La définition de Addiction

L'addiction désigne une situation de dépendance vécue subjectivement comme aliénante. Ainsi, toute l'existence de la personne se trouve centrée autour de la répétition d'une expérience, au détriment d'investissements affectifs ou sociaux. Par ailleurs, la notion d'addiction englobe celles de toxicomanie et de dépendance. Cependant, elle dépasse le cadre de la dépendance à des substances psychoactives, pour s'étendre aux toxicomanies sans drogue(ou addictions comportementales).


De la toxicomanie à l'addiction

Les recherches sur les toxicomanies adoptent différentes approches du phénomène. Plus précisément, on trouve deux grands type d'approche:

  • Des recherches portant sur le toxicomane, l'alcoolique, le joueur pathologique, etc...: Ce type d'approche met l'accent sur le caractère irréductible du vécu toxicomaniaque, sur sa démesure, sur sa différence radicale avec d'autres expériences. À cet égard, l'héroïnomanie est considérée en France comme la forme la plus pure de toxicomanie. Les expériences du shoot, du flash, de la planète, du manque concourent à constituer un monde psychique toxicomaniaque différent de celui du commun des mortels.

  • Des recherches consacrées aux dépendances ou addictions au sens large: dans ce cadre, la toxicomanie aux drogues illicites n'est qu'une variante parmi d'autres d'un mode très répandu de conduite humaine. Dans ce type d'approche, le produit a moins d'importance que la conduite de l'individu: d'où l'intérêt apporté aux addictions comportementales, qui sont la forme actuelle des toxicomanies sans drogue, décrites par le psychanalyste américain Otto Fenichel dès 1945.

Il semble que la notion d'addiction résulte de l'application à divers champs de réflexions sur la toxicomanie. Elle est devenue la forme paradigmatique des maladies de l'habitude, de la dépendance, ou de la démesure.
Une étude des discours concernant le jeu pathologique, par exemple, montre comment se reproduisent, en des termes inchangés depuis des décennies, les débats qui opposent en matière de toxicomanie les tenants de modèles de maladie aux défenseurs d'un modèle adaptatif. Le regroupement d'entités diverses en un vaste ensemble, sous le terme générique d'addiction, est en fait de moins en moins discuté. Il existe en effet des arguments très forts en faveur de l'adoption de cette notion d'addiction au sens large, englobant les toxicomanies, l'alcoolisme, le tabagisme, le jeu pathologique, voire les troubles des conduites alimentaires, les conduites sexuelles ou les relations amoureuses aliénantes. Voici les trois principaux arguments:

  • La parenté entre les divers troubles qui s'y trouvent regroupés. Ils sont définis par la répétition d'une conduite, supposée prévisible par la personne, maîtrisable, s'opposant à l'incertitude des rapports de désir, ou simplement existentiels, interhumains.

  • L'importance des recoupements entre les diverses addictions: nous avons vu la fréquence de l'alcoolisme, du tabagisme, des toxicomanies, voire des troubles des conduites alimentaires, chez les joueurs pathologiques.

  • La fréquence régulièrement notée de passages d'une addiction à une autre, un toxicomane pouvant par exemple devenir alcoolique, puis joueur, puis acheteur compulsif.

  • La parenté dans les propositions thérapeutiques: l'existence des groupes d'entraide, basés sur les « traitements en douze étapes », du type Alcooliques Anonymes, est ici particulièrement importante. Ce sont en effet exactement les mêmes principes de traitements de conversion et de rédemption morale qui sont proposés aux alcooliques, aux toxicomanes, aux joueurs, et acceptés par nombre d'entre eux.

Toutefois, certains craignent que la spécificité du discours sur la toxicomanie se dissolve dans la notion large d'addiction, et soit banalisée et ramenée au niveau d'une simple habitude gênante ou socialement incorrecte. Ainsi, il n'y aurait plus de différence entre l'existence tragique du junky à la Burroughs, le goût immodéré pour le chocolat, ou l'habitude gênante de regarder un feuilleton stupide à la télévision.
Au contraire, d'autres redoutent que des pans entiers de l'existence, des habitudes plutôt anodines, deviennent des équivalents de maladie, et que la médecine, par le biais de cette extension du concept d'addiction, en vienne à traiter l'ensemble des conduites humaines.
Il est donc important de disposer de définitions claires, et de faire la part entre, d'un côté, la réalité de l'aliénation, de la perte de liberté du sujet, et, de l'autre, la métaphore, l'assimilation par la comparaison d'habitudes simplement gênantes, avec la forme indiscutable des addictions. Le travail de définition des addictions doit donc aller de pair avec une limitation des abus de l'extension de cette notion, mais aussi avec une réflexion sur son emploi possible dans de nouveaux champs, comme ceux de la délinquance et de la criminalité.


