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L'individualité et les formes du mariage - Partie 1

Annales de l'Institut international de sociologie

En 1896, par Abrikossof N.

Pendant ces dix dernières années, on a beaucoup écrit sur le mariage. Les ethnographes ont rassemblé, sur ce sujet, de nombreux et précieux matériaux; ils ont fait bon nombre d'observations impartiales, d'un caractère purement scientifique, sur les peuples contemporains placés aux différents degrés de la civilisation ; ils ont découvert nombre d'indices et de monuments historiques et même préhistoriques. Les anthropologistes et les sociologues ont employé tous leurs efforts pour se reconnaître au milieu de cette masse de matériaux, classer les faits recueillis, faire des généralisations aussi scientifiques que possible, en induire des lois et édifier des théories.

Les uns se sont contentés de retracer l'histoire du mariage dans l'humanité; d'autres ont essayé d'en rechercher l'origine et d'en suivre l'évolution, en prenant l'animal pour point de départ.

Tous ces travaux ont une importance telle pour la Sociologie que j'ai le droit de les supposer plus ou moins connus, surtout les principaux : aussi dans cette courte notice, me bornerai-je uniquement à indiquer les conclusions que l'on peut en tirer. Je laisserai également de côté des questions aussi litigieuses, par exemple, que l'ordre dans lequel la famille s'est développée historiquement, c'est-à-dire la question de savoir si c'est la famille qui a existé la première et a donné naissance à la race, à la tribu, etc., ou si, au contraire, c'est la famille qui s'est détachée de groupes plus étendus. Je n'essaierai pas non plus de résoudre si, parti de la promiscuité, le mariage a évolué à travers la polyandrie et la polygamie pour arriver à la monogamie, ou si c'est au contraire la monogamie qui a été la première forme du mariage. J'arriverai directement à la conclusion qu'a tirée l'auteur d'un grand ouvrage traitant de cette question, ouvrage des plus répandus, fréquemment cité pour les motifs les plus divers, qui a valu à son auteur une grande notoriété et qui, par la date de son apparition, appartient aux monographies les plus récentes sur ce sujet. Je veux parler du livre intitulé : « The History of Human Marriage », par M. Edward Westermarck.

Voici la conclusion à laquelle arrive cet auteur qui a passé en revue les immenses matériaux rassemblés par ses prédécesseurs : « Marriage has thus been subiject to évolution in various ways, though the course of evolution has not been always the same » (p. 549).

Après cela, que reste-t-il en réalité de l'évolution du mariage, quand elle se fait d'une façon si variée et si diverse qu'il est même inutile de parler d'une loi quelconque ayant présidé à cette évolution? M. Westermarck considère l'extension des droits de la femme comme la tendance dominante de la marche de cette évolution. Il serait difficile de noter cette tendance quand il s'agit du mariage naturel; si elle existe, ce ne peut être évidemment que dans le domaine du mariage légal.

Il suffit de soumettre à un examen critique les matériaux scientifiques recueillis pour arriver à la conclusion que, dans l'histoire du mariage naturel de l'homme, on n'observe aucune trace d'évolution, dans le sens du développement de lois déterminées. Pour le moment, on peut dire que tous les efforts qu'on a faits pour trouver une loi du développement du mariage n'ont pas encore abouti. Ceux-là ont peut-être raison qui affirment qu'on ne saurait transporter la doctrine de l'évolution dans le domaine de l'étude des faits qui ne se prêtent à aucun calcul et à aucune mensuration. Tout ce que nous savons jusqu'à présent de l'évolution du mariage, c'est qu'il y a eu et que l'on rencontre jusqu'à présent des formes diverses de mariage; on a appris également quelles sont ces formes. A-t-on découvert tontes celles qui existent et surtout toutes celles qui ont existé, c'est encore là une question à résoudre. Quant aux lois qui régissent cette évolution, les savants n'ont encore pu en formuler aucune, fait que confirment pleinement les divergences qui subsistent jusqu'à présent parmi eux à ce sujet.

Nous avons parlé du mariage naturel et du mariage légal comme de deux phénomènes sociaux différents; nous avons donc à déterminer ce que l'on entend en général par mariage.

