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Lamarck, Cuvier, Darwin : Les néo-lamarckistes - Partie 2

La revue des revues

En 1897, par Büchner L.

De même, quand on fait dire à Lamarck que la girafe, en s'efforçant constamment d'atteindre aux plus hautes branches des arbres, a subi cet allongement extraordinaire du cou qui nous étonne, on commet une erreur. Lamarck se borne, en effet, à constater que la girafe, vivant dans des pays où la terre est si sèche qu'elle ne produit aucune herbe, doit tendre le cou pour se nourrir des feuilles d'arbres et que ce mouvement se continuant pendant une longue série de générations, il en est résulté que les membres antérieurs de l'animal se sont allongés en même temps que le cou. Darwin explique ce fait par cette circonstance que quelques individus de cette espèce, déjà favorisés par la longueur du cou, avaient, en des temps de disette ou de sécheresse, survécu aux autres et que cet avantage de structure s'était transmis à leurs descendants. Mais cette sélection naturelle dans la lutte pour la vie n'est pas une vera causa ou un facteur actif. Ce n'est qu'une expression indiquant les résultats d'une série de facteurs que Lamarck avait déjà découverts, bien qu'il n'eût pas à sa disposition les puissants auxiliaires modernes de la morphologie, de l'embryologie, de la physiologie, de la paléontologie et de la distribution géographique des espèces. Ces facteurs sont: les changements de milieu ou des circonstances ambiantes, habitude, climat, sol, nourriture, température, lumière, etc., et leur adaptation au cours de très longues périodes de temps; le besoin (dans le sens que Lamarck donne à ce mot et qui a été presque toujours mal compris), usage ou abstention des organes; la lutte pour la vie (moins précisée assurément qu'elle ne l'est dans Darwin), l'hérédité (aussi fortement indiquée que l'a fait Darwin), la sauvegarde des variétés par le croisement entre individus de la même espèce; les modifications géographiques. Tout cela se rattachant à l'idée d'un engendrement originel des formes inférieures de la vie aux époques les plus reculées, ainsi qu'à l'existence d'une loi de développement progressif avec des cas plus ou moins isolés ou nombreux de dégénérescence ou de recul.

Lamarck rejetait aussi la théorie adoptée jusqu'à Lyell des grandes catastrophes et révolutions géologiques; il ne cessa de s'élever contre l'idée d'une force vitale particulière, déclara que l'instinct n'était pas la conséquence d'une habitude héréditaire, que la cellule est la mère de toute la vie organique et que le système nerveux produit tous les actes de l'intelligence. Enfin, il soutint que la volonté n'est jamais complètement libre.

