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Recherches sur la fatigue mentale - Partie 3

Revue scientifique

En 1889, par Galton F.

Arithmétique et mathématiques. — Les études qui faiblissent les premières sous l'influence de la fatigue diffèrent selon les différents individus; mais, dans la majorité des cas, ce sont l'arithmétique et les mathématiques élémentaires qui subissent les premières atteintes. Quoique un grand nombre des cent seize réponses viennent de professeurs qui n'ont que peu on point à s'occuper de ce sujet, il n'y en a cependant pas moins de quarante-sept qui le mentionnent d'une façon particulière. Par exemple:
1. Les procédés entièrement mécaniques de l'arithmétique finissent par devenir embarrassants vers la fin d'une journée où j'ai été particulièrement chargé de travail à l'école.
2. L'arithmétique et l'algèbre deviennent impossibles lorsque je suis fatigué, non que cela me soit désagréable ou douloureux, mais parce qu'alors je fais tant d'erreurs que cela ne vaut presque pas la peine d'y travailler.
3. Un correspondant parle de l'impossibilité dans laquelle il se trouve, lorsqu'il est fatigué, de fournir un travail qui demande l'exactitude du détail et une certaine force de volonté pour fixer l'attention, comme cela est le cas pour l'arithmétique.
4. Un autre parle de la difficulté qu'éprouvent des jeunes gens fatigués à résoudre n'importe quel problème d'arithmétique « de sens commun ».
Un grand nombre de réponses similaires pourraient être citées pour corroborer celles-ci; il y en a cependant deux qui affirment le contraire. Les voici:
5. Chaque fois que mon esprit est fatigué, j'éprouve un certain soulagement à faire un travail qui exige la solution de problèmes d'arithmétique ou d'algèbre, et de préférence ceux qui exigent des logarithmes ou des tables toutes faites.
6. Je trouve un grand repos à faire des comptes, lorsque je ne puis exercer mon esprit utilement d'une autre façon.
On me permettra de sortir de nouveau de mon programme en ajoutant un cas que j'ai connu moi-même, et qui concerne un homme fort distingué, mort maintenant, qui, ayant toujours trouvé le repos dans ses mathématiques favorites, lorsqu'il était déprimé et ennuyé par ses nombreux devoirs, recommandait naïvement le même remède à un ami dont le cerveau était tellement exténué à un certain moment, qu'il reculait devant le moindre effort mental comme devant un terrible danger.

Langues. — La difficulté de traduire est un autre des effets de la fatigue naissante, qu'on peut remarquer, et elle est en partie due au manque de mémoire dont nous avons déjà parlé.
1. En traduisant, les mots et les phrases ne viennent pas aisément à l'esprit.
2. Traduction en une langue ou d'une langue étrangère avec laquelle je ne suis pas très familiarisé.
3. J'ai occasionnellement perdu la faculté de parler allemand lorsque j'étais fatigué, quoique dans ma condition ordinaire je le parle sans effort conscient.
L'incapacité de bien traduire est naturellement due à bien autre chose qu'un simple manque de mémoire des mots et dépend de la perte de la compréhension, et généralement d'une dépression de la vigueur mentale.
Le cas suivant est instructif: lorsque je donnais des leçons à de jeunes garçons de 8 à 13 ans, pendant toute la journée, je prenais l'arithmétique et le latin le matin; et la lecture anglaise, la géographie, etc., dans l'après-midi. A certaines occasions la leçon de latin se trouvait placée dans l'après-midi, et je fus surpris de voir que cette leçon, qui avait du succès le matin, échouait complètement dans l'après-midi. Les jeunes gens désiraient apprendre, mais ne pouvaient pas. Quant au travail ordinaire qui exigeait moins de leur intelligence, ils le faisaient suffisamment bien dans l'après-midi.
Ce cas et d'autres similaires seraient mieux placés dans la catégorie suivante.

Incapacité de l'esprit à comprendre une chose. — Les faits établissant que l'esprit fatigué n'est pas capable de travailler dans des conditions normales et s'use dans des exercices futiles sont très nombreux. En voici quelques-uns:
1. Incapacité de saisir le sens des choses même très simples.
2. Manque de mémoire de fixation. En lisant, impossibilité complète de s'assimiler la matière pendant qu'on parcourt une page. La singulière impossibilité de compter les tasses lorsqu'on sert le thé.
3. Lire des phrases sans pouvoir dire ce qu'on vient de lire.
4. La confusion alternant avec une clarté excessive de la pensée.
5. Tendance des pensées à voyager. Incapacité chez les élèves de saisir rapidement et complètement ce qu'on leur dit.
6. Avant que le véritable sentiment de la fatigue ne soit éprouvé par moi d'une façon distincte, je me rends compte que je n'ai pas la force de saisir les idées et que je suis incapable de les exprimer clairement.
7. Incapacité de lire le Journal of Education.
8. Disparition rapide de conceptions qu'on vient d'avoir, et de là difficulté d'établir la connexion entre les parties comme lorsqu'on écrit un article de revue.
9. Tendance à se servir de mots longs (ceci me frappe comme étant une réponse bien suggestive).
10. Un livre quelconque, quoique le sujet puisse en être familier ou aisé à comprendre, parait manquer d'aisance et de simplicité.
Bref, pour me servir d'une phrase commune et vigoureuse, l'esprit ne mord plus, lorsqu'il est fatigué.