La définition des addictions

Le psychiatre et psychanalyste Jean Bergeret, en se référant à l'étymologie, a mis l'accent sur un sens particulier du terme addiction: celui de contrainte par corps. Ainsi, il suggérait, selon une approche psychanalytique, que la dépendance corporelle équivalait de la part du sujet à une tentative inconsciente de régler une dette, à une peine auto-infligée: « Il s'agit de considérer à la suite de quelles carences affectives le sujet dépendant est amené à payer par son corps les engagements non tenus et contractés par ailleurs. » L'addiction, dans cette perspective, était une désignation métaphorique de la toxicomanie. Mais c'est indépendamment de ces considérations que le terme s'est répandu, et des définitions plus descriptives, voire plus opérationnelles, se sont révélées nécessaires. Goodman, notamment, a proposé une définition de l'addiction par les traits suivants:

  • Impossibilité de résister aux impulsions à réaliser ce type de comportement.
  • Sensation croissante de tension précédant immédiatement le début du comportement.
  • Plaisir ou soulagement pendant sa durée.
  • Sensation de perte de contrôle pendant le comportement.
  • Certains éléments du syndrome ont duré plus d'un mois ou se sont répétés pendant une période plus longue.

En outre, il précise qu'au moins cinq des neufs critères suivants doivent être présents:

  • Préoccupation fréquente au sujet du comportement ou de sa préparation.
  • Intensité et durée des épisodes plus importantes que souhaitées à l'origine.
  • Tentatives répétées pour réduire, contrôler ou abandonner le comportement.
  • Temps important consacré à préparer les épisodes, à les entreprendre, ou à s'en remettre.
  • Survenue fréquente des épisodes lorsque le sujet doit accomplir des obligations professionnelles, scolaires ou universitaires, familiales ou sociales.
  • Activités sociales, professionnelles ou récréatives majeures sacrifiées du fait du comportement.
  • Perpétuation du comportement bien que le sujet sache qu'il cause ou aggrave un problème persistant ou récurrent d'ordre social, financier, psychologique ou physique.
  • Tolérance marquée: besoin d'augmenter l'intensité ou la fréquence pour obtenir l'effet désiré, ou diminution de l'effet procuré par un comportement de même intensité.
  • Agitation ou irritabilité en cas d'impossibilité de s'adonner au comportement.

Cette définition est en phase avec la conception de l'addiction comme processus, mise en avant par Stanton Peele dès 1975, dans son ouvrage Love and Addiction. Selon Peele, c'est d'une expérience, et non d'une substance chimique, que certains individus deviennent dépendants. Dans cette optique, le caractère agréable de l'expérience initiale n'est pas d'une importance capitale. Le recours répétitif à la conduite addictive aurait une fonction d'évitement de situations anxiogènes, en substituant à l'incertitude des relations humaines le déroulement prévisible d'une séquence comportementale maintes fois vécue.