On voit combien Lamarck, dans ses idées sur la philosophie de la nature, devança son temps et si Darwin, d'ordinaire si juste, n'a pas rendu à son grand prédécesseur toute la justice qui lui est due, cela provient, sans doute, de ce que, suivant Packard, il n'avait pas étudié ses œuvres à fond. Packard appelle Lamarck un nouveau prophète de l'avenir qui a vécu cinquante ans trop tôt pour son époque. Ses travaux remarquables sur la zoologie systématique lui valurent seuls de la reconnaissance en lui méritant le nom de Linné français. Si l'on ajoute à ce que Lamarck nous a laissé, la colossale augmentation de nos connaissances et l'extension de nos points de vue depuis son époque jusqu'à nous, on a devant soi tout le domaine des études de la nature, qui est parcouru par le néo-lamarckisme. Il repose, dans l'opinion de ses partisans, sur des bases beaucoup plus vastes que le darwinisme, qui, sans les facteurs apportés par Lamarck, ne pouvait manquer de lui voir échapper le terrain sur lequel évolue la lutte pour la vie et la sélection naturelle. « Il est clair, dit Packard, que ces facteurs fournis par Lamarck représentent dans leur ensemble les fondements servant d'appui à la théorie de la sélection naturelle; car, sans eux, nous ne posséderions pas ces idées sur les rapprochements de plantes et d'animaux qui constituent le champ d'activité même des principes du darwinisme. La sélection naturelle ne peut être la cause originelle, mais simplement la conséquence des changements ou des alternances entre lesquels se fait le choix. Les darwiniens se figuraient que dans certains cas une variété utile était maintenue ou éliminée, puis soignée et couvée jusqu'à ce qu'il en sortît une nouvelle espèce. Mais les adversaires de la sélection naturelle veulent que ces changementc utiles, pour pouvoir être durables, se manifestent dans une quantité énorme d'individus, qui tous montrent une petite amélioration dans la même direction. Et c'est là précisément ce qu'a indiqué Lamarck. Les changements doivent, suivant lui, être communs à l'espèce prise en masse, et ils doivent, en outre, être occasionnés par une modification dans les influences physiques ou biologiques qui, toutes ou du moins en grande partie, obligèrent les individus d'une espèce à adopter des habitudes nouvelles et favorisèrent ainsi la transformation d'une espèce en une autre. Le darwinisme est entaché de faiblesse et d'inconséquence grandement en ce qu'il considère comme les prodromes de nouvelles espèces, des modifications individuelles ou fortuites ou une formation de variétés qui tend à remplacer toute la marche de la nature par le croisement ou par la mort d'individus inefficaces. Il se peut que cela arrive quelquefois, mais ce n'est alors qu'une exception qui confirme la règle. Communément le darwinisme, dans l'opinion populaire, est synonyme de la théorie de l'évolution, quoique cette manière de voir soit tout à fait erronée. Darwin n'a fait que soulever un côté du voile du grand mystère de la nature, tandis que Lamarck a établi les bases solides sur lesquelles repose la sélection naturelle. »

Bien qu'il ne semble exister aucune opposition de principes entre le darwinisme et le néo-lamarckisme et bien que l'on puisse considérer plutôt l'un comme le complément de l'autre, on doit s'attendre cependant de la part de nombreux partisans de Darwin à des protestations, quoique Darwin lui-même ait déclaré qu'il a fait trop peu de cas de l'influence si fortement marquée par Lamarck des conditions extérieures de la vie sur les transformations de la nature. « La grande erreur que j'ai commise, écrivait Darwin, le 13 octobre 1876, au professeur Maurice Wagner, de Munich, le père de la théorie des migrations, c'est dans ma conviction actuelle que je n'ai pas attaché assez d'importance à l'influence directe de la nourriture, du climat, etc., tout à fait indépendante de la sélection naturelle. Quand j'ai écrit mon livre — et même quelques années après — je ne pouvais trouver aucune preuve de l'influence directe des conditions extérieures de la vie sur l'espèce. Aujourd'hui les preuves de ce genre abondent. »

En outre, les recherches sur l'hétéromorphose ont démontré que, par des expériences convenablement faites, on peut forcer certaines formes animales inférieures, après la perte d'un organe, à s'en refaire un autre différent du premier par la structure et la fonction. Or, ce qui se produit ainsi artificiellement, la nature a pu, dans la succession des époques géologiques, le réaliser encore bien plus facilement.

Le haut intérêt que porte le monde savant au système de Darwin et à tout ce qui s'y rattache, nous a engagé, dans l'essai qu'on a sous les yeux, à attirer également l'attention sur cette nouvelle phase toute récente dans l'étude de la théorie de l'évolution organique. Le résultat qu'on peut attendre de ces recherches se trouve, croyons-nous, indiqué avec justesse dans ce passage du professeur Eimer de Tubingue: « A mon avis, les transformations physiques et chimiques que subissent les organismes de leur vivant par suite de la présence ou de l'absence de lumière, d'air, de chaleur, de froid, de sécheresse, d'humidité, de nourriture et qui se transmettent par hérédité aux descendants, sont les éléments originels donnant naissance aux nombreuses modifications du monde organique et à de nouvelles espèces. C'est dans les matériaux ainsi fournis que la lutte pour la vie a fait ensuite son choix. Mais les modifications, quelle que soit l'espèce, ne sont qu'une simple conséquence du principe de la croissance. »


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