La fraternité internationale par correspondance

La revue des revues

En 1897, par Finot J.

Avouons-le franchement: au moment de faire notre appel en faveur de la correspondance internationale entre adultes, nous n'avons pas eu grande confiance dans son succès. L'appui chaleureux que prêtent les instituteurs à la correspondance interscolaire, la haute direction qu'ils exercent sur le choix des sujets et leur échange régulier, ont fait de l'envoi de ces lettres une charmante obligation, à laquelle se soumettent avec douceur les enfants des deux sexes. Ajoutons-y l'ardeur de la jeunesse aiguisée par l'esprit de rivalité et le désir de faire montre de ses connaissances toutes fraîches dans des relations avec de mystérieux et par cela même, sympathiques inconnus...

Mais quel accueil vont faire les adultes à la même idée? Notre paresse innée, notre répugnance pour les lettres, ne devaient-elles pas être secondées puissamment par cette circonstance des plus défavorables: la dure nécessité d'écrire en une langue étrangère?
La réalité a cependant de ces surprises qui étonnent même ceux qui font profession de ne s'étonner de rien. Aussitôt notre article paru, que de nombreuses adhésions sont venues répondre à notre invitation. Quatre jours après l'apparition de notre appel, nous étions en possession d'une centaine de lettres enthousiastes. Certains de nos correspondants, à qui leur ignorance de l'anglais n'a pas permis de prendre une part effective à l'oeuvre, ont tenu au moins de s'y associer en mettant à notre disposition des sommes variant entre 5 et 100 francs. Inutile d'ajouter que, tout en remerciant nos amis et lecteurs, nous avons décliné leur offre si encourageante. Profitons même de cette circonstance pour déclarer une fois pour toutes que la correspondance internationale n'a point besoin de fonds et que l'administration de la Revue des Revues prend très volontiers à sa charge les dépenses insignifiantes que cette œuvre humanitaire peut lui occasionner. Donc, pas d'argent, pas de timbres postaux, dont le renvoi nous cause un surcroît de travail, empêchant nos efforts.

La publication d'une chronique de M. Francisque Sarcey dans la Dépêche de Toulouse, un des organes les plus répandus parmi les journaux de province, a surexcité le Midi, d'où des lettres de plus en plus nombreuses continuent à nous parvenir. Avec son bon sens admirable et ce luxe d'arguments persuasifs qui ont fait de Sarcey le guide et le vrai maître de ses très nombreux lecteurs, il est arrivé à découvrir dans la correspondance internationale des côtés tellement alléchants que certains des correspondants nous demandent à la suite de son article « s'il n'y aurait pas moyen d'écrire continuellement en français aux Anglais pour en recevoir des lettres écrites dans leur langue. Il est vrai, nous disent-ils, qu'on profiterait peut-être moins au point de vue de la langue, mais on gagnerait quand même par cet échange des sentiments internationaux. »

Il y en a d'autres qui demandent deux ou trois correspondants, anglais et un habitant courageux de Toulon voudrait être mis en relations épistolaires avec quatre miss anglaises! De cette si charmante chronique de Sarcey où tout serait à citer, nous ne pouvons résister au plaisir d'extraire ce petit passage qui répond aux craintes exprimées par certains de nos lecteurs.

— Mais-si je tombe sur un imbécile, sur un raseur.
— Dame! mon ami, cela n'est pas impossible. Mais comme on dit chez nous: « Vous n'êtes pas mariés ensemble. » Il ne sera pas bien difficile de trouver un prétexte honnête pour fausser compagnie à un correspondant par trop ennuyeux.
Tu peux, en revanche, rencontrer un homme aimable. Pourquoi le hasard ne te favoriserait-il pas? Est-ce que cette amitié à distance, entretenue par une correspondance assidue-entre gens qui apprennent à s'estimer sans s'être jamais vus n'a pas quelque chose d'attrayant et de délicat?