La modélisation des addictions

L'étude des modèles psychopathologiques des addictions montre une apparente opposition entre modèles psychanalytiques, d'une part, et modèles comportementalistes ou psychosociaux, d'autre part. Néanmoins, il semble que le désir de s'inscrire dans un champ de référence précis (psychanalyse, comportementalisme, etc.) ainsi que la crainte de l'éclectisme conduisent à une prolifération de modèles, qui gagneraient à être rapprochés. De fait, on devrait tendre vers une métamodélisation, en conjuguant les apports de domaines variés.
De façon générale, toute approche des addictions doit commencer par prendre acte des diverses dimensions du phénomène. Celles-ci sont résumées, pour les toxicomanies, par Claude Olievenstein comme « la rencontre entre une personnalité, un produit, et un moment socioculturel ». Aucun de ces éléments ne doit être éludé pour une appréhension globale du phénomène, et il est évident qu'aucun spécialiste ne peut totalement maîtriser les disciplines concernées par une aussi vaste problématique.
Aussi, les oppositions et les querelles de chapelle ne sont trop souvent que l'effet de l'étroitesse de vue des protagonistes. Un psychologue, par exemple, peut nier toute importance de la biologie, et un pharmacologue, tout rôle de la culture ou de la société. D'ailleurs, de nombreux débats entre spécialistes ressemblent à des oppositions entre des vues partielles, à la fois vraies et incomplètes.
Par ailleurs, le passage de la toxicomanie aux addictions a, pour les auteurs anglo-saxons, l'intérêt de dépasser une vision étroite de maladie, simplement basée sur l'interaction entre une substance et un individu. Il y a longtemps que, notamment sous l'influence de la psychanalyse, nous sommes habitués à relativiser la place du produit dans les toxicomanies. Dans le cas des addictions comportementales ou des toxicomanies sans drogue, nous avons toutefois à faire une place à ce qui est l'équivalent de la drogue dans la toxicomanie, et cela à deux niveaux:

  • L'effet, l'éprouvé particulier qui est au centre de la conduite addictive. Cet effet est lié à des modifications neurobiologiques, même en l'absence de drogue extérieure.

  • Le sens, la place du produit dans l'histoire de la personne. Ce sens justifie les études sur le choix de la drogue, et les abords psychologiques divers.

D'ailleurs, l'addiction elle-même serait à deux faces:

  • Une face de désubjectivation, d'effacement du sens.
  • Une face de transgression, d'affrontement, de recherche de sens.

En France, les divisions qui ont agité, durant plusieurs années, le champ de l'intervention en toxicomanie, autour de la réduction des risques ou des traitements de substitution, peuvent trouver, dans ce début de modélisation des addictions, une explication.
D'un côté, des thérapeutes qui se réfèrent aux théories psychanalytiques ou psychosociales ont vécu la promotion de traitements de substitution comme le risque d'une régression conceptuelle. En effet, dans certains discours très médicaux, la toxicomanie redeviendrait une maladie chronique, comparable au diabète, une simple interaction entre le corps de l'individu et une substance. De l'autre côté, des soignants attachés à des approches pragmatiques, soulignent l'erreur qui consisterait à mettre à tout prix du sens dans ce qui est devenu un processus, à continuer à rechercher la signification de ce qui n'en a plus et nécessite au contraire d'être considéré comme une maladie.


Du point de vue du psychologue

La compréhension psychopathologique de l'addiction doit permettre de proposer des modèles théoriques en psychologie, pour expliquer le processus à l'oeuvre dans la dépendance. Les modèles pharmacologiques, reposant notamment sur l'implication de la dopamine dans l'activation des systèmes de récompense mésolimbiques, ne permettent pas d'expliquer toutes les situations addictives, et l'on est encore loin de comprendre ce qui construit dans le cerveau un processus de dépendance.
Les dépendances constituent un phénomène soumis à un déterminisme social et culturel. Pour la toxicomanie en particulier, la dépendance est également soumise à l'avancement des sciences (comme en témoignent l'usage de la seringue à partir du XIXe siècle). Mais, au-delà des considérations sociales, il est possible de repérer dans le processus addictif une logique de résolution inadéquate d'un problème interne ou externe qui relève du champ de la psychologie. Globalement, on peut pointer six modèles psychologiques susceptibles de rendre compte de la dépendance:

  • Le modèle cognitivo-comportemental.
  • Le modèle biopsychosocial de Stanton Peele.
  • Le modèle de recherche de sensations de Marvin Zuckerman.
  • La théorie du renversement psychologique de Michael Apter.
  • Le modèle de gestion hédonique de Iain Brown.
  • La théorie générale des addictions et le système d'action d'Eric Loonis.

