas une seule perception optique qui ne soit due en partie à des sensations musculaires des muscles de l'œil, et une analyse un peu approfondie démontre que, sans le secours de ces sensations, l'œil serait un instrument d'une importance tout à fait insignifiante.

Le sens musculaire peut donc être associé au premier groupe et séparé du cinquième.

En somme, il y a des raisons plus que suffisantes pour en faire une division à part.

Il n'en est pas de meure pour le groupe mixte de Sir W. Thomson.

Étant mixte, est-il au moins complet? Peut-on dire que toutes les sensations tactiles qui n'appartiennent pas au sens thermique entrent dans la catégorie de dureté?

Je ne le crois pas.

A l'aide du tact — dans le sens large du mot, c'est-à-dire avec le concours des sensations musculaires — nous percevons non seulement la dureté ou la mollesse, mais aussi la pression, la forme, l'étendue, la distance (esthésiomètre de Weber), le volume, le poids, mais aussi la sécheresse ou l'humidité; nous distinguons l'attouchement d'un acide de l'attouchement d'une huile ou d'une colle. Sont-ce là des sensations de dureté ou de mollesse tout simplement? Un corps mou ou dur ne peut-il être, par exemple, sec ou humide en même temps?

M. Bain a dit, il est vrai, que « la sensation de l'humidité ne semble pas être autre chose qu'une sensation de froid ». Et alors, elle appartiendrait au sens thermique de Sir W. Thomson. Mais cette réduction ne me parait pas juste. En touchant ma propre langue, je sens bien l'humidité, mais je ne sens nullement le froid.

Enfin mollesse et dureté ne peuvent être perçues que par un mouvement de notre part ou de la part de l'objet, tandis qu'il y a des sensations tactiles et non thermiques, indépendantes des objets et du mouvement. Ce sont surtout les différentes douleurs de la peau, démangeaisons, chatouillements, etc. , toute une catégorie des sensations que M. H. Spencer appelle entopériphériques. Il est possible de les classer parmi le sensations tactiles, mais il serait difficile de les appeler « sensations de dureté ou de mollesse ».

Et, si le mot « dureté et mollesse » ne dit pas assez pour embrasser toutes les sensations tactiles, le mot « sens de force » en dit de trop. L'auteur ne fait-il pas remarquer lui-même que « tous les sens se rattachent à la force »? Ce qui est juste cependant et ce qui importe au point de vue psychologique, c'est que, dans la plupart de sensations tactiles. il y a toujours au fond une résistance, un obstacle, une pression, qui fait naître en nous l'idée d’extériorité, de la matière, des corps, tandis que les sensations musculaires nous ont donné l'idée de force latente, de force active et du mouvement.

En somme, je ne vois pas de raisons suffisantes pour adopter les nouvelles classifications de l'illustre physicien, en augmentant le nombre des sens. Ce n'est pas d'ailleurs la première fois que ce débat surgit en psychologie, et mes arguments ne sont pas neufs non plus.

Voici en quels termes la question des sens nouveaux a été exposée par l'auteur des Rapports du physique et du moral, il y a près d'un siècle:

« D'après la distinction entre les impressions reçues par les sens externes, celles qui sont propres aux organes intérieurs, et celles dont la cause agit directement dans le sein de l'organe sensitif, on pourrait se demander, avec quelque raison, si la division actuelle des sens est complète et s'il n'y en a véritablement pas plus de cinq. Assurément les impressions qui se rapportent aux organes de la génération, par exemple, diffèrent autant de celles du goût, et celles qui tiennent aux opérations de l'estomac diffèrent autant de celles de l'ouïe, que celles qui sont propres à l'ouïe et au goût diffèrent de celles de la vue et de l'odorat: rien n'est plus certain. Les déterminations produites par l'action directe de différentes causes sur les centres nerveux eux-mêmes ont aussi des caractères bien particuliers, et les idées ou les penchants qui résultent de ces différents ordres d'impressions se ressentent nécessairement de leur origine. Cependant, comme il paraît impossible encore de les circonscrire avec assez de précision, c’est-à-dire de ramener chaque produit à son instrument, chaque résultat à ces données, une analyse sévère rejette, comme prématurées, les nouvelles divisions, qui viennent s'offrir elles-mêmes, et le sens du toucher étant un sens général qui répond à tout, peut-être seront-elles toujours regardées comme inutiles. »

Depuis le temps de Cabanis, ces divisions-là sont, au contraire, devenues nécessaires. L'analyse psychologique, démontrant l'importance capitale des sensations internes, nous a obligé en même temps à distinguer non seulement celles qui se rapportent aux organes de la génération et celles « qui tiennent aux opérations de l'estomac », mais aussi les sensations musculaires, les sensations de la respiration, de la circulation et des nerfs. Seulement, ce sont là des divisions de sensations et non des sens nouveaux.

Et maintenant, revenant au sens magnétique et admettant d'avance une action perceptible de l'aimant, peut-on en faire un sens à part?

Il faudrait pour cela: 1° établir que les sensations provoquées par le magnétisme sont de nature différente de celles de onze groupes cités; 2° leur trouver des organes. Le second point évidemment fait défaut. Nous allons examiner le premier.

Mais est-ce que jusqu'à présent toutes les expériences sont restées négatives?

Heureusement, il n'en est rien. Sans parler de Reichenbach, qui se servait d'une méthode peu scientifique, en négligeant l'influence psychologique de l'imagination; l'action physiologique de l'aimant a été observée déjà en 1779 par Andry et Thouret, commissaires de la Société de médecine de Paris, « chargés d'en constater l'efficacité », et dans le siècle présent par Becker (1829). Bulmering (1835), Lippic (1846), et surtout par Maggiorani (1869-1880). Aujourd'hui cette action n'est plus douteuse pour MM. Charcot, Schiff, Vogt, Benedict, Vigouroux, Debove, Proust, Ballet et une foule d'autres.

Depuis quelques années, je poursuivis de ma part les recherches sur ce sujet, en étudiant non seulement les névropathes, mais aussi les personnes bien portantes. En somme, j'ai essayé environ 700 personnes, parmi lesquelles 236 ont été sensibles à l'aimant.

Il est évident que si l'on s'image que l'aimant doit agir sur tout le monde, comme la chaleur ou l’électricité, et qu'on essaie une seule ou quelques personnes seulement, on risque d'arriver au même résultat « merveilleux » que Lord Lindsay ou M. Varley, puisque ce n'est que la troisième partie de l'humanité qui peut être influencée par le magnétisme.

Mais peut-être en augmentant la puissance des électro-aimants, pourrait-on influencer tout le monde?


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