Et les lettres continuent à affluer! Des fonctionnaires d'Etat; de grandes dames; des industriels; des officiers surtout ceux d'artillerie; de jeunes demoiselles; des ingénieurs, jusqu'à un grand éditeur catholique, nous voyons parmi nos correspondants des représentants des deux sexes et de toutes les classes sociales.
Seulement, nos correspondants viennent par la force des choses de briser les cadres restreints de notre premier appel! Il s'agissait, il est vrai, d'un échange de correspondances entre Anglais et Français, mais nos adhérents ne se contentent point de si peu. Ils nous demandent à hauts cris, persuadés d'avance de notre concours, d'établir aussi un va et vient de lettres pour la langue espagnole, italienne et la langue allemande.
Dans le nombre des adhésions que nous avons reçues, à peine 8% s'adressent aux Anglais, le reste a en vue les représentants des trois autres langues étrangères. C'est avec une douce, très douce résignation même, que nous nous décidons à suivre nos lecteurs dans cette voie. Nous nous mettons donc en rapports avec nos confrères italiens, espagnols et allemands pour reculer ainsi les limites de notre correspondance. Ces pourparlers demandant un certain temps, nous prions nos collaborateurs, pour ces trois langues, de vouloir bien nous donner un crédit de quelques semaines.

Quant à la langue anglaise, grâce à l'ingénieux système adopté par M. W.T. Stead, tous nos adhérents pour cette section sont déjà pourvus de correspondants anglais. Comme vient de me l'écrire notre éminent confrère, dès le moment où nous lui faisons parvenir les noms de France, leur pairing s'exécute sur le champ. Au moment où nous écrivons ces lignes, les lettres anglaises sont en route pour la France et il ne nous reste qu'à prier nos très aimables lecteurs de ne pas faire languir leurs amis de l'autre côté du canal.
Grâce à cette organisation, nous nous sommes abstenus de répondre à nos correspondants, les lettres qui leur parviendront de l'étranger contenant en même temps l'accusé de réception de celle qu'ils nous avaient adressées. Il se pourrait cependant qu'une lettre s'égarant en route, nos correspondants restent sans réponse. Dans ce dernier cas, un simple rappel qu'ils voudront nous adresser suffira pour réparer les erreurs et les omissions inévitables.
Encore deux mots: la correspondance internationale entre adultes, en dehors de son utilité pratique, a une grande portée psychologique. Nos lecteurs comprendront donc l'intérêt que nous attachons aux communications qu'ils voudront nous adresser sur le résultat de l'expérience significative à laquelle ils viennent de contribuer.
Il reste bien entendu que, suivant en cela le désir exprimé presque unanimement par nos adhérents, leurs lettres ne seront pas livrées à la publicité, à moins d'une autorisation expresse.

Au moment de mettre sous presse, nous recevons la très intéressante communication que vient de nous envoyer M. Mieille, le vrai fondateur de la correspondance interscolaire, transformée dans nos colonnes en une correspondance internationale entre adultes. Cette lettre contenant maints détails ignorés, sera sans doute accueillie avec sympathie par nos lecteurs.

Lycée de Tarbes, Hautes-Pyrénées, 20 septembre 1897.

A Monsieur JEAN FINOT, Directeur de la Revue des Revues.