L'approche cognitivo-comportementale

L'approche théorique des comportementalistes repose sur le principe de l'apprentissage et sur les études de traitement de l'information, conscient ou inconscient, par notre pensée. Elle recoupe trois domaines de l'existence: le comportemental, le cognitif et l'émotionnel.
On peut repérer quatre grands types d'approches cognitivo-comportementales:

  • Le conditionnement pavlovien (ou conditionnement répondant): le schéma décrit par le physiologiste russe Ivan Pavlov est simple: un stimulus induit une réponse. Un stimulus conditionné entraîne une réponse conditionnelle.
    En pratique, une seringue, un briquet, ou encore certains lieux associés à la consommation de drogue vont, si l'individu y est confronté, induire une réponse qui sera le comportement toxicomaniaque. Par exemple, le stimulus conditionnel briquet peut être annonciateur de la présentation d'un stimulus conditionnel cigarette qui déclenche toujours la réponse conditionnelle fumer. Cela explique qu'une période d'abstinence parfois fort prolongée puisse être suivie d'une rechute lorsque certains stimuli agissent associés à la drogue.

  • Le conditionnement skinnérien (ou conditionnement répondant): pour le psychologue américain Burrhus Skinner, l'homme agit sur son environnement, et les conséquences de cette action le conduisent à modifier son comportement. De fait, il finit par repérer ou, au contraire, par éviter certains comportements. Les conséquences des actes viennent donc renforcer progressivement les comportements.
    Il existe des renforcements positifs (induisant une répétition des actes car les conséquences de l'action sont jugées plaisantes) et des renforcements négatifs (induisant un évitement des actes car les conséquences de l'action sont jugées déplaisantes). Chez un fumeur dépendant du tabac, le plaisir de fumer, la stimulation intellectuelle induite par la cigarette constituent des facteurs de renforcement positif (ils lui apportent quelque chose dans son économie psychique). En revanche, le fait de prendre une cigarette pour éviter de ressentir les effets du sevrage en nicotine participe à un renforcement négatif en permettant la sédation d'un déplaisir, d'une souffrance liée à l'anxiété par exemple.

  • La théorie de l'apprentissage social: elle fut élaborée par Albert Bandura. Cette théorie met en avant la sphère de la cognition, c'est-à-dire des processus conscients ou non des processus par lesquels un individu peut s'adapter à des stimuli. Pour cet auteur, l'anticipation est fondamentale chez l'être humain, car la conscience de l'individu fait que la sélection d'un comportement ne s'opère pas d'une façon purement mécanique (comme le laisse supposer le modèle de Skinner). La notion de liberté, ou plutôt l'idée subjective d'être libre, doit être prise en compte.
    Par exemple, chez les adolescents fumeurs, le besoin et le désir de fumer sont renforcés par les motivations, les croyances liées au rôle et à l'usage social du tabac. Ces adolescents recherchent d'autres liens, d'autres pôles d'attraction mais aussi les grandes amitiés et les bandes. Celles-ci répondent au besoin des adolescents car elles reproduisent une microsociété, en marge de celle des adultes, qui leur permet d'imposer des idées, des valeurs, et où la cigarette a un effet d'autorégulation (apaisement des tensions, gestion des difficultés interpersonnelles, développement des rapports amicaux formels, etc...).

  • Les théories cognitives: l'interaction entre des événements et le cerveau engendre des informations qui sont traitées et emmagasinées à long terme. Le cerveau utilise ces informations régulièrement, en fonction des situations nouvellement rencontrées, et ce, de façon inconsciente. Aussi, des actes, des situations ou des émotions semblables à ceux qui furent initialement à la base de la mémorisation viennent à nouveau activer ces savoirs acquis, qui sont réutilisés et éventuellement actualisés par le cerveau.
    Ainsi, l'interaction entre des situations où l'individu est fragilisé psychologiquement, un type de personnalité et un stimulus déclenchant, explique la dépendance. Et celle-ci constitue pour la personne une modalité de solution, même si elle implique des besoins. Car des distorsions cognitives font que l'individu perçoit de façon erronée la situation. De fait, une reconstruction de ces schémas est à la base des traitements des addictions par thérapie cognitivo-comportementale, dans la mesure où chaque comportement addictif, singulier car lié à l'histoire propre de la personne, implique un regard également singulier du thérapeute.

