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Le sens du toucher et le sens du magnétisme - Partie 1

Revue scientifique

En 1884, par Ochorowicz J.

Quand un homme de génie dépasse le terrain de ses études habituelles, il peut s'opposer à des objections de la part des spécialistes; mais la science y gagne toujours quelque chose, parce que, en abordant un sujet nouveau pour lui, il y apporte une lumière nouvelle pour eux, et que, d'ordinaire, il donne à la question une tournure à la fois originelle et nette.
C'est, il me semble, le cas de l'éminent physicien anglais, Sir William Thomson, traitant la question psycho-physiologique des sens de l'homme.
Il y aurait dans son remarquable discours prononcé à Birmingham et reproduit dans un des derniers numéro de la Revue scientifique, plus d'un point à relever. Je me bornerai cependant à en examiner un seul — très compliqué, il est vrai — celui des sens nouveaux.
Aux cinq sens, nombre fixé par Aristote, Sir William Thomson en ajoute un sixième et suppose la possibilité d'un septième.

Commençons par ce dernier. Son nom: sens magnétique.
L'honorable savant pose la question de son existence avec toutes les réserves scientifiques que comporte un sujet aussi délicat. « Peut-être existe-t-il; mais, jusqu'à présent, ni les faits ni les observations n'en ont démontré l'existence. » N'existe t-il pas? Ce serait toutefois une absence faite pour étonner, vu l'action indubitable qu'un fort aimant exerce sur plusieurs corps diamagnétiques. Lord Linsay et M. Cromwell Varley ont essayé l'influence de l'aimantation en introduisant la tête d'un homme dans les pôles d'un électro-aimant puissant. Eh bien, « le résultat de l'expérience fut vraiment merveilleux: il n'y avait aucun effet perceptible... »
C'est dans cette plaisanterie de l'éminent physicien que je vois précisément le trait positif et sérieux de la question.
On s'est efforcé, dans ces derniers temps, et surtout en Angleterre, de ridiculiser les assertions de quelques savants, qui ont cru devoir admettre une action physiologique de l'aimant. On a trouvé « évident » qu'un agent aussi éloigné par sa nature de tout ce que nous connaissons de la nature des fonctions vitales ne peut exercer sur elles aucune influence réelle. On a taxé de prétendues merveilles les phénomènes cités pour soutenir l'opinion opposée.

Le bon mot de Sir William Thomsom est venu juste à temps pour renouveler la question: ce qui est surprenant et merveilleux, ce n'est plus l'influence supposée, ce serait, au contraire, l'inaction.
Le résultat négatif ne lui paraît donc pas trancher définitivement le débat. « L'expérience devra être répétée, et il conviendra d'examiner si vraiment un électro-aimant d'une grande puissance ne produit aucun effet perceptible sur l'animal ou sur la plante... Il est possible qu'il y ait un sens magnétique et qu'un courant magnétique d'une très grande intensité produise une sensation tout à fait différente de la chaleur, de la force ou de toute autre sensation... En tout cas, le fait mérite des recherches approfondies. »
Ayant étudié depuis plusieurs années, d'une part la question des sens et de l'autre celle de l'action du magnétisme, je profiterai de l'occasion pour exposer brièvement les principaux résultats de mes recherches, en examinant les idées de l'illustre orateur de Midland Institut.

La supposition de Sir William Thomson contient, en réalité, trois points différents qu'il aurait fallu traiter à part:
1° Y a-t-il un sens particulier pour les sensations magnétiques, différentes de celles qui sont connues jusqu'à présent?
2° Y a-t-il une action quelconque du magnétisme sur l'économie animale ou végétale?
3° En supposant cette action démontrée, est-elle réellement de nature magnétique ou d'une autre plus ou moins inconnue?

Je crois pouvoir nier la première question, affirmer la seconde et indiquer quelques probabilités par rapport à la troisième.
Je sépare l'action de la sensation, parce que j'ai rencontré des personnes chez lesquelles l'action devient manifeste, sans qu'elles s'en doutent, alors que j'en ai vu plusieurs autres qui ont cru avoir des sensations, tandis qu'aucun phénomène de l'action objective n'a pu être constaté.
Quant à la troisième restriction, nous verrons qu'elle est sollicitée par des raisons autrement positives.

