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Le martyrologe des enfants et des femmes en Angleterre - Partie 4

La revue des revues

En 1897, par Finot J.


III

Les enfants n'ont qu'à se consoler en voyant le sort de leurs mères. Car la situation des femmes mariées est, dans les classes pauvres de l'Angleterre, des plus désolantes. Les faits révoltants signalés par Archam Rackham Cleveland, dans son curieux ouvrage paru l'année dernière sur La femme sous la loi anglaise (The Woman under the english law), empruntés au passé anglais, peuvent bien encore s'appliquer au présent. Malgré la législation des cinquante dernières années tendant à l'amélioration du sort des femmes, malgré l’adoucissement des mœurs, et l'influence bienfaisante de la France, les femmes anglaises se trouvent dans beaucoup de cas dans « une situation hors la loi. » Cet être si fier qui s'achemine vers toutes les conquêtes, y compris celle de maîtriser l'homme, est encore aujourd'hui traité par la loi anglaise en simple « domestique » de l'homme, en être inférieur.

Pour que la femme anglaise obtienne le divorce il ne lui suffit point de prouver l'infidélité de l'époux, il faut aussi qu'il y ait « sévices », c'est-à-dire qu'il lui ait cassé ou « noirci» quelque partie de son corps divin.
Car, comme le disait lord Bacon: « les lois de l'Angleterre sont aussi mélangées que sa langue et ses mœurs et coutumes. » La femme anglaise qui a le droit d'être percepteur, administrateur de la taxe des pauvres, inspectrice des routes, membre du conseil de l'instruction publique, directrice ou doctoresse des asiles des pauvres, de voter pour les élections municipales, jouit en même temps du droit d'être battue comme plâtre par son maître et époux. La loi accorde avant tout le droit de châtiment corporel infligé aux enfants du sexe féminin. Une loi de l'année 1861 nous dit, il est vrai, que si une femme était dangereusement maltraitée par son mari, le magistrat aurait le pouvoir de l'autoriser à vivre seule. Mais si la première condition se réalise souvent, la deuxième ne se produit presque jamais. C'est que les juges anglais ont des conceptions étranges sur la résistance de la femme à la douleur. Croyant visiblement avec César Lombroso à l'insensibilité féminine à la souffrance, ils appliquent sa doctrine dans ses conséquences les plus risquées.

Voici à titre d'exemple quelques sentences rendues par les juges anglais en faveur de femmes maltraitées par leurs maris:
Un mari accusé d'avoir distribué force coups et horions à sa femme, de l'avoir battue et accablée de coups de pieds, a été condamné à écouter un sermon sur la patience. Une autre femme qui a eu les yeux pochés par son mari a obtenu également gain de cause dans les mêmes conditions.
Un mari ayant jeté sa femme dehors à minuit après l'avoir gratifiée d'une série de coups, a été condamné à se tenir tranquille pendant six semaines à la disposition de la police.
Les juges les plus sévères vont jusqu'à condamner le mari à une amende de deux à dix francs pour avoir cassé à sa femme le nez ou une clavicule. — Tel autre inflige une peine de 12 fr. 50 à un mari convaincu d'avoir cassé en deux endroits la jambe de sa femme et 25 francs pour avoir la nuit tiré sa femme par les cheveux jusqu'au bas de l'escalier et l'avoir jetée presque nue dans la rue, etc., etc.

Si les peines d'emprisonnement sont rarement appliquées, celles de séparation ne le sont presque jamais, malgré les demandes des plaignantes. Or, ces amendes ou les jours de prison infligés aux maris retombent de tout leur poids sur les pauvres femmes. Chaque franc de moins dans le ménage, c'est autant de privations sur le pain des enfants; chaque jour, passé par le mari loin des siens, ne fait qu'augmenter le travail de la victime de sa cruauté. Battue et maltraitée, elle se trouve par dessus le marché directement atteinte par la condamnation de son mari. Il ne lui reste donc qu'à subir passivement les mauvais traitements de son bourreau et à souffrir en silence.

Les procès qui se déroulent devant les juges ne nous révèlent, par suite, qu'une partie minime des drames conjugaux dans la famille anglaise.
La Howard Association constatant, dans son rapport du mois d'octobre 1896, l'accroissement des violences contre les femmes et les enfants dans les régions rurales et minières de l'Angleterre et du pays de Galles arrive en fin de compte à cette conclusion:
« La prison pour ces brutes est un trop léger châtiment qui ne sert qu'à mettre d'honnêtes gens dans l'obligation de pourvoir à leur entretien. La verge, voilà ce qu'ils craignent. Quelques personnes bien intentionnées présentent des objections contre ce système de répression; elles oublient apparemment les souffrances des infortunées victimes de ces brutes; elles oublient encore que l'emprisonnement peut être beaucoup plus nuisible à un homme (à la fois physiquement, moralement et matériellement) qu'un bref châtiment corporel, ce dernier système permettant au coupable de reprendre immédiatement son travail et ainsi de ne pas être à charge à la communauté. Quand on pense qu'une amende de 5 shellings est considérée comme une pénalité suffisante à infliger à un mari pour avoir frappé sa femme, une 1/2 guinée pour lui avoir cassé les dents, tandis qu'un enfant de 11 ans brisant une barrière pourrie est condamné à payer 12 sh. 6 d., et à l'emprisonnement s'il ne peut acquitter l'amende, on jugera sans doute avec nous que la différence de répression est hors de proportion avec la différence de délit. Ainsi l'accroissement des violences est dû, jusqu'à un certain point, à la loi dont le caractère n'est pas assez strictement obligatoire, aux magistrats eux-mêmes qui l'appliquent trop rarement et pour la plus grande part, à l'extension des idées philanthropiques chez tant de personnes influentes. »

Une société, composée d'esprits d'élite, ne trouvant, à la fin du XIXe siècle, dans un pays réputé par ses vertus et sa civilisation, d'autre moyen de répression contre ses concitoyens que la verge, quel soufflet terrible pour le progrès moral de l'Angleterre dont on nous rabat les oreilles depuis tant d'années!
En réalité, que voulez-vous faire, s'écrie notre philanthrope désespéré, avec toutes ces brutes, qui résistent à tant de siècles de civilisation?
Ne s'avisent-ils pas, nous apprend un autre, de vendre leurs femmes comme le bétail appartenant à leur ménage! Et pour qu'on ne nous accuse pas d'avoir exagéré, précisons les faits:
En 1889, à Sheffield, un marchand de poisson acheta à un de ses camarades sa femme au prix de 5 shellings (6 fr. 25) à dépenser en gin; la transaction fut ratifiée comme tout autre affaire par un contrat signé devant les témoins.
A Bernley on pouvait se procurer une femme encore meilleur marché: un tisserand voulant se débarrasser de sa moitié la vendit à son voisin pour trois sous. Les cas étaient fréquents; il n'y a pas de cela bien longtemps, les ouvriers vendaient dans les poteries leurs femmes au prix variant de douze sous à un quart de bière, un petit chien (bull pup) et un dîner. — N'insistons pas. En étudiant de plus près la vie d'autres peuples, dits civilisés, on y retrouve des faits monstrueux aussi graves et aussi répugnants. Et, lorsqu'on y songe, on ne peut se défendre d'un sentiment de grande pitié à l'égard de ces pauvres peuples primitifs que les pays dits civilisés vont conquérir ou plutôt détruire au nom de leur civilisation humanitaire et généreuse.


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