L'approche biopsychosociale de l'addiction

Stanton Peele, professeur de psychologie sociale à New York, a développé entre les années 1975 et 1985 un modèle extensif de dépendance intégrant à la variable psychologique la variable sociologique. À ses yeux, l'addiction découle de la vie même de l'individu dépendant et de ses problèmes. Elle constitue une stratégie pour résoudre une situation douloureuse, un échec qui le font constamment douter de sa capacité à réussir au plan personnel et social. La personne addicte finit par se détourner de tout autre centre d'intérêt. Ainsi, la dépendance est une satisfaction substitutive dont le pouvoir renforçateur est puissant. Néanmoins, le fait d'être devenu dépendant modifie le sentiment d'estime de soi dans un sens négatif en le confrontant la personne à un paradoxe: celui de répéter le geste addictif pour tenter d'en limiter l'incidence négative. L'addiction abolit le constat de défaillance par la satisfaction qu'elle apporte, mais, en même temps, elle l'aggrave par la perte d'estime de soi.
Face à une situation critique de l'existence (par exemple, le stress, l'isolement, le divorce, etc...), à une période de la vie n'offrant aucune option positive (vécu en situation de guerre, en situation d'exclusion) ou dans un contexte privé de soutien social et/ou familial, l'expérience de la dépendance permet d'organiser la vie de l'individu. Elle structure son temps, et propose des sensations confortantes et prévisibles.
D'ailleurs, pour Peele, l'addiction est avant tout un mal de la socialité. Selon lui, le développement des conduites addictives découle de l'introversion des individus, de l'égoïsme et de l'individualisme. Aussi, le contrôle de soi, l'estime de soi, la possibilité de s'accomplir, de développer des compétences constituent autant de valeurs protectrices. Ainsi, l'individu n'est pas une simple entité biologique, mais bien l'acteur de sa propre socialisation, le chercheur de son propre sens et d'une cohérence intérieure qui peut lui permettre d'échapper à une forme de dépendance. Le modèle de Peele permet de dépasser le modèle médical de la dépendance en mettant en lumière l'importance des facteurs non biologiques des addictions (c'est-à-dire les facteurs culturels, sociaux, situationnels, ritualistes, développementaux, de personnalité et cognitifs) qui leur enlèvent leur caractère inéluctable.


L'approche psychobiologique de l'addiction

Marvin Zuckerman, à la suite de travaux conduits dès 1964 et qui lui avaient permis de proposer une échelle pour évaluer le besoin de stimulation corticale induite par le vécu de sensations fortes, a défini en 1972 un trait de personnalité caractérisé par la recherche de sensations. Globalement, Zuckerman postule que les personnes avides de sensations ont un taux peu élevé d'activation catécholaminergique lorsqu'elles ne sont pas stimulées et qu'elles vont donc rechercher de façon plus ou moins compulsive des substances ou des comportements capables d'augmenter cette activité neurobiologique.
D'ailleurs, des données neurobiologiques (le taux d'hormones gonadiques, d'endorphines, de MAO et de cathécholamines) déterminent chez les sujets High Sensation Seekers (chercheurs de sensations fortes) un bas niveau d'activation cérébrale, lequel génère de l'ennui et un malaise. Aussi les individus de type HSS ont tendance à rechercher les sensations et les stimulations fortes afin d'élever de façon agréable leur niveau d'activation cérébrale. Cette recherche de sensations peut passer par la consommation abusive de substances psychotropes (drogues ou alcool) ou par des comportements compulsifs ou de prise de risque (que ce soit dans le domaine des sports ou dans le vécu des extrêmes) qui provoquent indirectement des effets psychotropes.
Des études ont montré les liens entre la recherche de sensations fortes et l'impulsivité, l'agressivité, l'exhibitionnisme et l'extraversion. Cependant, les relations entre les toxicomanies, l'alcoolisme et le tabagisme et la quête de sensations restent complexes, tant sur le plan biologique, clinique que psychopathologique. Cependant, les travaux montrent une corrélation entre le trait de personnalité caractérisé par la recherche de sensations et la consommation de drogues, de tabac ou d'alcool, ainsi que par la dépendance au jeu ou la multiplication des expériences sexuelles. Pour autant, on ne connaît pas encore le mécanisme de passage de la recherche de sensations à la dépendance.