Examinons le premier point.
Les six sens de sir William Thomson sont : « à la vue, le goût, l'ouïe, l'odorat, la notion de la chaleur et la notion de la force. »
Je n'attaquerai pas l'inexactitude de l'expression dans ce passage: une notion ne peut pas être citée parmi les sens; et s'il ne s'agissait que d'une notion, il n’y aurait pas de quoi discuter. Mais ce n'est évidemment qu'un lapsus linguw ou lapsus calami, car l'auteur parle en plusieurs endroits expressément d'un sens de chaleur et d'un sens de force.
C'est le cinquième sens de la classification ordinaire, celui du toucher, qui a été divisé en deux pour former le cinquième: « sens de chaleur » et le sixième: « sens de force ».
Laissant pour le moment de côté le septième, celui du magnétisme, comme problématique, c'est à ces « six portes » ou plutôt six fenêtres de notre âme que se réduisent, d'après l'auteur, nos moyens de communication avec le monde extérieur.
L'innovation du sens thermique parait juste au premier abord. Si les vibrations acoustiques, optiques et chimiques ont leurs sens spéciaux, pourquoi n'en serait-il pas de même pour les mouvements qui provoquent la sensation de chaleur? La chaleur n'a-t-elle pas parmi nos perceptions un rôle assez important pour qu'on lui accorde l'honneur de cette distinction? Certainement. Seulement la question n'est pas là. A ce point de vue, il aurait fallu créer des sens spéciaux pour la pesanteur et pour l'électricité, qui ne sont ni moins importantes, ni moins distinctes, comme forces et comme sensations.

Pourquoi ne l’a-t-on pas fait?
Parce que qui dit sens dit organe, et que, pour pouvoir parler d'un sens de chaleur, de pesanteur ou d'électricité, il faudrait avoir des organes (des nerfs avec leurs terminaisons spécifiques) destinés spécialement à percevoir ces sensations-la. Il en est ainsi pour la vue, l'ouïe, le goût, l'odorat et le toucher; mais il n'en est pas de même pour la pesanteur, la chaleur, l'électricité et le magnétisme. Voila pourquoi on ne les a pas distingués en physiologie.
Mais alors, où placer les sensations, plus ou moins différentes, émanant de ces forces? (Nous supposons, avant d'en avoir l'ait la preuve, que le magnétisme, lui aussi, provoque des sensations.)

C'est à cette question pratique que se réduit réellement le problème.
Les cinq sens de la classification ordinaire, de même que les six sens de notre savant auteur, n'épuisent nullement le cadre de nos sensations, ne constituent pas une énumération complète des sources de notre savoir objectif et subjectif.

Voici la classification des sensations que j'ai adoptée dans mes leçons de psychologie à l'Université de Lemberg (1876-1882) et qui résume, ce me semble, l'état actuel de la science:

A. — Sensations externes. (Projetées en dehors de l'organisme.)
l. Sensations optiques.
2. Sensations acoustiques.
3. Sensations de l'odorat.
4. Sensations du goût.
5. Sensations du tact.

B. — Sensations extéro-internes. (C'est-à-dire projetées en partie en dehors et en partie en dedans.)
6. Sensations génésiques.
7. Sensations musculaires.

C. - Sensations internes. (Projetées en dedans de notre corps.)
8. Sensations de la digestion.
9. Sensations de la respiration.
10. Sensations de la circulation.
11. Sensations nerveuses.

(A vrai dire, toutes les sensations sont nerveuses; mais cela n'empêche pas qu'il y ait des sensations qui ont leurs points de départ dans les nerfs eux-mêmes, et dans les nerfs seulement, et qui ne sont pas projetées dans aucun autre système de fonctions. Il s'ensuit que ce groupe contiendra des sensations de plus en plus difficiles à localiser, de plus en plus vagues.)
Cette classification me paraît à la fois distincte et suffisante. Distincte, parce qu'il est impossible de confondre l'un de ces groupes avec un autre; suffisante, parce qu'il n'y a pas une seule sensation qui ne puisse se ranger dans les divisions indiquées.
Seulement, pour parer à toutes les difficultés de classification, il faut bien se représenter d'emblée et clairement un résultat important de l'analyse psychologique. Ce résultat, le voici:

Il n'y a pas en réalité des impressions simples. Celles que nous considérons comme telles ne le sont qu'en théorie, elles ne sont que moins compliquées par rapport à celles dont la complexité est manifeste. La grande majorité appartient à ces dernières. C'est pourquoi le plus souvent nous aurons affaire à des sensations, qui, par leurs parties constituantes, entrent a la fois dans plusieurs divisions. Et nous en aurons d'autres qui, sans perdre leur caractère spécifique, accompagneront inséparablement plusieurs autres sensations spécifiques, ou enfin pourront elles-mêmes se réduire à de simples sensations nerveuses, voisines de l'hallucination, c'est-a-dire passer d'un groupe à un autre. Mais ceci n'est possible que pour le dernier groupe, pour le groupe des sensations, pour la plupart rudimentaires. Autrement la classification ne serait pas bonne, et, sans cette restriction, elle ne serait pas naturelle.


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