Mangue d'énergie. — Il n'est pas besoin de preuves pour confirmer le fait bien connu que l'énergie manque à mesure que la fatigue augmente. Les sujets nouveaux nous dégoûtent; professer devant des élèves lourds d'esprit devient pour ainsi dire impossible. Un effort soutenu, une inspection vigoureuse, une décision prompte, tout devient impossible.

Possibilité de s'assurer de la fatigue naissante. — Les réponses que j'ai reçues ne contiennent aucune proposition distincte de preuves de la fatigue mentale naissante, et je suis moi-même trop ignorant de la pratique de l'éducation pour oser en formuler. D'un autre côté, les réponses ne manquent pas d'indications au sujet de ce qu'on pourrait demander à de pareilles preuves de fournir. En voici les principales:
1. L'espace de temps pendant lequel on peut soutenir une exécution soignée en accomplissant un travail prolongé.
2. Promptitude et assurance de la mémoire dans les choses simples.
3. Problèmes d'arithmétique dits « de sens commun ».
4. Temps de réaction.
La mesure de la fatigue est, d'une façon inverse, la mesure de ce qu'on peut endurer, et celle-ci me frappe comme étant une faculté qui mérite bien des investigations. Sous le coup des appels exténuants de la vie civilisée moderne, le pouvoir d'endurer gagne continuellement en importance. Les hommes et les femmes doivent, de nos jours, agir rapidement et pendant un grand nombre d'heures, et ils n'ont pas seulement à travailler exceptionnellement bien. Il semble donc raisonnable que les professeurs cherchent à trouver un bon moyen d'apprécier le pouvoir d'endurance de leurs élèves. Cela est naturellement découvert incidemment dans le cours ordinaire de l'enseignement, mais on aimerait avoir des preuves appropriées, pouvant servir à déterminer et pouvant démontrer à n'importe quel moment et d'une manière bien définie et irréfutable si les esprits des élèves sont las ou non.

Épuisement. — J'en arrive maintenant aux preuves données dans ces réponses à l'égard de la fréquence avec laquelle les élèves et les professeurs sont sujets à l'obligation de s'arrêter, n'en pouvant plus. Il y a une tendance très transparente, et qui se comprend, chez plusieurs des personnes qui répondent, à dire qu'une chose telle que le surmenage est impossible dans leurs écoles respectives. Quelques-unes d'entre elles protestent si fort et d'une façon tellement extravagante qu'on ne peut s'empêcher de les tenir en suspicion. Il y en a même quelques-uns qui disent qu'ils n'ont jamais entendu parler d'un cas d'épuisement. En réunissant toutes mes réponses, je trouve que sur mes 116 correspondants, il n'y a pas eu moins de 23 d'entre eux qui, à certaines époques de leur vie, ont été à bout de forces, et que parmi ceux-ci 21 ne se sont jamais complètement remis des effets produits par cet épuisement. Il y a six autres cas d'un caractère moins sérieux; quelques-uns de ceux-ci sont légers. En d'autres termes, un professeur sur cinq, autant que j'en ai la preuve devant les yeux, a été sérieusement atteint. En ce qui concerne les cas bien connus de mes correspondants, il y a du vague dans quelques-unes des réponses à l'égard du mot « plusieurs » et de mots analogues dont ils se servent, et auxquels je suis incapable d'attribuer une valeur numérique quelconque; mais 59 tristes cas sont spécifiés avec détails à la réponse 5: « Avez-vous eu connaissance de cas de prostration plus ou moins sérieuse causée par un excès de travail mental, en dehors des effets d'une anxiété domestique ou autre? S'il en est ainsi, donnez des initiales et des dates, et une très courte note au sujet du sérieux et de la durée de la maladie. » Dans beaucoup d'autres cas, les écrivains expriment la difficulté qu'ils ressentent à distinguer la fatigue et l'excès de travail. La première est la conséquence du dernier, alors que celui-ci résulte souvent de la tristesse, de l'anxiété et du sentiment d'incapacité causé par la première.
C'est un cercle vicieux qui se régénère lui-même.

Je tire deux conclusions de ces réponses. La première est que la raison pour laquelle la fatigue mentale laisse des effets tellement plus sérieux que ceux de la fatigue corporelle est largement due à la cause que nous venons de mentionner. Lorsqu'un homme éprouve de la fatigue corporelle, il a des symptômes très semblables à ceux qui sont mentionnés plus haut; mais les suites sont toutes différentes. Aussitôt que l'exercice corporel est terminé pour la journée, l'homme se couche et ses muscles se reposent; mais lorsque l'homme mentalement fatigué se couche, son ennemi continue à le harasser pendant les pénibles heures de l'insomnie. Il ne peut calmer l'essor de ses pensées et s'use d'une façon inutile.
L'autre conclusion est que l'épuisement arrive généralement parmi ceux qui travaillent par eux-mêmes et non parmi les élèves que les professeurs surveillent d'une façon raisonnable. Les élèves qui pèchent par un excès de zèle sont rares; beaucoup de mes correspondants insistent sur ce point. Mais le danger n'existe pas autant à l'école, où les heures d'études et celles des jeux et des exercices sont fixées, qu'à l'âge où des personnes jeunes se préparent au professorat et ont en même temps à subvenir à leur existence et peut-être aussi à endurer des épreuves domestiques.
Les personnes à esprit mou protègent leur propre santé cérébrale en se refusant à tout excès de travail. C'est parmi ceux qui sont zélés et vifs, qui ont des aspirations et des idées d'un ordre élevé, qui se savent bien douées mentalement et sont trop généreux pour penser beaucoup à leur propre santé, que l'on trouve le plus fréquemment les victimes de l'excès de travail.


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