La théorie du renversement psychologique

Michael Apter a développé, depuis 1975, une théorie originale, structurale et phénoménologique qui part des observations de l'inconsistance psychologique des êtres humains. Il postule notamment l'existence de paires d'états psychologiques opposés, entre lesquels des renversements s'opèrent tout au long de nos journées. Ces paires d'états sont dites métamotivationnelles, car elles déterminent l'interprétation que nous donnons à nos motivations.
En ce qui concerne les dépendances (qu'il s'agisse de substances psychotropes ou d'activités et de contextes produisant des sensations fortes), une paire d'états psychologiques est plus particulièrement impliquée: il s'agit de l'état de recherche d'activation, qui s'oppose à l'état d'évitement de l'activation. Par exemple, dans l'état de recherche d'activation, un individu éprouvera de l'ennui s'il n'est pas dans un contexte stimulant, alors que son passage à l'état psychologique opposé (l'évitement de l'activation) lui permettra de se relaxer. À l'inverse, dans un contexte de stimulation, l'individu en état de recherche d'activation sera euphorique, mais, s'il vient à basculer dans l'état d'évitement de l'activation, il deviendra soudain anxieux. Bien que tous les individus soient amenés à basculer d'un état vers l'autre tout au long de leurs journées, certains sont plus souvent dans un état psychologique que dans l'autre. Ce phénomène est appelé dominance et correspond à une caractéristique personnelle.
Michael Apter et ses collaborateurs ont étudié les mécanismes cognitifs mis en jeu dans la recherche d'activation, comme la mise en place de cadres psychologiques protecteurs qui permettent de passer dans l'état de recherche d'activation et de pouvoir ainsi vivre des situations et des activités excitantes et agréables à l'abri de l'anxiété. Par exemple, approcher d'un tigre est excitant et source de plaisir parce qu'il y a un cadre psychologique protecteur (le tigre est en cage, il y a un dompteur, etc...). Sans ce cadre psychologique, la présence du tigre serait hautement anxiogène. C'est à partir de cette recherche d'activation que les dépendances et les addictions peuvent apparaître. Certains individus ont tendance, pour des raisons qui tiennent à des contextes psychologiques et d'environnement social particuliers, à rester confinés sur la recherche d'activation. Ils sont incapables de passer dans l'état d'évitement d'activation sans éprouver une anxiété insurmontable, ou ils sont incapables de se détendre dans des contextes de moindre stimulation sans ressentir un ennui mortel. De tels individus recherchent donc constamment de hauts niveaux d'activation par la prise de psychotropes ou par des activités compulsives de prise de risque ou de transgression.


Le modèle de gestion hédonique

Iain Brown a prolongé la théorie du renversement psychologique de Michael Apter en prenant comme modèle le jeu pathologique et, plus récemment, le phénomène des tueurs en série. Dans son modèle de gestion hédonique, les addictions représentent des stratégies de gestion des niveaux de plaisir/déplaisir pour lesquelles l'expérience subjective et son interprétation par l'individu addicte entrent en jeu pour le développement, la poursuite ou le déclin de l'activité addictive.
Ce modèle psychologique considère les addictions comme des phénomènes motivationnels, liés à des attentes, à des valeurs elles-mêmes déterminées par un apprentissage social de nature cognitive. Ce sont ces facteurs psychologiques qui sont prépondérants dans le parcours addictif, et les facteurs physiologiques, sans être niés, restent secondaires. Dans ce cadre, les addictions sont considérées comme une forme extrême de phénomènes d'autogestion motivationnelle ordinaire dans la vie de tous les jours. L'individu gère sa tonalité hédonique en jouant sur ses niveaux d'activation et sur ses états psychologiques. Cette gestion apprise durant l'enfance peut produire dans certaines conditions des besoins secondaires artificiels: les addictions.
Une addiction correspond à un changement dans la hiérarchie préférentielle du répertoire des activités facilement accessibles. Ainsi, une activité particulière devient saillante par rapport aux autres activités. Quatre facteurs entrent alors en jeu:

  • L'éventail des activités accessibles dans l'environnement.
  • Le support social pour cette activité.
  • Les propriétés inhérentes à cette activité d'affecter la tonalité hédonique de l'individu (par exemple, par des changements d'activation).
  • Les compétences acquises pour utiliser cette activité dans la manipulation de la tonalité hédonique.

