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Savants et philosophes (II) - Partie 2

La revue des revues

En 1895, par Spencer H.

Il n'est point urgent de retracer ici les étapes par lesquelles s'est effectuée graduellement la différence de la classe scientifico-philosophique avec la classe des prêtres. Il suffira de noter les caractères dominants de ce changement et l'état auquel on est arrivé aujourd'hui.

Le premier fait important qu'il y ait à observer, c'est que le grand corps de doctrine se distingue en ce qu'il se basa sur la raison au lieu de se baser sur l'autorité, et qu'il se divisa ainsi en deux parties, l'une concrète et l'autre abstraite, ce qui eut pour résultat d'engendrer deux classes différentes de savants, l'homme de science et le philosophe. Dans l'ancien Orient, la distinction entre les deux était vague. Chez les Grecs, à partir de Thalès, le penseur était celui qui étudiait les faits physiques et en déduisait des conceptions générales. Si nous allons même jusqu'à Aristote, nous constatons dans le même homme l'union de la recherche scientifique et de la spéculation philosophique. Il en fut ainsi pendant le développement des connaissances en Europe jusqu'à l'époque de Newton, où l'usage du mot « philosophie naturelle » pour les sciences physiques implique une distinction indéfinie entre les deux. Mais aujourd'hui, cette distinction s'est à peu près définie, elle l'est même complètement en Allemagne et d'une façon très sensible dans notre pays. Le philosophe ne se mêle pas d'investigations scientifiques et le plus souvent ne sait pas grand chose des vérités scientifiques, pendant que, réciproquement, le savant, à quelque catégorie qu'il appartienne, est peu adonné à la spéculation philosophique et est communément peu au courant des conclusions philosophiques soutenues par telle ou telle école. La distinction qui s'est élevée entre ces deux classes est fort bien rendue par le mépris qu'elles expriment fréquemment l'une pour l'autre.

Simultanément, une autre séparation s'est produite dans le corps des savants entre ceux qui s'occupent respectivement de l'inorganique et de l'organique. De nos jours, les hommes qui s'occupent de recherches mathématiques, physiques et chimiques sont généralement ignorants des choses de la biologie ; pendant que ceux qui consacrent leur vie à étudier les phénomènes de la vie sous l'un ou l'autre de ses aspects, ne professent souvent aucun intérêt pour les vérités qui constituent les sciences exactes. Entre les choses animées et les choses inanimées, il existe un contraste marqué, et il a fini de même par y avoir une division marquée entre les adeptes des deux groupes.

Il s'est encore produit une autre transformation de même nature.

Dans chacun de ces groupes ont pris place des différentiations et des sous-différentiations. Les biologistes se sont tout d'abord divisés eux-mêmes en deux catégories, ceux qui étudient la vie végétale et ceux qui étudient la vie animale, les phylologistes (communément appelés botanistes) et les zoologistes. Dans chacune de ces nouvelles divisions se sont établies de larges subdivisions : dans l'une, ceux qui se consacrent à la classification des espèces, ceux qui traitent de la morphologie des plantes, ceux qui traitent de leur physiologie; et, dans l'autre, les classificateurs, ceux qui font de l'anatomie comparée, de la physiologie animale. Des spécialisations plus restreintes encore sont survenues. Parmi les botanistes, il en est qui étudient presque exclusivement tel ou tel ordre ; parmi les physiologistes, certains prennent communément pour domaine une classe de fonctions; et, parmi les zoologistes, il y a avant tout les divisions entre ceux qui se déclarent entomologistes, ornithologistes, icthyologistes, etc. ; puis, dans chacun de ces groupes se forment des groupes plus petits comme, par exemple, chez les entomologistes, ceux qui étudient plus spécialement les coléoptères, les lépidoptères, les hyménoptères, etc., etc.

A l'égard de ces grandes et petites différentiations, il suffit de remarquer que, bien que la poursuite de la science dans son ensemble ne puisse s'appeler une profession (cet ensemble étant bien trop étendu et bien trop hétérogène), la poursuite de telle ou telle partie déterminée de la science est, elle, également matière à distinction. Nous avons des « professeurs », des divisions et subdivisions diverses de la science. Et ceci implique que la poursuite de la science, considérée comme gagne-pain, sans distinction d'espèce particulière, doit être regardée comme une profession.

Les combinaisons d'unités semblables, qui ont accompagné ces séparations d'unités dissemblables, sont également remarquables.

Ceux qui s'occupent de la science dans son ensemble, aussi bien que ceux qui s'occupent des divisions particulières de la science, ont toujours tendu à l'agglomérer et à se grouper eux-mêmes.

Sur le continent, chaque nation a son académie scientifique ou un corps équivalent, quelquefois même plusieurs. Dans notre pays, nous avons ainsi une union générale fixe entre les savants : la Société Royale ; et, en addition à celle-ci, nous possédons encore une union générale passagère, l'Association Britannique.

En outre de ces énormes associations comprenant toutes les espèces de savants, nous avons différentes corporations plus petites, composées chacune de ceux qui se sont consacrés à une branche — ou à une sous-branche — particulière de la science, une Société de Mathématiques, une Société de Physique, une Société de Chimie, une Société d'Astronomie, une Société de Géologie, une Société de Psychologie; et d'autres, qui s'occupent de subdivisions de la Biologie, la Botanique, la Zoologie, l'Anthropologie et l'Entomologie.

Toutes ces sociétés sont filles de la Société Royale et lui viennent en aide dans une certaine mesure. N'oublions pas non plus qu'en outre de ces sociétés métropolitaines, il existe, disséminées par tout le royaume, des sociétés locales, affectées à la science en général ou à telle ou telle division de la science.

Ce n'est pas tout! L'intégration générale et spéciale du monde scientifique s'est faite plus étroite et la coopération de toutes les parties est aidée par des publications continuelles : journaux hebdomadaires, mensuels et trimestriels à visées générales ou autres publications à périodicité semblable qui ne visent qu'un but spécial. Ces petites congrégations, qui sont maintenues entre elles comme parties du grand agrégat, voient leur activité entretenue par des communications littéraires réciproques. Et, comme je l'ai démontré ailleurs (voir Essais, vol. I, La Genèse de la science) le vaste organisme ainsi constitué a acquis un pouvoir de digérer et d'assimiler les diverses catégories de phénomènes, dont aucune de ses parties, abandonnée à elle-même, n'aurait pu effectivement avoir raison.


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