Monsieur,

La lecture de l'article que vous consacrez à la Correspondance Internationale dans votre dernier numéro, m'a fait penser que vous accueilleriez avec plaisir les quelques détails, de première main, que je suis en mesure de vous donner à ce sujet. J'espère d'ailleurs que ma qualité de vieil et fidèle abonné de la Revue des Revues servira d'excuse à ma communication et vous la rendra plus sympathique.
Comme le dit M. Stead, le développement qu'a pris la Correspondance Internationale a son point de départ dans la lettre que je lui écrivis en décembre 1896, en même temps que je m'adressais également à M. Armand Colin, pour solliciter l'appui et la publicité de la Review of Reviews et de la Revue Universitaire. C'est à ces deux Revues qu'est dû le succès de la correspondance interscolaire que vous avez bien voulu constater et dont la presse entière s'est fait l'écho. Grâce à MM. Stead et A. Colin, l'idée que je leur avais soumise d'une extension à tous les pays d'un système de Correspondance scolaire Internationale, a pu être réalisée. Sans épargner ni le temps ni les frais, et au prix de bien des sacrifices, ces deux Revues ont fait appel au grand public, aussi bien qu'au public spécial de l'enseignement; elles ont organisé un Bureau d'inscription, publié des listes; en un mot, organisé de toutes pièces la Correspondance scolaire Internationale. Ceci se passait en janvier. Dès février, les deux Revues eurent à constater le plus vif succès. Sans parler de l'accueil fait à notre idée dans les milieux universitaires, où elle fut à peu près unanimement encouragée, je rappellerai seulement qu'une série d'articles des plus grands journaux de Paris et de la province fit connaître la Correspondance Internationale au grand public, et les journaux étrangers s'empressèrent de tenir leurs lecteurs au courant de ce mouvement.
Au mois d'Avril, près de 2000 étudiants en France et 1200 en Angleterre avaient répondu à l'appel de MM. Colin et Stead. On pensa alors à organiser la correspondance franco-allemande, et la Revue Universitaire trouva dans M. Martmann de Leipsick le plus puissant et le plus convaincu des auxiliaires. Comme pour la correspondance franco-anglaise, les adhésions affluèrent des deux côtés et à l'heure qu'il est, des milliers de lettres ont été changées. Le mouvement a rencontré en Suisse la plus grande sympathie et les adhésions viennent en foule de ce côté.
A côté des mouvements anglais et allemand, il y a le mouvement italien. Je m'adressai au Signor Moneta, de Milan, président de la Société de la paix, l'Unione Lombardo, et ex-directeur du Secolo, si connu par ses sympathies pour la France. M. Moneta me fit l'honneur de m'offrir sa collaboration et, grâce à lui, la Revue Universitaire put bientôt publier des listes franco italiennes. Il est même arrivé que l'Italie a fourni plus de correspondants que la France et j'ai dû à plusieurs reprises, écrire aux professeurs d'Italien du Sud-Est. Le Petit-Niçois a publié un appel à ses lecteurs, pères de famille et commerçants.
Pour achever cette sorte de Revue de l'étranger, j'ajouterai que des recrues nous sont venues d'Amérique. J'ai mis en rapport avec de jeunes citoyens des États-Unis, plusieurs de mes grands élèves et plusieurs adultes, instituteurs ou commerçants.
Mais le témoignage le plus intéressant peut-être en faveur de l'Inter-Scolaire, et la preuve la plus certaine qu'elle répondait à un besoin, nous a été fourni par les nombreuses lettres de pères de famille, français et étrangers, demandant à faire inscrire leurs enfants. Des centaines de ces lettres me sont arrivées, et le surcroît de travail que m'imposait la nécessité d'y répondre a été bien compensé par la joie du succès.
De la Correspondance scolaire est née l'idée de la Correspondance internationale des adultes. Dès le mois de Mars, M. Scheurmier, le distingué directeur du Practical Teacher, m'écrivit pour me proposer d'établir un système de correspondance entre instituteurs et professeurs français et anglais. Ce serait, disait M. Scheurmier, l'Inter-Teacher Correspondance.
Jusqu'ici, plus de 300 instituteurs et institutrices de chaque côté de la Manche ont été mis en rapport, et fraternisent par lettres, en attendant de pouvoir le faire autrement; car les futures vacances verront bien des rapprochements amicaux, et la pédagogie n'aura qu'à y gagner. Et ici encore, les approbations et les encouragements n'ont point manqué. Je me fais un devoir de vous signaler l'éminent professeur de morale de la Sorbonne, M. F. Buisson parmi les personnes dont l'adhésion et le concours nous ont été les plus précieux. Un article publié par M. F. Buisson dans le Manuel général a amené la formation d'un Comité de professeurs qui se sont unis dans le but de donner à cet Inter-Teacher Correspondance, le plus d'extension possible.
En terminant cette lettre déjà trop longue et dont je vous prie d'user à votre discrétion, je me permets de vous assurer, Monsieur le Directeur, que je ne viens pas revendiquer la paternité exclusive de cette idée de correspondance. Les bonnes idées appartiennent à tout le monde; et, d'ailleurs qu'importe le nom de l'ouvrier, pourvu que l'œuvre réussisse? Des essais plus ou moins heureux de Correspondance Internationale avaient été tentés, et si celui-ci a si brillamment réussi, tout le mérite, et je tiens à le constater bien haut, en revient aux Revues que j'ai nommées plus haut, et à leurs éminents directeurs. Ce n'est que grâce à une organisation qui dépassait les moyens de tout particulier, quelque zélé qu'il pût être, qu'on a pu atteindre un résultat dont, comme vous le dites si bien, la France a le droit d'être fière. L'œuvre entreprise, avec l'extension que lui donnera votre précieux concours, est vraiment une œuvre de paix; et le congrès de la paix de Hambourg, en la recommandant à ses membres lui a accordé un suffrage dont elle a le droit d'être fière.
Permettez-moi donc, Monsieur le Directeur, de vous remercier encore une fois, et veuillez croire à mes sentiments les plus dévoués.

F. MIEILLE,
Professeur au lycée de Tardes.


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