Pour Brown et d'autres auteurs, une addiction n'est jamais inéluctable, elle suit une trajectoire qui débute par une phase de découverte-révélation, puis s'installent des rituels, des habitudes et, à partir de distorsions cognitives, se mettent en place de puissants conditionnements pour prolonger l'addiction. Par la suite, une sortie de l'addiction est toujours possible par la redistribution et la dispersion des activités. Cependant, une vulnérabilité à la rechute persiste à long terme et nécessite donc un contrôle permanent.


La théorie générale de l'addiction et du système d'actions

Eric Loonis a développé une théorie générale de l'addiction (TGA) basée sur le concept de système d'actions. Selon ce modèle, toutes nos activités de la vie quotidienne remplissent deux fonctions : une fonction pragmatique d'adaptation au monde que l'on connaît, et une fonction pragmalogique d'adaptation à soi, c'est-à-dire de gestion hédonique.
Dans le cadre de cette seconde fonction, nos activités sont appelées actions et elles forment entre elles un système d'actions qui représente la face cachée du système d'activités que l'on observe en surface. Ce système d'actions se définit selon la qualité du surinvestissement d'une action particulière au détriment des autres, selon sa variété et selon ses facilités de vicariance (c'est-à-dire la possibilité de remplacer une action par une autre).
Ainsi, suivant ce modèle, les addictions se répartissent sur un continuum qui va des addictions de la vie quotidienne (AVQ) jusqu'aux addictions pathologiques. Aux deux extrémités du continuum, on peut décrire, d'une part, un système d'actions équilibré, avec peu de surinvestissement d'action, une grande variété d'actions disponibles et une grande facilité de vicariance (substitution) entre les actions ; d'autre part, à l'autre extrémité, du côté des addictions pathologiques, le système d'actions se caractérise par le fort surinvestissement de l'activité addictive, qui correspond à une action de gestion hédonique privilégiée, à un manque de variété des actions et à une difficulté de vicariance entre les actions.
Le système d'actions est construit durant l'enfance, il est l'héritier du système d'actions des parents et des modèles culturels, et son développement est lié à la construction narcissique de l'individu.
Ainsi, ce modèle du système d'actions, en tant que théorie générale de l'addiction, fait la synthèse de nombreux travaux, tant du côté de la neurobiologie que de la psychologie. Il permet de comprendre toutes les addictions, avec ou sans drogue, comme le dérapage d'un système de gestion hédonique lié à des conditions cérébrales qui déterminent une souffrance psychique intrinsèque. Enfin, il ouvre sur une écologie de l'action qui analyse les interdépendances des systèmes d'actions aux niveaux des sociétés et au niveau planétaire.


La dépendance du point de vu du pharmacologue

Le regard du pharmacologue sur les dépendances est évidemment tourné vers les produits toxicomanogènes et leur action sur le cerveau. Aussi, les travaux portant sur le système de récompense permettent de proposer un modèle commun à la plupart des dépendances. Néanmoins, ils n'expliquent pas les nombreux paradoxes qui ressortent de l'observation d'usagers de drogues. Par exemple, pourquoi les patients auxquels on administre des quantités croissantes de morphine pour traiter des douleurs ne signalent-ils que rarement des symptômes de sevrage lorsque l'administration de l'analgésique est arrêtée et qu'ils peuvent vivre à nouveau des activités gratifiantes? Comment les soldats américains engagés au Vietnam, dont 75 à 80% étaient devenus dépendants de l'héroïne, ont-ils pu décrocher sans problème à leur retour aux États-Unis? etc...
La pharmacologie, en l'état actuel des connaissances, ne peut donc proposer que des schémas explicatifs incomplets, comme le sont d'ailleurs les autres schémas précédemment envisagés.