La définition du mariage : « une union plus ou moins prolongée du mâle et de la femelle », s'applique évidemment au mariage naturel et a peu de rapports avec l'idée qu'on se fait du mariage légal, accompli suivant les coutumes et les lois d'un pays. Il est possible que « les instincts proprement dits aient joué un rôle très important dans la formation des institutions publiques et des mœurs », mais il est hors de doute que la société possède ses instincts propres, souvent en désaccord avec les instincts individuels.

Il convient de distinguer le mariage naturel, qui n'est guère qu'un accouplement amené par l'instinct sexuel, du mariage légal, c'est-à-dire d'un accouplement placé sous la protection de la loi et de l'opinion publique et réglementé par elles. Il y a donc une grande différence entre la question de savoir comment les hommes se comportent naturellement avec leur instinct sexuel et celle d'étudier quelles sont les prescriptions des lois et des coutumes existant dans les divers pays. Bien que cette différence soit signalée par les auteurs eux-mêmes, leurs travaux montrent qu'ils confondent ordinairement la conception du mariage naturel avec celle du mariage légal.

Il est certain que l'histoire des institutions publiques qui réglementent le mariage naturel a une très grande importance, mais cette histoire ne sera pas celle du mariage naturel. Celle-ci doit se borner simplement à décrire les modifications de l'instinct sexuel dans l'humanité, instinct qui s'est toujours manifesté à sa manière, malgré toutes les réglementations adoptées par la société.

Un savant bien connu affirmait encore tout récemment que « c'est pour cela que la nature a institué le mariage, afin que le caprice, les nouvelles concupiscences de l'homme et ses passions ne dissolvent pas ce qui doit rester uni dans l'intérêt de l'humanité et de la société ».

Il est possible que cela soit, que la nature elle-même s'occupe des formes de mariage les plus avantageuses au but que poursuivent l'humanité et la société, mais le fait de la diversité des manifestations de l'instinct sexuel a été observé et s'observe encore partout et l'existence de ce fait ne saurait être mise en doute. En outre, le but poursuivi par telle ou telle société peut différer de beaucoup de celui que poursuit l'humanité et cela explique probablement la diversité qu'on observe dans les formes du mariage tant naturel que légal.

Quels sont, dans le moment présent, les rapports sexuels qui existent entre les individus?

Dans les sociétés contemporaines on réussit, comme on le sait, à trouver de nombreux vestiges des anciennes mœurs, coutumes, etc. L'étude de ces vestiges jette la lumière sur les phénomènes sociaux qui leur ont donné naissance; mais, tandis que l'on ne trouve chez les contemporains que des traces des anciennes lois et coutumes, les instincts au contraire se transmettent avec des modifications à peine sensibles. Ce fait se confirme pleinement si l'on étudie les formes du mariage naturel, c'est-à-dire de l'accouplement instinctif.

Il est certain que la promiscuité existe actuellement et qu'elle est largement répandue, même dans les pays civilisés. Dans ces pays, les femmes qui vivent dans cet état de promiscuité forment pour ainsi dire une classe à part et sont désignées sous le nom de prostituées. Sous ce rapport les hommes ne forment pas de classe spéciale, bien qu'ils débutent ordinairement dans leurs rapports sexuels par la promiscuité et que beaucoup d'entre eux continuent à vivre dans cet état ou y reviennent de temps à autre. Comme ils constituent le sexe souverain, les hommes qui vivent dans cet état sont, de la part de la société, l'objet de la plus complète indulgence.

Le seul principe qui règle les relations sexuelles, c'est le choix ; mais celui-ci se manifeste à des degrés extrêmement variés. Le goût est parfois peu relevé; d'autres fois il est si délicat que le choix ne peut avoir lieu que lorsque la moitié de l'être idéal rencontre la moitié qui le complète. Ce choix offre alors un caractère d'unité et de persistance, c'est-à-dire « d'unité qui se continue », et donne naissance à cette forme de mariage qu'on désigne sous le nom de monogamie.

On peut trouver dans les sociétés contemporaines les exemples les plus variés de la diversité des choix. Parfois l'homme possède plusieurs compagnes, choisies à différentes époques ou dans un seul et même temps et nous nous trouvons alors en présence de cette forme de mariage qui a reçu le nom de polygamie.


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