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L'avenir de l'éducation - Partie 1

La revue des revues

En 1896, par Letourneau C.


Les trois phases de l'éducation

Si l'on embrasse d'un coup d'œil l'évolution pédagogique à travers les phases du développement social, on voit l'éducation se borner d'abord, et pendant longtemps, à un simple dressage utilitaire, très analogue à l'éducation que certains animaux donnent à leurs petits.

Quand, plus tard, par des exercices appropriés, des épreuves, des initiations, on cherche à fortifier la volonté, à tremper le caractère, l'éducation, jusqu'alors simplement physique et industrielle, prend une direction morale ; enfin, quand la religion est devenue une puissance, quand une certaine science s'est constituée, surtout quand la littérature et les arts ont pris un grand développement, l'éducation change d'allure, elle devient de plus en plus intellectuelle. Ces trois phases, physique, morale et intellectuelle, répondent assez bien au développement de l'individu à travers la vie, de l'humanité à travers les âges ; elles marquent bien les trois grands côtés de la pédagogie ; mais il est plus d'une manière de cultiver le corps, le cœur et l'esprit.

Comment, dans quel sens, les doit-on développer? La réponse peut varier avec le degré et le genre de la civilisation régnante. Ainsi une civilisation basée sur la guerre n'estimera que les exercices du corps et fera de l'éducation un noviciat militaire; une civilisation trop imprégnée de religion pourra verser dans l'ascétisme, tandis qu'une civilisation trop raffinée mettra au-dessus de tout la culture artistique, littéraire, scientifique, philosophique. Il importe donc, avant toutes choses, à l'éducateur de bien déterminer quel but il se propose d'atteindre.


Le but de l'éducation

Faut-il avec H. Spencer borner ses prétentions pédagogiques à adapter l'enfant à la vie qui l'attend? à « former un citoyen capable de faire son chemin dans le monde », par exemple, à le dresser tranquillement à la servitude, s'il doit être esclave? Doit-on se garder surtout de former un être humain idéal, que la société au sein de laquelle il doit vivre ne tolérerait pas ? Faut-il considérer la dureté des parents pour leurs enfants comme une préparation salutaire à la brutalité du monde ! Alors la tâche de l'éducateur devient assez simple, mais combien bornée! Non pas certes que l'on doive dédaigner entièrement le côté d'utilitarisme indispensable. Sans doute il faut qu'un homme puisse vivre dans la société dont il fait partie ; mais il faut aussi qu'il en voie les imperfections, les vices et qu'il travaille à les redresser; car, sous peine de dégénérescence, une société doit progresser sans cesse.

C'est aux pédagogues futurs qu'incomberont le soin et l'honneur de régler minutieusement l'éducation, conformément aux phases de l'évolution sociologique et psychologique. Actuellement, et la tâche est déjà suffisamment malaisée, il faut que la pédagogie se contente de ne négliger aucun des grands côtés de l'être humain, et qu'en s'inspirant de l'expérience, elle s'applique à faire que chaque individu atteigne son plein développement physique, moral et intellectuel ; qu'il devienne robuste, bon et intelligent autant que le comporte son organisation individuelle.


La culture physique et le Christianisme

Les antiques sociétés, et spécialement la Grèce et Rome, ont toujours tenu grand compte de la culture physique, que, seules, les religions ascétiques ont fait tomber en discrédit. A ce sujet la palme doit être décernée au christianisme, qui a élevé à la hauteur d'un dogme le dédain de la force musculaire et de la beauté. Pour l’Église, le corps, objet profondément méprisable, n'était qu'un obstacle à l'affranchissement de l'âme, à son entrée triomphante dans la Jérusalem céleste. Cette vue homicide a régné en pédagogie pendant tout le moyen âge; aujourd'hui même, en France et dans les pays latins, elle pèse encore sur l'éducation. L’Angleterre et l'Amérique ont eu le bon sens de s'en affranchir, et H. Spencer n'a fait que formuler l'opinion générale dans son pays en disant : « La première condition pour réussir en ce monde, c'est d'être un bon animal, et la première condition de la prospérité nationale est que la nation soit composée de bons animaux ». En Angleterre, les jeux, les exercices physiques sont tenus en grand honneur, surtout dans les collèges et universités. Chaque étudiant est affilié à un club d'exercices physiques, et, quand ils peuvent enseigner les jeux, les professeurs eux-mêmes ne manquent pas d'ajouter à leurs titres l'épithète d'athletic. En outre les établissements d'instruction publique sont, en Angleterre, presque invariablement installés à la campagne, dans des sites salubres, où chacun d'eux forme une petite ville entourée de vastes pelouses et annexes pour les jeux. Au contraire, en France, plus encore en Italie, les anciens collèges, par leur construction anti-hygiénique, leur défaut d'aération, leurs cours étroites, leur aspect souvent sordide, leur discipline autoritaire, tiennent à la fois du couvent, de la caserne et du pénitencier. Or, ces établissements déversent chaque année dans la population un flot de jeunes gens presque tous plus ou moins étiolés et à peu près dépourvus de connaissances utilisables. L'Italie, où, en regard de vingt parties du temps consacré à l'éducation intellectuelle, on en destine une à l'éducation physique, tient le record dans cette pédagogie contre nature ; aucun autre pays ne compte autant d'avocats, de médecins et de prêtres; aussi sur 1000 de ses volontaires d'un an, y en a-t-il 347 dont le système musculaire est atrophié.


Des tentatives pour sauver le corps

Malgré de timides essais de réforme tentés depuis peu et à peu près annihilés par la trop vigoureuse végétation des programmes et la folie des examens, la France n'est pas plus que l'Italie sortie de la vieille orinière. En Angleterre, en Amérique, le boy des écoles, l'étudiant des collèges et des universités font généralement plaisir à voir; mais que dire au point physique de la plupart de nos lycéens et des élèves de nos écoles supérieures? Pourtant le diction latin : mens sana in corpore sano est l'exacte impression de la vérité. De précieuses qualités de caractère sont même étroitement liées à la vigueur physique : l'activité, la hardiesse, la force de la volonté, l'esprit d'initiative, qualités précieuses d'où dépendent non seulement le présent mais l'avenir des peuples, habitent assez rarement des corps trop débiles. A un certain degré d'étiolement physique correspond trop souvent l'inertie morale, que favorise d'ailleurs extrêmement la discipline militaire de nos établissements d'instruction publique. « Faire, comme le dit le Dr Mosso, mijoter des jeunes gens pour les examens », n'est pas précisément une bonne préparation à une existence virile. Une grande liberté, un large usage des jeux en plein air, la natation pour tout le monde ; enfin quelques exercices gymnastiques scientifiquement choisis et pratiqués avec mesure valent mieux pour faire un homme et même une femme que les travaux scolaires archaïques dont le moyen âge nous a transmis la tradition. On l'a compris en Amérique, où dans la plupart des collèges un médecin résidant est spécialement chargé de surveiller et de régler la gymnastique.


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