La dépendance physique

Selon une des hypothèses cherchant à expliquer les phénomènes de dépendance, le toxicomane cherche à maintenir des taux de drogue suffisants dans l'organisme, non seulement pour éprouver le plaisir et l'euphorie que procure la drogue, mais aussi pour prévenir l'inconfort du sevrage, voire les douleurs physiques dues à celui-ci. Ainsi, les drogues ne seraient pas consommées pour leurs effets positifs de renforcement mais pour les effets aversifs qu'elles viennent soulager, voire pour compenser des défaillances neurobiologiques induisant des états anxieux ou dépressifs.
Cependant, de nombreuses données, expérimentales et cliniques, contredisent cette interprétation. D'une part, l'animal et l'homme commencent à s'administrer des produits addictifs ou continuent à le faire en l'absence de toute dépendance physique. D'autre part, il ne suffit pas d'induire expérimentalement une dépendance physique pour qu'un animal spontanément non appétent consomme la drogue. De plus, chez l'homme, notamment chez la personne alcoolique, les périodes où le besoin de consommer est maximal sont souvent dissociées de celles où les symptômes de sevrage sont les plus sévères. Inversement, divers produits peuvent induire un syndrome de sevrage sans pour autant être addictifs. Par ailleurs, les études cliniques ont bien montré que le traitement du sevrage est de peu de secours pour le traitement global de la dépendance. Enfin, l'hypothèse de l'automédication fait implicitement de la dépendance physique la simple conséquence de la tolérance, ce qui n'est pas toujours le cas.
Le substratum neurobiologique de la dépendance physique est donc loin d'être totalement établi. Certains auteurs ont proposé l'hypothèse selon laquelle les dépendances physique et psychique seraient virtuellement indissociables, dès lors que l'on tente d'en identifier les éléments cellulaires et moléculaires. Cela est toutefois peu probable, puisque la plupart des drogues entraînent une dépendance psychique sans dépendance physique associée. Seuls les opiacés, l'alcool, le tabac et les anxiolytiques induisent un syndrome de sevrage réellement caractérisé. En outre, les systèmes neuronaux et les processus mis en jeu dans les deux phénomènes sont distincts:

  • La dépendance psychique résulte de la mise en jeu majoritaire, mais pas exclusive, des neurones contenant la dopamine et appartenant au système de récompense du cerveau.

  • La dépendance physique est liée en partie à la désensibilisation des récepteurs opiacés de la moelle épinière et à un dysfonctionnement probable du locus coeruleus.

La dépendance psychique

La dépendance psychique est exclusivement motivée par le plaisir éprouvé lors de la prise de drogue. Elle est liée à l'action prépondérante de cette drogue sur le système de récompense cérébral, autrement dit sur les neurones à dopamine et les structures qu'ils innervent. Les psychostimulants, les opiacés, le cannabis, la nicotine et probablement l'alcool stimulent les voies neuronales contenant la dopamine. Or, ce neuromédiateur impliqué, entre autres, dans le contrôle des conduites affectives et dans la régulation des états émotifs, en particulier le plaisir.
La dépendance psychique peut par conséquent être liée aux effets hédonistes des drogues, selon le schéma suivant: la première consommation du produit active le système de récompense et entraîne une satisfaction cérébrale, d'où une motivation à répéter l'expérience, ce qui, à son tour, active les systèmes exécutifs, décisionnels et moteurs et permet la quête d'une nouvelle expérience. Lorsque celle-ci est possible, le cercle vicieux de la dépendance psychique s'enclenche.
Cependant, les limites de cette conceptualisation sont clairement marquées par des données cliniques et expérimentales. L'activation des neurones à dopamine n'est pas obligatoirement synonyme d'effet de récompense (le stress, par exemple, a de puissants effets activateurs de ce système). Il existe des substances (le LSD, le cannabis, la nicotine, les barbituriques) capables de stimuler la transmission dopaminergique mais dont les effets de récompense, sur modèle animal, sont inconstants, faibles, voire nuls. Il faut également prendre en compte l'effet des drogues sur certains autres systèmes neuronaux, en particulier les neurones à noradrénaline et à sérotonine.
Par ailleurs, chez l'homme, de nombreux produits addictifs tels que la nicotine ou les anxiolytiques, n'ont pas d'effets hédonistes euphorisants. Certains, dont les hallucinogènes, induisent même des états dysphoriques (instabilité de l'humeur accompagnée de malaises, d'anxiété et souvent de réactions colériques). Aussi, les effets plaisants des drogues sont rapidement dépassés par les conséquences néfastes de leur consommation prolongée, et le discours du toxicomane traduit souvent sa souffrance d'avoir perdu sa liberté. Enfin, il est fréquent d'observer une dissociation évolutive entre le besoin de consommer, sans cesse croissant, et le plaisir de la consommation, sans cesse décroissant.

Autres termes psychologiques :

Usager récréatif
Toxicomanie
Déclenchement
Accoutumance
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